Astrid Fossier, Paris, janvier 2004
Tentatives tibétaines pour la paix
« Notre espoir est de voir évoluer le comportement des peuples de la République populaire de Chine. » (S.S.le Dalaï Lama)
« Le parcours que j’effectue avec les Tibétains nous entraîne à lutter pour nos droits. Certains peuvent penser que cette lutte est uniquement politique. Il n’en est rien. Nous, les Tibétains, nous sommes les héritiers d’une culture qui nous est propre, à l’instar des Chinois qui ont hérité de la culture de leurs aïeux. Nous n’éprouvons aucune haine pour les Chinois. Nous respectons la culture chinoise qui remonte à tant de siècles en arrière. Toutefois, bien que nous éprouvions un profond respect pour les Chinois, bien que notre lutte ne soit pas dirigée contre les Chinois, les six millions de Tibétains que nous sommes ont également le droit de maintenir vivante leur propre culture, aussi longtemps qu’elle ne blessera pas les autres. Sur le plan matériel, nous avons pris du retard. Mais dans les sciences de l’esprit et dans le domaine de la pensée, nous sommes riches. Nous, les Tibétains, nous sommes bouddhistes et nous pratiquons le bouddhisme dans son intégralité. Aussi avons nous le devoir de lui conserver sa forme active et vivante. Au siècle dernier, nous étions une nation paisible, animée par une seule culture. Aujourd’hui, et nous le déplorons, notre pays, notre culture sont écrasés depuis ces dernières décennies. C’est au nom de l’amour que nous portons à notre culture, à notre propre pays, que nous revendiquons le droit de les préserver. Je suis au service de notre cause, dans l’espoir de servir aussi l’humanité. Le pouvoir n’est pas le but de mon action. Je ne me considère pas seulement comme un Tibétain, mais comme un être humain. Si nous souhaitons apporter notre contribution aux hommes de cette planète, il nous faut préserver notre culture et notre nation. C’est la raison pour laquelle je poursuis ce chemin. Et, bien que certains n’y voient qu’une manigance politique, je sais que tel n’est pas mon dessein. Notre espoir est de voir évoluer le comportement des peuples de la République populaire de Chine » (S.S. le Dalaï Lama).
A la différence des Chinois, les Tibétains soutiennent que leur pays est toujours resté indépendant à travers l’histoire, et que l’entrée des troupes chinoises sur les hauts plateaux n’a pas été une « libération pacifique » mais bien le début d’une occupation. Les Chinois basent en revanche leurs revendications des terres tibétaines sur plusieurs faits :
-
Le mariage, au VIIème siècle, du roi Tibétain, Songtsen Gampo, avec une princesse Chinoise, la princesse Wencheng ;
-
L’influence sur le Tibet de la dynastie Mongol qui gouvernait la Chine au XIIIème siècle ;
-
Et enfin l’influence de la dynastie Mandchou, qui régna sur la Chine au XVII ème siècle et envoya au Tibet dès 1793 tout un contingent de cadres de l’administration impériale appelés les ambans.
Les Tibétains admettent l’existence d’étroites relations politiques entre la Chine impériale et le Tibet mais réfutent toute idée de domination de l’un sur l’autre, comme le souligne le Dalaï Lama dans son Plan de paix en cinq points : « Nous, Tibétains, sommes un peuple distinct, qui a sa propre culture, sa langue, sa religion et son histoire ». Les Tibétains basent leur indépendance sur les traités signés avec d’autres Etats comme le Traité d’amitié et d’alliance signé avec la Mongolie le 11 janvier 1913, ou sur leur présence à la Conférence de Simla, en 1913 également. Aujourd’hui, plusieurs instances politiques comme le Congrès américain reconnaissent le Tibet comme étant un Etat souverain.
Depuis la fuite du Dalaï Lama et la formation du gouvernement tibétain en exil à Dharamsala, le dialogue est difficile entre Pékin et les autorités tibétaines en exil, le gouvernement chinois ne leur reconnaissant aucune légitimité et refusant tout échange avec le Dalaï Lama, considéré comme un séparatiste. Mais depuis l’arrivée au pouvoir de Deng Xiaoping et l’instauration d’une politique de réforme et d’ouverture en Chine, des contacts ont eu lieu entre Tibétains en exil et Chinois. Les Tibétains ont même multiplié les concessions pour attirer l’attention de Pékin et favoriser le dialogue.
I. De l’indépendance à l’autonomie
Dans un discours en date du 10 mars 1978, le Dalaï Lama déclara : « Les Chinois devraient permettre aux Tibétains de rendre visite à leurs parents et à leurs proches qui sont aujourd’hui en exil. Et la même opportunité devrait être accordée aux Tibétains en exil. Avec ce type d’arrangement, nous pourrions être sûrs de la situation réelle du Tibet aujourd’hui ». A la fin de 1978, le frère aîné du Dalaï Lama, Gyalo Thondup, fut contacté par M. Li Juisin, directeur de l’agence de presse officielle chinoise (Agence Chine Nouvelle – Xinhua), qui l’invita à se rendre en visite privée à Pékin. Fort de l’approbation du Dalaï Lama, Gyalo Thondup se rendit donc à Pékin fin février 1979, où il rencontra plusieurs officiels Chinois de haut rang, dont Deng Xiaoping. Ce dernier lui dit alors qu’hormis l’indépendance, tous les autres aspects de la question tibétaine pouvaient être discutés et résolus.
Peu de temps après cette rencontre, le Dalaï Lama envoya une première délégation de ministres et représentants du gouvernement tibétain en exil visiter le Tibet en août 1979. Une seconde s’y rendit à nouveau en mai 1980, puis une troisième en juillet de la même année. Suite à ces visites, le gouvernement tibétain en exil multiplia les propositions d’échange avec le gouvernement chinois, mais ces propositions furent toutes systématiquement rejetées. Le Dalaï Lama alla même jusqu’à écrire, en mars 1981, à Deng Xiaoping une lettre abordant les conditions de vie misérables des Tibétains que les membres de son gouvernement avaient pu observer lors de leurs visites successives au Tibet. Cette lettre resta sans réponse, si ce n’est un rapport que Hu Yaobang remis quelques mois plus tard à Gyalo Thondup, rapport intitulé « Politique en cinq points à l’égard du Dalaï Lama », réduisant le problème tibétain au seul statut du Dalaï Lama.
Le 24 avril 1982, le gouvernement tibétain en exil envoya à Pékin une délégation composée de trois officiels de haut rang pour engager des négociations sur le statut du Tibet avec les autorités chinoises. Il fut décidé par les deux parties que le contenu de ces discussions resterait confidentiel. Cette première rencontre n’aboutissant à aucun résultat significatif, la même délégation tibétaine se rendit de nouveau à Pékin en octobre 1984 pour reprendre le dialogue et discuter notamment avec les autorités chinoises d’une possible visite du Dalaï Lama au Tibet. Cette possibilité fut rejetée par le gouvernement chinois, ainsi que toutes les autres propositions de la délégation.
Face à ce rejet systématique par les Chinois des propositions de paix tibétaines, le Dalaï lama décida de faire appel à la communauté internationale en rendant publiques les propositions que son gouvernement en exil avait fait au gouvernement chinois. Il présenta donc le 21 septembre 1987 devant le Congrès américain son plan de paix en cinq points. Les solutions proposées étaient :
-
1. La transformation du Tibet tout entier en une zone de paix.
-
2. L’abandon par la Chine de sa politique de transfert de population, qui compromet l’existence même des Tibétains en tant que peuple.
-
3. Le respect des droits de l’homme et des libertés démocratiques fondamentales du peuple tibétain.
-
4. La reconstitution de l’environnement naturel du Tibet et sa protection, ainsi que le renoncement par la Chine d’utiliser le Tibet pour y fabriquer des armes atomiques et y entreposer des déchets nucléaires.
-
5. L’ouverture de négociations véritables sur le statut futur du Tibet et sur les relations entre le peuple chinois et le peuple tibétain.
La réaction de la Chine fut immédiate :
-
Le 17 octobre elle annonçait officiellement rejeter ce plan de paix et accusait le Dalaï Lama d’aviver la mésentente entre les autorités chinoises et le gouvernement tibétain en exil en prenant à partie la communauté internationale.
-
Malgré cette réaction négative des autorités chinoises, le Dalaï Lama poursuivit la voie du dialogue en faisant un discours devant le Parlement européen le 15 juin 1988. Dans cette proposition de Strasbourg, le Dalaï Lama n’évoquait plus l’indépendance du Tibet mais demandait une réelle autonomie, se rapprochant ainsi des propos tenus par Deng Xiaoping lors de sa rencontre avec Gyalo Thondup en 1979.
-
Les autorités chinoises répondirent à cette proposition dès le 21 septembre en invitant les Tibétains au dialogue : « Nous invitons le Dalaï Lama à dialoguer avec le gouvernement central dès qu’il le souhaitera, cette rencontre pouvant se tenir à Pékin, Hong Kong ou tout autre ambassade ou consulat chinois à l’étranger, comme il conviendra au Dalaï Lama ». Bien sûr, une condition limitait ces négociations : l’interdiction de parler d’indépendance.
-
Deux jours plus tard, les représentants tibétains répondirent à cette invitation en proposant Genève comme lieu de la rencontre, et le mois de janvier comme date pour un premier round de négociation.
-
Mais les Chinois firent volte-face et refusèrent Genève, arguant que seul Pékin pouvait être le lieu de négociation. Ils s’opposèrent également à la constitution de la délégation tibétaine, avançant que les membres de cette délégation étaient tous des « activistes séparatistes » ; et enfin ils refusèrent de baser ces négociations sur la Proposition de Strasbourg, imposant comme condition l’acceptation par les représentants tibétains de l’unité du Tibet à la mère-patrie chinoise. Ces exigences empêchèrent alors toute négociation.
En septembre 2002, et pour la première fois depuis la rupture du dialogue sino-tibétain en 1993, une délégation tibétaine composée de Lodi Gyari, envoyé spécial du Dalaï Lama aux Etats-Unis, et de Kelsang Gyaltsen, envoyé auprès de l’Union européenne, s’est rendu à Pékin et dans des zones tibétaines. Cette visite faisait suite à la libération de soixante-six prisonniers politiques Tibétains durant les premiers mois de l’année 2002. Si le contenu exact des discussions lors de cette visite n’a pas été rendu publique, les représentants tibétains déclarent être confiants quant à l’évolution de la question tibétaine et la façon dont les nouveaux dirigeants chinois l’envisagent.