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Transformation de conflit, de Karine Gatelier, Claske Dijkema et Herrick Mouafo

Aux Éditions Charles Léopold Mayer (ECLM)

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, Paris, 2005

Transition politique en Argentine

Analyse de la stratégie mise en oeuvre pour la transition politique en Argentine.

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Il existe généralement deux grandes catégories de transition :

  • celles qui sont négociées entre les représentants du régime autoritaire et « l’opposition démocratique » ;

  • celles qui ne le sont pas.

La transition démocratique argentine constitue un cas hybride.

Les processus de transition vers la démocratie naissent souvent d’une crise de légitimité des régimes autoritaires, complétée par l’apparition d’une alternative politique crédible et opérationnelle jouissant d’une légitimité plus forte. L’Argentine n’échappe pas à cette règle.

I. Situation de crise précédant la transition : la perte de légitimité des militaires

A partir des années 1980, le régime autoritaire argentin a connu une forte crise de légitimité, tant institutionnelle que gouvernementale. De larges secteurs des forces armées ont alors pris consience que la seule issue pour remédier à cette crise était de procéder à une certaine libéralisation du régime.

Le régime argentin se trouvait dans la situation où, selon Alain Touraine, « l’Etat n’a plus de ressources à distribuer, de satisfactions nationalistes ou économiques à offrir, il est enfermé dans une action purement répressive. Le régime autoritaire doit alors proposer des réformes, accepter une certaine ouverture. » (1)

Selon Isabelle Bouvier, « l’ouverture du régime autoritaire par voie de libéralisation est une des stratégies que peuvent mettre en oeuvre les détenteurs du pouvoir militaire en mal de légitimité, en vue :

  • soit de la continuité du régime (« dictablanda ») comme dans le cas argentin ;

  • soit d’un transfert du pouvoir, contrôlé et accompagné de garanties pour les militaires, voire de l’assurance d’une participation au pouvoir décisionnel (« la democradura ») » (2).

Dans le cas argentin l’ouverture du régime ne doit pas être interprétée comme la volonté des militaires de préparer leur retrait du pouvoir mais au contraire comme une stratégie destinée à sauver le régime.

Sur le plan politique cette ouverture s’est traduite par une plus large participation des civils au gouvernement ainsi que par la mise en place de négociations avec les foces politiques et un certain nombre de syndicalistes.

C’est dans le cadre de cette ouverture qu’en juillet 1981 est apparu le groupe de concertation politique connu sous le nom de « Multipartidaria ». Il réunissait les cinq principaux partis politiques.

Cette nouvelle formation a donc obtenu l’autorisation du régime autoritaire. Mais s’il s’agit bien d’une certaine ouverture du régime, il est toutefois important de souligner que la naissance de la Multipartidaria ne constitue pas la victoire d’une opposition au régime militaire. Elle n’existe que parce que le régime autoritaire a donné son accord.

Ce semblant de libéralisation du régime autoritaire doit être interprété davantage comme une tentative de re-légitimation du régime répressif en place, que comme une quelconque reconnaissance de la légitimité du libre jeu des forces démocratiques.

Dans les faits, la période de libéralisation est marquée par une forte instabilité du régime autoritaire : le président de l’époque, le général Viola, a été renversé par la tendance dure du régime opposée à la libéralisation, et remplacé par le général Galtieri. Mais ce dernier ne ferma pas totalement le jeu politique et ne remit pas véritablement en cause le processus de libéralisation entamé par son prédécesseur.

Malgré plusieurs tentatives en vue de la démocratisation à long terme, l’opposition incarnée par la Multipartidaria jusque-là restée très passive, adopta un ton de plus en plus critique face au régime autoritaire et les dissensions au sein même du régime en place ne cessèrent de s’intensifier. La situation de crise était explosive et la cote de popularité des militaires, au plus bas.

C’est pour cette raison que le général Galtieri décida de lancer la pays dans l’aventure de la guerre des Malouines. L’idée était de rassembler la nation toute entière autour d’une même cause, lui faisant oublier les dissensions du moment et modérer ses revendications. La guerre des Malouines fut déclenchée le 2 avril 1982. Tout le monde, à l’exception de quelques personnalités (comme Alfonsín), se laissa prendre au piège. En effet, si durant le conflit les dirigeants des différentes forces politiques n’ont pas soutenu le régime en tant que tel, ils n’ont à aucun moment contesté la légitimité de l’opération militaire. Quant à la société civile, elle s’est laissée emporter par l’émotion patriotique car si elle n’appuya pas toujours le régime, elle accepta toutefois de modérer ses revendications pendant la durée du conflit.

II. Le vide politique de l’après-guerre

Au sortir de cette guerre qui se solda par un échec cuisant des troupes argentines, le régime autoritaire qui avait joué là sa dernière carte, ne pouvait bien évidemment plus prétendre à aucune forme de légitimité (mais notons que la Multipartidaria ne parvint jamais à constituer une alternative au pouvoir). Il était désormais question pour le gouvernement militaire de gérer le retour aux institutions démcoratiques.

Toutefois, il est important de souligner que les derniers tenants du régime autoritaire comptaient apaiser le peuple en annonçant la restauration de la démocratie. Ils pensaient ainsi retrouver une capacité de négociation face à la Multipartidaria. Cette dernière avait une attitude peu offensive et la société civile - en état de mobilisation permanent - percevait très mal ce manque de détermination. C’est sur cette force que Raúl Alfonsín s’appuya, afin d’apparaître comme une véritable alternative au pouvoir, non seulement face au régime militaire, mais également face au péronisme affaibli.

III. La naissance d’une alternative au pouvoir : stratégie de « délégitimation » des acteurs politiques traditionnels

Alfonsín adopta une stratégie générale de mise à l’index des groupes de pouvoir (forces armées, organisations syndicales et patronales…) : il mit tous les moyens en oeuvre afin d’apparaître comme LE candidat de toutes les forces démocratiques et non pas simplement comme le candidat du radicalisme. C’est ainsi qu’en se présentant comme l’incarnation de la démocratie et de la stabilité politique, il gagna le soutien de larges secteurs de la société et notamment de ceux qui votaient traditionnellement en faveur du parti Justicialiste. Il déploya tous les moyens nécessaires pour valoriser sa stratégie mais aussi sa personne : les gens devaient voter pour lui non seulement parce qu’ils soutenaient ses convictions et son programme, mais également parce qu’ils admiraient la personne même d’Alfonsín. C’est en ce sens qu’Isabelle Bouvier considère très justement que « l’élection d’Alfonsín à la présidence de la République ne doit pas être interprétée comme la victoire d’une approche idéologique sur une autre, mais comme celle d’une stratégie politique personnelle en vue de la transition à la démocratie. » (3)

Notes :

(1) : Alain Touaine, La parole et le sang, Paris, Ed. Odile Jacob, 1998, p.431.

(2) : Isabelle Bouvier, Les chemins incertains de la démocratie en Amérique latine, Paris, Ed. L’Harmattan, 1993, p.43.

(3) : Isabelle Bouvier, op. cit., p.57.