Alia Al Jiboury, novembre 2006
Les Etats-Unis et la guerre contre le terrorisme
Le concept et ses débouchés au Moyen-Orient.
Les Etats-Unis et « la guerre contre le terrorisme » au Moyen-Orient
Après les attentats qui ont frappé les Etats-Unis le 11 Septembre 2001, le président G.W Bush nouvellement élu passa d’une politique étrangère apparemment prévue pour être la moins interventionniste possible, à une politique étrangère essentiellement basée sur la « guerre contre le terrorisme ».
Cette nouvelle définition des relations extérieures américaines a permis aux néo-conservateurs de passer de la théorie à la pratique, grâce à la confiance du président américain. C’est dans cette optique que l’actualité au Moyen-Orient est directement influencée et que le projet du « Grand Moyen-Orient » a été créé.
Mais en quoi consiste concrètement cette « guerre contre le terrorisme » ?
Dans une première partie nous verrons sa définition et sa mise en pratique, puis dans une deuxième partie nous aborderons ses limites.
I. Le concept et les aboutissants de la « guerre contre le terrorisme »
Le concept de guerre contre le terrorisme a marqué définitivement la fin de la vision des relations internationales établie durant la Guerre froide. La « guerre contre le terrorisme » s’oppose de deux manières aux théories prédominantes durant 40 ans dans le monde.
Tout d’abord, la « Guerre Froide » a concerné deux puissances dans une lutte de domination stratégique du Monde, et les autres Etats devaient adopter une position neutre ou choisir l’un des camps. Les deux puissances se sont affrontées de manière indirecte, à armes égales, par des luttes d’influences à travers l’utilisation de certains Etats aboutissant parfois à des affrontements. Mais la lutte s’est toujours effectuée d’Etat à Etat, dans un cadre déterminé et précis commun aux deux puissances. Les concepts étaient partagés par les deux camps et en vigueur des deux côtés.
Or, la « guerre contre le terrorisme » décrété par l’administration américaine, n’a pas pour but de viser un Etat précis, mais prétend lutter contre un phénomène inter-étatique flou et difficile à identifier. L’ennemi ne joue en aucun cas au même niveau que ses adversaires et utilise des moyens non conventionnels. Pour pallier à cette difficulté, le Président G.W Bush annonça dans son discours du 21 Septembre 2001 devant le Congrès : « Qui n’est pas avec nous est contre nous »(1). Cette courte citation signifia que contrairement à tout principe de consultation, les Etats-Unis exigeaient de tous les Etats qu’ils choisissent un camp :
-
soit celui de soutenir la politique américaine dans sa lutte contre le terrorisme de manière ouverte et claire ;
-
soit celui dans l’autre cas d’être considéré comme des soutiens du terrorisme.
A l’instar de la période de la « Guerre Froide », les Etats-Unis adoptèrent une vision binaire des relations internationales, mais là où dans le passé les théoriciens utilisaient des justificatifs stratégiques et idéologiques, aujourd’hui des concepts appréciatifs tels « le bien et le mal » ont remplacés ceux-ci, basés sur un vocabulaire directement inspiré de la religion et couramment utilisés. Ainsi les relations internationales furent entièrement redéfinies et les Etats soutenant les Etats-Unis en leur fournissant des informations furent réhabilités au rang de partenaires malgré leur passé (ex : Russie ou Chine), tandis que les pays soupçonnés d’abriter des terroristes furent désignés comme des cibles au même titre que les terroristes.
La guerre contre l’Afghanistan des Talibans en 2001 fut la conséquence directe de cette redéfinition de la politique américaine.
La « guerre contre le terrorisme » de l’administration Bush s’oppose aussi aux théories des relations internationales en vigueur dans les années de « Guerre froide » et même encore dans les années 90, du fait qu’elle met fin à la « Real Politik » de Kissinger. En effet les Etats-unis s’astreignaient jusqu’à présent à défendre leurs intérêts stratégiques au Moyen-Orient de manière pragmatique, soutenant à tout prix les régimes qui leur étaient favorables (même dans le cas de dictature sanguinaire) et affaiblissant les puissances émergentes dans la région. Devant les limites de cette politique dans certains Etats incapables d’empêcher l’émergence des terroristes en leur sein, à l’instar de l’Arabie Saoudite et de l’Egypte, les néo-conservateurs proposèrent une autre manière de défendre leurs intérêts dans la région.
La « guerre contre le terrorisme » doit selon eux éradiquer le terrorisme de manière profonde en agissant directement sur l’organisation structurelle du Moyen-orient. Le but premier est toujours de défendre à tout prix les intérêts américains dans la région, mais l’approche est totalement différente. En 2002, apparaît officiellement la stratégie de guerre préemptive qui rassemble les deux ennemis des Etats-Unis que sont le terrorisme et les Etats ayant en leur possession des armes de destruction massive, pour éviter à tout prix la jonction de la technologie et de l’intégrisme.
Les Etats-Unis veulent insuffler à cette zone une nouvelle dynamique à travers la « guerre contre le terrorisme ». La volonté n’est plus de préserver le statu quo dans la région mais de transformer en profondeur le système. Ainsi, l’attaque de l’Irak en 2003 par les Américains et le renversement du régime de Saddam Hussein se révélèrent être une conséquence notamment de la volonté de redistribution des cartes dans le Moyen-Orient. D’autres éléments motivèrent cette action, mais la vision néo-conservatrice prévoyait avant tout que l’instauration d’une démocratie en Irak influerait sur toute la région.
Bien plus grave encore cette guerre en Irak au nom de la lutte contre le terrorisme redéfinit la position américaine vis-à-vis de la communauté internationale. Ainsi les Etats-Unis, au nom de la « guerre contre le terrorisme », ne s’arrêtèrent pas aux protestations internationales et à l’encontre de l’ONU décidèrent d’attaquer de manière unilatérale. Ce fut un choc pour la communauté internationale qui avaient à maintes reprises adopté des résolutions dans la dynamique de la lutte contre le terrorisme, mais qui à ce moment là, en 2003, se vit largement affaiblie par la décision américaine, contraire à la politique multilatérale des années 90.
Dans une autre mesure pour les Etats-Unis, l’intervention en Irak se révélait également vitale afin de repositionner ses troupes militaires dans le Moyen-orient. Or les attentats du 11 Septembre 2001 et la « guerre contre le terrorisme » lui offrirent la justification nécessaire(2).
L’Amérique grâce à la définition floue de son ennemi annonça en février 2004, son projet du « Grand Moyen-Orient », visant à démocratiser et développer cette région. Mais cette politique d’intervention et de pressions directes dans les pays faisait partie des mesures imposées et justifiées par cette guerre contre le terrorisme.
II. Les limites de la « guerre contre le terrorisme »
Comme expliqué précédemment, la « guerre contre le terrorisme » est un terme vaste et l’ennemi ne correspond pas aux ennemis classiques. Le terme de « guerre » a donc été de nombreuses fois contesté étant utilisé dans un cadre inédit. Le Droit International Humanitaire accepte deux types de guerre :
-
Un conflit armé international d’Etat à Etat ayant des frontières définies.
-
Un conflit armé non international opposant des groupes armés internes.
Or la « guerre contre le terrorisme », se définit par des actions policières, politiques et militaires contre un ennemi non conventionnel, laissant place à une libre interprétation de ces ennemis. Les Etats-Unis ont organisé cette lutte directe et indirecte à travers un interventionnisme actif. Cependant cette guerre semble être vouée à l’échec car la puissance des forces armées américaines rend toute tentative d’affrontement direct impossible et les modes d’intervention asymétriques sont la seule stratégie disponible pour les Etats et organisations qui veulent affronter les Etats-Unis.
Cette « guerre » déclarée au terrorisme ne fera qu’accroître l’envie revancharde de certains groupes victimes et étendra ce moyen d’action à des acteurs jusque là préservés. C’est en effet au moment où les Etats-Unis ont atteint le sommet de leur puissance qu’ils ont été frappés dans leur intégrité (3).
Certains néo-conservateurs vont même jusqu’à remplacer le terme de « guerre contre le terrorisme » par le terme de « quatrième Guerre mondiale » contre l’islam militant (4). Toujours selon ces mêmes penseurs, elle serait vouée à durer plus longtemps que la Première et Deuxième Guerre mondiale. C’est donc ainsi que les Etats-Unis pensent pouvoir couvrir toutes leurs actions dans l’avenir, dans la région tout particulièrement, sans avoir conscience des conséquences. La crainte de la communauté internationale tout comme de certains Américains, est que l’administration Bush sous couvert de la lutte contre le terrorisme mette finalement en application des choix bien antérieurs. Certains historiens américains comme Michael Howard s’interrogent sur la définition de « guerre contre le terrorisme » qui pourrait s’apparenter davantage à une opération de police étendue (5).
Une des limites les plus visibles de « la guerre contre le terrorisme » est très certainement le cas de l’Irak. En effet, ce pays attaqué sous prétexte d’entretenir des liens avec Al Qaeda et de détenir des armes de destruction massive est en réalité le pire échec de cette nouvelle politique américaine. Trois ans après la guerre les preuves de détention d’armes de destruction massive et de lien avec les islamistes sont absents. Pire encore l’Irak qui avait été préservée de l’implantation de groupes islamistes trans-étatiques de type mafieux est aujourd’hui le terrain mondial de prédilection des actes de violences terroristes. Le pays est la proie de groupes islamistes aux intérêts divergents qui viennent tirer profit de la situation chaotique de lutte pour le pouvoir stigmatisé faute d’absence de société civile par une lutte communautaire. L’Irak à l’heure actuelle est devenue, alors qu’elle en était préservée sous Saddam Hussein, un nouveau pays incontournable dans le trafic de la drogue. De plus les Américains semblent être pris au piège dans un pays qui voit sa situation se détériorer de jour en jour, ternissant gravement leur image et par là-même les idées qu’ils veulent promouvoir. Les Etats-Unis en attaquant l’Irak ont été perçus par les populations arabes comme des envahisseurs dangereux voulant mettre la main sur les réserves naturelles irakiennes. Loin d’avoir apaisé la situation, l’Irak a ouvert un nouveau front de cristallisation des opinions arabes au Moyen-Orient. La théorie du complot américano-sionniste est de plus en plus présente et empire au fur et à mesure que la situation en Irak, mais aussi en Palestine se détériore.
La « Guerre contre le terrorisme » de par la largeur de son concept a laissé le champ libre à des pratiques illégales. Le traitement des prisonniers de Guantanamo est révélateur de cette nouvelle donne. En effet, la Convention de Genève prévoit une définition précise du statut de prisonnier de guerre(6).
Article 4
Sont prisonniers de guerre, au sens de la présente Convention, les personnes qui, appartenant à l’une des catégories suivantes, sont tombées au pouvoir de l’ennemi :
-
1) les membres des forces armées d’une Partie au conflit, de même que les membres des milices et des corps de volontaires faisant partie de ces forces armées ;
-
2) les membres des autres milices et les membres des autres corps de volontaires, y compris ceux des mouvements de résistance organisés, appartenant à une Partie au conflit et agissant en dehors ou à l’intérieur de leur propre territoire (...)
-
3) les membres des forces armées régulières qui se réclament d’un gouvernement ou d’une autorité non reconnus par la Puissance détentrice;
-
4) les personnes qui suivent les forces armées sans en faire directement partie (...) ;
-
5) les membres des équipages, y compris les commandants, pilotes et apprentis, de la marine marchande et les équipages de l’aviation civile des Parties au conflit qui ne bénéficient pas d’un traitement plus favorable en vertu d’autres dispositions du droit international ;
-
6) la population d’un territoire non occupé qui, à l’approche de l’ennemi, prend spontanément les armes pour combattre les troupes d’invasion sans avoir eu le temps de se constituer en forces armées régulières.
Or une grande partie des prisonniers de Guantanamo a été arrêtée en Afghanistan donc sur le terrain des opérations, mais les Etats-Unis refusent de leur attribuer le statut de prisonniers de guerre violant le droit international. Ils ont choisi de les définir comme des « combattants illégaux » utilisant un statut inconnu du droit international. De plus, les autorités américaines ont fait un choix volontaire d’implanter la prison de Guantanamo en dehors du territoire national se protégeant ainsi des lois américaines qui auraient pu être revendiquées par les prisonniers. De nombreux cas de tortures ont été dénoncés et l’interdiction pour les organisations humanitaires d’y accéder ne fait que rendre la situation ambiguë. De plus, aux Etats-Unis, un tribunal fédéral américain a contesté ce procédé et la Cour Suprême a été saisie. Pour finir, le statut de « combattants illégaux » qui était attribué dans un premier temps aux prisonniers d’Afghanistan est aujourd’hui attribué par le Secrétariat de la Défense aux personnes qui sont certifiées appartenir à un mouvement terroriste international ou en être complice, ce qui a laissé place à l’arrestation de personnes en dehors de l’Afghanistan dès lors qu’elles étaient accusées.
Mais il n’y a pas que Guantanamo, ainsi un scandale a éclaté en 2005 avec des personnes qui ont accusé les autorités américaines de les avoir enlevées au Canada mais aussi en Allemagne pour les déporter dans des prisons à l’étranger. Le gouvernement américain a fini par reconnaître ces faits et il s’est avéré que les prisons en question étaient soit dans les ex-pays de l’Est, soit au Moyen-Orient (en Egypte et en Syrie). Cette affaire a attisé une polémique entre l’Europe et les Etats-Unis autour de la question de la violation la plus totale des droits de l’Homme et des limites de la « guerre contre le terrorisme ».
Cependant aujourd’hui ce que l’on appelle « guerre contre le terrorisme » porte en son sein sa propre destruction. Une lutte basée sur un concept vague et unilatéral ne peut que dégrader la situation et faire de l’idée de démocratisation du Monde arabe, un projet perçu par la population comme un concept prosélyte et colonialiste. Les Etats-Unis avec cette guerre déclarée et surtout non limitée sont en train d’alimenter la colère ainsi que les revendications des peuples arabes et surtout arabes musulmans, qui se sentent agressés sans raison car les terroristes ne représentent qu’une minorité éclatée. Les islamistes du Monde arabe ont d’ailleurs très bien compris cette logique et leur avancée est symptomatique dans les pays où des élections libres ont eu lieu.
La question qui se pose actuellement à l’aube peut-être d’un tournant dans la stratégie américaine avec l’arrivée d’une majorité démocrate, est de savoir de quelle manière saura-t-on que la « guerre contre le terrorisme » a pris fin ?
Notes :
(1) « Washington et le Monde », P.Hassner et J.Vaïsse, p 111, CERI, autrement, 2003.
(2) « La politique américaine au Moyen-Orient », Barah Mikaïl, p234, Dalloz, 2006.
(3) « Vers la 4ème Guerre Mondiale ? », P.Boniface, p 92, Armand Collin, 2005.
(4) Idem, p 99.
(5) « Washington et le Monde », P.Hassner et J.Vaïsse, p 117, CERI, autrement, 2003.
(6) www.unhchr.ch site du Haut Commissariat aux droits de l’Homme