Nathalie Cooren, Paris, 2005
Des réformes radicales comme seconde étape de consolidation du pouvoir absolu de Fidel Castro
Ces réformes ont pour objectifs d’une part de s’assurer le soutien du peuple cubain et d’autre part d’éradiquer tout comportement considéré comme amoral par le régime.
I. Des réformes radicales destinées à pouvoir compter sur l’allié le plus puissant : le peuple cubain
1. Réforme agraire
Une fois Premier ministre, Fidel Castro procède à une réforme agraire destinée à redistribuer les terres appartenant aux grands propriétaires terriens, les latifundistas, au profit des petits paysans, qui en firent leur cri de ralliement. Mais l’application de cette réforme se fit en deux temps :
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La première étape fut celle consécutive à un décret qui avait été signé au cours de la lutte insurrectionnelle pour être appliqué dès les premiers mois de 1959. Elle prévoyait une redistribution individuelle ; les propriétés individuelles furent réduites à 102 hectares maximum. Cette réforme capitale permit à de nombreux paysans de devenir propriétaires.
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La seconde, en 1962, fut la collectivisation par le biais de coopératives et de fermes d’Etat. Les plantations furent nationalisées et l’Etat devint propriétaire de plus de la moitié des terres.
2. Réforme urbaine
Corollaire de la précédente, une réforme urbaine de moindre ampleur s’attaqua aux propriétaires d’immeubles et de villas au profit de leur locataire ou de l’Etat. Nombre d’entre eux étaient automatiquement dépossédés de leurs biens, dès lors qu’ils étaient partis en exil. Les couches urbaines et la classe moyenne de Cuba, tout comme la bourgeoisie, avaient soutenu le mouvement insurrectionnel, mais leur mode de vie était profondément influencé par l’« americain way of life » : les avancées technologiques, la télévision, les équipements électroménagers, les belles voitures, faisaient partie du quotidiens des habitants de La Havane. C’est parmi ces catégories de la population qu’apparurent la plupart des candidats à l’exil au cours des années 60.
3. Alphabétisation
L’année 1961 fut placée sous le signe de l’alphabétisation. Des milliers d’adolescents furent envoyés dans les campagnes afin d’apprendre à lire à bon nombre de paysans illettrés. Ces jeunes citadins qui allaient accomplir leur mission dans les campagnes étaient considérés comme des brigadistas, des apprentis-combattants.
4. Santé et éducation
Dans le domaine de la santé, on ne saurait nier que la révolution de Castro est parvenue à prendre en charge les plus pauvres de l’île et à réduire considérablement le taux de mortalité infantile. La médecine cubaine a également accompli des progrès incontestables dans les secteurs de pointe, mais l’état de délabrement des hôpitaux (hormis quelques uns réservés aux dirigeants et aux malades étrangers), s’est aggravé de façon radicale depuis l’instauration de la « période spéciale » en 1991.
Quant à l’éducation, celle-ci est devenue gratuite et accessible à tous et le traitement des enfants est indubitablement l’aspect le plus réussi de l’expérience socialiste. Les écoles cubaines sont à peu près les mêmes que celles de pays occidentaux : des cours le matin, une pause déjeuner, et les cours reprennent l’après midi.
Le fonctionnement du système scolaire est le suivant :
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Les enfants entrent au primaire à l’âge de 6 ans, puis à 11 ans ils intègrent le collège.
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A 15 ans ils sont soumis à un contrôle continu pendant un an puis à des tests et leur place future dans la société dépend alors des résultats qu’ils obtiennent.
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A 16 ans ils entrent dans le système « beca » de l’île : une sorte de préparation qui forme les étudiants soit à un métier commercial, soit à l’enseignement supérieur, en fonction de leur classement et de choix de la famille.
L’avenir des étudiants dépend en fait des besoins du régime en termes de métiers. En effet, si Cuba manque d’ingénieurs des Ponts par exemple, une douzaine de places seront ouvertes pour de futures études universitaires dans cette profession. Quant à la concurrence pour accéder à l’université, celle-ci est rude et seulement 5 % d’une classe d’âge, ayant obtenu les meilleures notes, pourra y postuler (1).
II. Des mesures radicales destinées à éradiquer tout comportement considéré comme amoral par le régime
« Au sein de la Révolution, tout. Contre la Révolution, rien du tout ». Fidel Castro
1. L’oppression psychologique
La propagande de Castro interdit aux Cubains de penser librement, d’exprimer leurs opinions, leurs désaccords. Il s’agit de formater l’esprit cubain à l’image de la révolution et des aspirations de son Comandante. Mais cet endiguement de la raison se fait moyennant une oppression constante, la menace et la répression. Ceux qui ne sont pas d’accord ou qui osent défier le régime, se retrouvent tôt ou tard en prison ou disparaissent mystérieusement. Un Cubain n’a le droit de parole, si ce n’est l’obligation, que pour manifester son adhésion à la révolution, son allégeance au pouvoir.
L’utilisation technique de la « psychosociologie », avec notamment « l’étude constante de l’état d’esprit et de l’opinion de la population », donne au régime « un contrôle si absolu sur les esprits et les corps des hommes que peut-être aucun monarque ou gouvernement n’a eu la possibilité d’en exercer de tel sur les gens » (2), juge en 1999 un document préparatoire à une réunion du clergé de l’Est de l’île.
2. La double morale
Il semble que la grande majorité des Cubains entretient une double morale :
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l’une privée, tolérée ;
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l’autre, publique, politiquement correcte.
« Nous avons appris à vivre avec une peur panique différente de toutes les autres peurs connues, une terreur presque courageuse, adroite, une peur que j’ai peur de préciser », écrit Eliseo Alberto Diego dans son livre intitulé Rapport contre moi-même.
« Nous avons appris à dire oui en pensant non. Nous avons appris à feindre avec audace, à répondre à l’appel avec décision en faisant un pas en avant, à dissimuler de sang froid, à lever la main chaque fois que l’on demandait notre participation à une tâche patriotique parce que nous étions sûrs de ne pas tenir notre promesse, enfin, nous avons appris à douter de notre propre ombre » (3).
Face à cette pression permanente, les Cubains ont développé des défenses naturelles et savent donner l’apparence du consensus politique tout en essayant de s’en dégager au prix d’une dangereuse schizophrénie.
Notes :
(1) : Ben Corbett, Cuba, tout changera demain, Paris, Ed. Alvik, 2003, p.237-238.
(2) : Corinne Cumerlato et Denis Rousseau, op. cit., p.45.
(3) : Corinne Cumerlato et Denis Rousseau, op. cit., p.117.