Astrid Fossier, Paris, juin 2003
La vision chinoise du conflit sino-tibétain et de la paix au Tibet
Libérer le Tibet de l’occupation impérialiste et libérer les Tibétains des affres du servage.
I. L’appartenance du Tibet à la Chine
Le gouvernement chinois revendique le Tibet depuis longtemps et appuie sa revendication sur l’ancienneté des liens entre les deux pays, liens qui remonteraient au mariage entre le roi tibétain Songtsen Gampo et la princesse chinoise Wencheng, au VIIIème siècle.
L’entrée des troupes communistes au Tibet en 1950 est appelée « Libération pacifique du Tibet ». Cette appellation permet de juger l’écart entre les deux visions, tibétaine et chinoise.
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Les Tibétains prennent comme preuve de leur indépendance passée les traités conclus avec des puissances étrangères tels que le Traité de Simla signé entre la Grande Bretagne, le Népal et le Tibet en 1914 ;
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Alors que de son côté la Chine assure qu’à cette époque, le Tibet était déjà sous domination chinoise. L’« Accord en 17 points » signé entre une délégation tibétaine et les officiels chinois en 1950 annonce ainsi en premier point que « le Tibet reviendra à la grande famille de la Patrie, de la République Populaire de Chine ». Aujourd’hui le point de vue du gouvernement chinois reste le même, évoqué en ces termes : « la soi-disant indépendance du Tibet prônée avec force par la clique du Dalaï Lama et les forces anti-chinoises internationales n’est en fait rien d’autre qu’un produit de l’agression des impérialistes contre la Chine durant la période moderne » …
II. Le Tibet sort de l’obscurantisme
Selon le gouvernement chinois, la « libération pacifique » est intervenue pour sauver le peuple Tibétain de l’esclavage et de la servitude dans lesquels il était plongé. Avec la libération des Tibétains de l’impérialisme occidental, la libération du peuple du servage dans lequel il était plongé est un des arguments majeurs qu’utilisa le gouvernement chinois pour légitimer l’usage de la force au Tibet. Ainsi peut-on lire dans le livre blanc sur la souveraineté chinoise la description suivante : « Avant la libération pacifique du Tibet sévissait dans la région le servage féodal, les bonzes de la couche supérieur et les aristocrates exerçaient une dictature (…). Ceux-ci représentaient moins de 5 % de la population du Tibet, mais possédaient la totalité des terres, des prairies, de forêts, des montagnes, des rivières, et le gros du cheptel (…). Les serfs représentaient plus de 90 % de la population de l’ancien Tibet (…). Au cours de la longue période du régime du servage féodal, les serfs et les éleveurs étaient opprimés sur le plan politique et exploités sur le plan économique. Ils vivaient dans la panique, de peur d’être persécutés d’un moment à l’autre (…). C’est ainsi que l’on peut dire que l’ancien Tibet était une des régions du monde où les droits de l’homme étaient le plus gravement violés ».
Pour les chinois, c’est la « libération » du Tibet qui a entraîné l’amélioration de la situation sociale du peuple Tibétain. Le Livre blanc sur la modernisation du Tibet déclare que « la fondation de la République populaire de Chine apporta un espoir aux Tibétains plongés dans un abîme de souffrance. Conformément à la règle du développement historique et en procédant dans tous les cas dans l’intérêt des Tibétains, le gouvernement populaire central concourut activement à la libération pacifique du Tibet et adopta de grandes résolutions et d’importantes mesures comme la réforme démocratique, l’application de l’autonomie régionale des minorités ethniques, la mise en place du processus de modernisation sur une grande envergure, ainsi que la réforme et l’ouverture etc. pour changer radicalement le destin du Tibet et stimuler énergiquement le développement de la société tibétaine ». C’est sur tous ces éléments que s’appuie aujourd’hui le gouvernement chinois pour démontrer la valeur de ses actions au Tibet. Dans un article intitulé « Une excellente période de développement du Tibet sur le plan économique et social », le gouvernement chinois annonce le résultat des réformes entreprises pour 2001. La croissance annuelle du Tibet serait de 12 %, avec un revenu annuel moyen des bergers qui dépasserait les 600 euros, ce qui est relativement élevé dans une région aussi éloignée de Pékin et si traditionnelle. Quant au revenu des citadins, il serait de plus 1 000 euros. Au niveau des échanges avec les pays étrangers, ceux-ci se seraient multipliés depuis la « libération pacifique », aussi bien sur les plans politique qu’économique et culturel. « Toutes ces mesures et avantages révèlent la haute considération et la préoccupation pour le Tibet et ses ethnies de la part du comité central du Parti Communiste Chinois », conclut ce rapport.
III. Le dialogue avec le Dalaï Lama impossible
Cependant cette considération éprouvée en faveur du Tibet n’inclut pas le Dalaï Lama et ses tentatives de dialogue. Au niveau politique, le Dalaï Lama est considéré par le gouvernement chinois comme un séparatiste qui a fui en exil pour mener de l’extérieur une lutte armée et fomenter des actes de terrorisme. Cette opinion serait partagée par 86 % des habitants de Lhassa ! Les autorités chinoises sont très claires quant à leur politique à l’égard des tentatives de dialogue et des propositions de paix du Dalaï Lama : ce dernier doit abandonner toute idée d’indépendance et reconnaître publiquement que le Tibet est une partie inaliénable de la Chine, tout comme Taiwan, et que le gouvernement central représente la totalité du territoire chinois. De plus, le gouvernement chinois s’oppose à ce que tout gouvernement étranger utilise le Dalaï Lama pour s’ingérer dans les affaires intérieures chinoises. Cette position est clairement expliquée dans le discours d’un responsable de la Commission des affaires étrangères de Chine en date du 29 Octobre 2001 : « La partie chinoise s’oppose à ce que tout pays et toute organisation internationale invite et rencontre, sous quelque forme et prétexte que ce soit le Dalaï Lama, tout en lui fournissant des lieux pour ses activités politiques de division ».
Mais malgré tout, la Chine déclare ne pas être opposée à réactiver le dialogue avec le gouvernement tibétain en exil, à condition toutefois que le Dalaï Lama ne soit pas l’interlocuteur direct. C’est avec ces conditions qu’une rencontre à eu lieu en Septembre 2002 entre deux envoyés spéciaux du Dalaï Lama, Lodi Gyari et Keltsang Gyaltsen, représentants du Dalaï lama aux Etats Unis et en Europe, et des officiels chinois. Ces deux envoyés ont pu effectuer une rapide visite au Tibet et se rendre à Pékin. Cette visite a surpris la communauté internationale, d’autant plus qu’elle suivait de peu une visite éclair du frère du Dalaï Lama, Gyalo Dhondup, au Tibet. Faut-il voir dans cette reprise du dialogue entre le gouvernement tibétain en exil et le gouvernement chinois une avancée positive, ou cela n’a-t-il qu’un but, celui de calmer les pressions internationales de plus en plus fortes depuis que la Chine a fait son entrée sur la scène mondiale ?
Notes
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Pour comprendre la vision chinoise du conflit sino-tibétain, on peut lire les différents livres blancs du gouvernement chinois, et notamment:
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« Tibet:souveraineté chinoise et droits de l’homme »
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« Le livre blanc sur la modernisation »
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