Celia Vasquez, Madrid, juin 2003
Le génocide rwandais aurait-il pu être évité ?
Les responsabilités de la Communauté Internationale en général et de l’ONU en particulier dans la gravité du génocide rwandais de 1994
Introduction
« Les opérations de maintien de la paix peuvent réussir lorsque le Conseil de Sécurité fixe des objectifs concrets, lorsque l’Assemblée générale affecte les ressources nécessaires, lorsque les pays fournissant des contingents envoient en temps voulu des effectifs suffisants, bien informés et équipés, enfin, lorsque les parties en cause font preuve d’un minimum de bonne foi. Tous ces éléments sont fondamentaux, mais le plus important réside dans la volonté politique des parties et du Conseil de Sécurité, faute de quoi les missions de maintien de la paix ont les plus fortes chances d’échouer » .
Ces propos de M. Kofi Annan touchent le point essentiel de la polémique autour du rôle de l’ONU au Rwanda. Au-delà des défaillances matérielles ou techniques qui ont pu connaître les contingents des Nations Unies, le manque de volonté politique est considéré majoritairement comme la cause principale d’une implication très peu engagée.
En ce qui concerne les défaillances de l’opération des Nations Unies, Mission des Nations Unies pour l’Assistance au Rwanda (MINUAR), il est important de souligner la non-assistance aux personnes en danger malgré le début des massacres ou la réduction des effectifs de la MINUAR à un chiffre symbolique, ce qui a diminué la confiance dans les forces de la communauté internationale. Cependant, peut-on tenir entièrement responsable de cette inaction à l’ONU ? Les compétences de cette instance internationale sont fortement assujetties à la volonté des Etats membres, qui elle-même est soumise aux intérêts politiques internes de chaque pays. Ainsi, une conjugaison de ces deux facteurs, les défaillances de l’ONU et les intérêts des acteurs étatiques (la volonté politique), doit être prise en compte pour toute analyse du rôle des Nations Unies au Rwanda.
Certaines études qui ont été réalisées sur le sujet montrent que les massacres auraient pu être évités ou, tout au moins, arrêtés en grande partie. D’autre part, l’échec des opérations de maintien de la paix ne s’est pas manifesté uniquement pendant les actes génocidaires de 1994, mais également bien avant du déclenchement des massacres, à savoir leur raison d’être : le respect des accords d’Arusha. Ce qui est mis en cause ici n’est pas seulement la réussite des MINUAR à exécuter leur mandat, mais également la capacité de l’ONU à mener des opérations de maintien de la paix. La crédibilité dans le système des Nations Unies est directement visée.
I. Les accords d’Arusha
Les accords de paix signés à Arusha le 4 août 1993 mettaient fin à la guerre entre le Gouvernement de la République Rwandaise et le FPR et constituaient une des lois fondamentales de la période de transition. Outre quelques clauses concernant l’accord de cessez-le-feu, le partage du pouvoir entre le gouvernement et le FPR ou encore l’intégration des forces armées des deux parties, le déploiement d’une force internationale s’est fait nécessaire. Malgré la préférence du FPR d’une force de l’OUA (proposition refusée par le Gouvernement rwandais qui soupçonnait l’OUA de soutenir le FPR), les forces de l’ONU ont été acceptées par les deux parties étant donné leur expérience dans le domaine.
La création d’une nouvelle opération de maintien de la paix ne comptait pas au départ avec énormément d’adeptes à cause de l’échec de la Somalie. Cependant, elle a vu le jour grâce à deux éléments importants : le consentement des parties à accepter une telle présence et le respect du cessez-le-feu. L’accord de déployer cette force onusienne au Rwanda ne signifiait pas une aide inconditionnée au pays, mais une aide au moindre coût et un engagement à court terme. L’échec de l’intervention des MINUAR au Rwanda a dépendu fortement des limites économiques fixées par l’ONU.
Quel était le rôle exact attribué à ces forces internationales ?
Le rôle principal des MINUAR est prévu dans l’accord sur l’intégration des forces armées des deux parties (article 54) où la demande d’une force internationale sur le territoire est expresse. D’une part, il est attendu le désarmement, la démobilisation et la sélection des militaires des parties qui seraient intégrés à l’armée nationale, ainsi que le déminage et la recherche des caches d’armes. D’autre part, un rôle plus spécifique de « gardien » de l’exécution des accords d’Arusha engageantt la force internationale à garantir la sécurité du pays, à vérifier la manière dont les autorités publiques assurent le maintien de l’ordre public et à garantir la sécurité de la distribution de l’aide humanitaire et de la population civile.
La mandat des MINUAR était premièrement un mandat de la force qui lui permettait de mener des opérations aussi bien de « peace-keeping » et de « peace-making » que de « peace-building » . Ce mandat de la force avait certaines faiblesses qui ont accéléré son échec. Les missions accordées à la MINUAR par l’ONU étaient plus restrictives que celles prévues par les accords d’Arusha : les Nations Unies limitent la protection de ses forces à la seule ville de Kigali, alors que les accords d’Arusha donnaient feu vert pour l’ensemble du territoire. Ensuite, le mandat est très peu interventionniste justifiant la présence des MINUAR par des actions uniquement de contribution, de supervision, d’aide ou d’enquête.
Le déploiement de la force devait suivre quatre phases: présence des MINUAR à Kigali jusqu’à l’établissement d’un gouvernement de transition, préparation de la démobilisation et du désarmement au lendemain de l’installation du gouvernement de transition, la réalisation de ce processus de transition et, finalement, la supervision des conditions générales de sécurité lors d’élections libres. Les effectifs des forces diminueraient à l’accomplissement de chaque étape. Malgré cette organisation par étapes de l’intervention des MINUAR, le passage à la phase deux n’a jamais pu se réaliser étant donné que le gouvernement provisoire ou de transition ne s’est jamais installé à Kigali.
Pourquoi cet échec?
Les moyens dont disposait la MINUAR étaient limités, restreignant son champ d’action. Quelques initiatives pouvaient être mises en avant afin de faire respecter les accords. Un moyen de pression consistait à menacer de retirer ses forces du pays si le processus de paix était bloqué. Ensuite, l’ONU pouvait organiser des rencontres politiques entre les deux parties. Le résultat de ces rencontres restait dans l’ensemble assez insatisfaisant. La force internationale n’était pas équipée et armée correctement : aucune ambulance, des véhicules non blindés pour le transport des troupes. Ces carences répondaient à l’appel de la résolution 872 de diminuer les effectifs des MINUAR sans que cette réduction l’empêche, cependant, d’assurer son mandat.
Cette contradiction évidente illustre bien le paradoxe qui régnait au sein des pays membres quant au mandat exact à donner aux contingents internationaux. Le fax du commandant Roméo Dallaire du 4 janvier 1994 illustre bien cette idée : les informations facilitées par ce fax parlent du déclenchement probable d’une guerre qui serait organisée par des Interahamwe contre des Tutsi. A cette fin, des soldats seraient formés et des armes distribuées. Le commandant Dallaire demande dans le communiqué la saisie des armes retrouvées qui confirment la véracité de telles informations. Malgré quelques efforts de prévention et d’information sur la situation, les exigences de Dallaire n’ont pas été exécutées, considérant qu’elles ne rentraient pas dans le champ de compétence de la MINUAR.
Ce refus de permettre aux forces internationales de chercher des caches d’armes allait en réalité à l’encontre des compétences attribuées à la MINUAR dans les accords d’Arusha. Cette décision a été prise par le Secrétariat de l’ONU et non par le Conseil de Sécurité, qui, lui, aurait été obligé de faire face à ses responsabilités. On voit ici l’existence d’un mandat de la MINUAR ambigu, incapable de faire face aux hostilités précédant les massacres. Ce manque de volonté politique et économique d’élargir le mandat des MINUAR augmentera une fois le génocide déclenché.
II. Les opérations de maintien de la Paix pendant le génocide
Le contingent de l’ONU au Rwanda s’est retrouvé dans une situation difficile par le début des massacres provoqué par l’attentat du 6 avril 1994. Les conséquences de celui-ci étaient le non respect du cessez-le-feu et la reprise des affrontements entre le FPR et les FAR. En quoi ces deux éléments remettaient en cause la mission de la MINUAR ? Le mandat des contingents de l’ONU visait principalement à garantir les accords de paix et le cessez-le-feu entre les parties. Une fois les hostilités manifestées, la mission de la MINUAR n’avait plus de raison d’être d’après la résolution 872 qui l’avait adoptée. Sous les pressions du Gouvernement Belge, (retirant ses casques bleus du Rwanda suite à l’assassinat de dix d’entre eux) et celles du Bangladesh (le principal pays envoyant des casques bleus qui demande le retrait du contingent afin d’assurer sa sécurité), le Secrétaire général de l’ONU annonce le 20 avril 1994 l’impossibilité des troupes internationales de continuer à remplir ses fonctions sur le territoire rwandais étant donné l’évolution de la situation.
Quelle réponse de la MINUAR au génocide ?
Un rapport est publié par le Secrétaire Général de l’ONU ce même 20 avril 1994 dans lequel la priorité de la MINUAR est de s’efforcer d’obtenir un cessez-le-feu entre les parties « belligérantes » et de renouer les accords de paix. D’autres points sont développés: la protection du personnel civil des Nations Unies, du reste de la population civile (étrangers ou rwandais), l’évacuation des civils étrangers et une aide humanitaire aux personnes déplacées.
La détermination d’inciter les parties à engager un cessez-le-feu montre bien l’inadaptabilité des dispositions de l’ONU à la crise. Pourquoi une telle obstination ? La reprise des combats serait la cause des massacres, niant ainsi une logique génocidaire qui prévalait déjà avant le début des affrontements. Il est étonnant également de noter la recherche d’une réponse politique au conflit par le Secrétaire général, alors que la priorité était de sauver des vies humaines.
Y a-t-il une logique derrière l’inaction des MINUAR ?
La non intervention des forces internationales tant critiquée par des nombreux pays suivait, paraît-il, une logique juridique. La MINUAR étant soumise au chapitre VI, les combats ne rentraient pas dans le champ de compétences des Opérations de Maintien de la Paix. L’usage à la force n’était légitime qu’en cas de légitime défense et en dernier recours. Les cas de légitime défense sont énumérés par l’actuel Secrétaire général, Kofi Annan : la défense de soi-même, d’une autre personne, de son unité, d’un poste, d’un convoi, de locaux, de matériel ou d’armes. Malgré ce concept de légitime défense, le droit d’intervenir militairement n’est pas prévu.
Des critiques sont adressées à cet argument « juridique » avancé par l’ONU, à savoir qu’une volonté politique précise aurait pu interpréter le mandat des Opérations de Maintien de la Paix de telle sorte qu’une étendue du mandat de la MINUAR puisse arrêter les massacres. D’autre part, des doutes existent sur la capacité de cette force de mener des actions de sauvetage à cause des moyens limités dont elle disposait.
Des effectifs réduits par le Conseil de Sécurité
Le rapport du Secrétaire général déjà mentionné du 20 avril 1994 propose trois alternatives à la situation de la MINUAR dans le conflit :
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un renforcement immédiat et massif de la MINUAR.
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une réduction de ses effectifs à un groupe limité qui resterait à Kigali pour essayer d’obtenir un cessez-le-feu.
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le retrait pur et simple de la force.
La deuxième alternative est préférée aux deux autres, celle-ci sera votée au Conseil de Sécurité le 21 avril 1994. Malgré l’adoption d’une telle position, un certain nombre de pays, dont le Nigéria, le Djibouti et l’Oman, s’alignaient autour de la première option. La position opposée était celle des Etats-Unis qui soutenaient le retrait pur et simple des forces de la MINUAR.
Cependant, le 13 Mai 1994, le Secrétaire général propose d’augmenter les effectifs à 5 500 et d’établir un mandat centré sur la protection des civils et l’aide humanitaire. En dépit de quelques demandes de s’appuyer sur le chapitre VII autorisant le recours à la force (dont la France), celui-ci n’a pas été évoqué par le Secrétaire général. Par ailleurs, la résolution qui devait renforcer les troupes internationales ne sera pas appliquée immédiatement faute de trouver les pays qui fourniraient les soldats et le matériel requis. Face à cette immobilisation de la MINUAR, la France proposera, par la suite, de mettre en place l’opération turquoise.
III. La Responsabilité de la Communauté Internationale
L’inaction des forces de la communauté internationale pendant les premiers quinze jours du génocide a entraîné des conséquences graves dans la résolution du conflit, car cet intervalle de temps sans intervention internationale a permis aux organisateurs des massacres de recruter des soldats et des civils pour les opérations de tuerie.
Les raisons de la non intervention par pays
La Belgique, en tant qu’ancienne colonie au Rwanda, était toujours restée très impliquée dans le pays. La présence de casques bleus belges a suscité de nombreuses critiques au sein de la communauté internationale vu le soutien historique de ce pays au Tutsi, ce qui était considéré comme un élément renforçateur des violences. Malgré ces craintes et les dispositions des Nations Unies qui stipulent qu’un pays impliqué dans une zone ne doit pas participer aux opérations de maintien de la paix qui s’y déroulent, les autorités belges avaient la volonté de maintenir leur contingent sur place. Par la suite, le retrait immédiat dudit contingent suite à l’assassinat de dix de ses soldats, a accéléré la réduction du mandat de la MINUAR.
En ce qui concerne les Etats-Unis, la crise rwandaise était loin de toucher leurs intérêts économiques et politiques, ce qui les a poussé à ralentir systématiquement l’envoi d’une force de secours. A titre d’exemple, une directive présidentielle du président Bill Clinton du 5 mai 1994, se référant aux opérations de maintien de la paix, souligne que les Etats Unies ne soutiendront financièrement ou militairement que si celle-ci fait progresser les intérêts nationaux américains.
La France, quant à elle, était motivée par la défense de sa zone d’influence francophone.
Finalement, outre les raisons déjà évoquées, l’ONU voulait éviter un nouvel échec des opérations de maintien de la paix, comme c’était le cas en Somalie.
Quelles ont été les erreurs de la MINUAR ?
Les Nations Unies ont créé l’opération Mission des Nations Unies pour l’assistance au Rwanda (MINUAR). Son intervention était tardive, sa mission ambiguë, les moyens très limités. De nombreuses erreurs peuvent être évoquées expliquant un tel désengagement de la communauté internationale.
Premièrement, les Nations Unies ont manqué de mettre en place un dispositif diplomatique influent et efficace. Chaque réponse donnée à la crise se suivait d’un manque de suivi et d’action opérationnelle. Ainsii bien que l’ONU a dénoncé les violations aux Droits Humains, aucune sanction politique, financière ou autre n’a été mise en œuvre afin de faire respecter ces droits au gouvernement intérimaire. On peut évoquer également les efforts de la MINUAR d’assurer le retour des réfugiés sans que leur sécurité soit garantie une fois sur le sol rwandais. Ensuite, le manque de moyens dont disposait la force des casques bleus a transformé les Nations Unies en un simple spectateur au lieu d’un acteur faisant respecter les dispositions des accords d’Arusha.
Il faut évoquer également le manque d’analyse du conflit par l’ONU et du rôle que celle-ci devait jouer dans la crise. La communauté internationale a considéré le conflit comme une guerre et non comme un génocide. Par conséquent, le rôle qu’elle prônait était celui de médiation entre les parties. Cependant, le problème de cette appréciation est de chercher à engager un processus de paix alors que les parties au conflit avaient engagées, elles, une logique de guerre. Ainsi, la réponse de MINUAR et, donc, de l’ONU, n’était pas adaptée à la nature du conflit et sa gravité.
Une autre erreur commise par les Nations Unies est liée aux opérations de maintien de la paix elles-mêmes. Les différents contingents participant au conflit étaient de nature très diverses, hétérogénéité qui a joué en défaveur de la MINUAR.
D’autre part, la lenteur avec laquelle les troupes internationales ont été mobilisées à cause de la volonté politique et la difficulté de trouver des ressources humaines, ont étaient également défavorables à la résolution du conflit.
La MINUAR a connu une évolution de son mandat très disparate, à l’image de l’incertitude politique qui régnait à New York. Les missions de la force internationale sont passées d’assurer les accords de paix à avoir un rôle humanitaire ou à assurer l’installation d’une structure politique stable. L’ONU a perdu une certaine crédibilité du moment où les décisions successives qu’elles a prises étaient perçues comme étant irréfléchies, improvisées et, parfois, contradictoires.
Finalement, par le refus de reconnaître dès le départ comme un génocide les massacres qui étaient en train de se commettre au Rwanda, l’ONU transmettait le message que la communauté internationale n’était pas concernée par la situation. Il s’agissait, ainsi, d’une guerre civile, l’aide internationale n’étant pas à l’ordre du jour.
Actions qui auraient pu éviter le génocide
Alison De Forges avance certaines hypothèses, qu’il me semble pertinent d’évoquer ici, sur les actions qui auraient pu être engagées par l’ONU afin d’éviter le génocide.
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1) Dénoncer le génocide collectivement et individuellement dès les premiers jours des massacres, sans avoir recours nécessairement à une force militaire ou à des dépenses supplémentaires. Il est vrai que le refus de reconnaître le génocide en tant que tel a empêché la communauté internationale d’envisager d’autres solutions moins coûteuses et, peut-être, plus efficaces. Cette dénonciation aurait pu se manifester sous plusieurs formes : condamner le mal, avertir le monde des conséquences ou encore nommer les autorités responsables. Ce dernier moyen aurait démontré au Rwanda que les organisateurs du génocide étaient considérés des hors la loi par la Communauté Internationale.
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2) Le Rwanda dépendait fortement de l’aide étrangère. Les pays donateurs et la Banque Mondiale avaient menacé à plusieurs reprises le Gouvernement rwandais d’arrêter l’aide apportée. Une condamnation publique, accompagnée d’un avertissement explicite de ne jamais financer un gouvernement génocidaire, auraient montré aux rwandais que le Gouvernement intérimaire ne comptait pas avec l’appui de la communauté internationale et les auraient dissuadés de suivre les ordres des organisateurs du génocide.
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3) L’ONU aurait pu également interrompre les émissions de la RTLM et de la radio rwandaise qui incitaient la population à commettre les massacres, à ériger des barrières, à fouiller les maisons ou à attaquer. Une intervention de la communauté internationale dans ce sens aurait pu éviter que les citoyens suivent les instructions radiophoniques données par les organisateurs du génocide. Le manque de volonté politique internationale se fait évidente dans ce cas précis. Les opérations de maintien de la paix qui étaient le mandat des MINUAR doivent pouvoir se servir des stratégies d’informations, dont le contrôle des émissions de radio. Ce n’est qu’en février 1995 que les MINUAR obtiennent des fréquences, ce qui lui a permis d’établir une station radio couvrant la majeure partie du territoire rwandais.
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4)L’ONU a continué de collaborer avec le représentant rwandais au Conseil de Sécurité. Sa démission n’a pas été demandée et il a assisté à toutes les discussions du Conseil sur le Rwanda. Un refus de collaborer avec ce représentant aurait été une position symbolique importante.
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5)Un embargo sur les armes à destination du Rwanda aurait contribué à diminuer la légitimité du gouvernement génocidaire. Malgré l’usage d’armes telles que les machettes ou les gourdins, la plupart des tueries contre les Tutsi étaient commises avec des armes à feu. Selon Alison De Forges, cet embargo constituait un moyen peu coûteux et efficace de manifester la condamnation des Nations Unies.
Il est clair que le fait que le génocide soit mêlé à la guerre compliquait les efforts de finir l’extermination. Une impasse s’est manifestée lors des affrontements entre le FPR et les organisateurs du génocide. Au fur et à mesure que le FPR avançait, celui-ci exigeait l’arrêt des tueries comme condition préalable au cessez-le-feu. De son côté, le gouvernement intérimaire demandait le cessez-le-feu comme condition à l’arrêt du génocide. Selon les mots d’Alison De Forges dans son ouvrage « Aucun témoin ne doit survivre » , le génocide a été utilisé comme excuse pour faire la guerre et la guerre comme excuse pour commettre le génocide.
IV. Le Tribunal Pénal International pour le Rwanda
Une fois reconnu le génocide rwandais par les Nations Unies, un pas crucial a été franchi par le Conseil de Sécurité en créant le Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR). Suite à la reconnaissance de violations graves de droit humanitaire, le Conseil de Sécurité des Nations Unies a adopté la résolution 955 (1994) du 8 novembre 1994, agissant en vertu du chapitre VII de la Charte des Nations Unies. La raison d’une telle décision est la volonté de collaborer à la réconciliation nationale au Rwanda ainsi que d’amener la stabilité et la paix à la région.
Ce tribunal a été créé pour « juger les personnes présumées responsables d’actes de génocide et d’autres violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire du Rwanda et les citoyens rwandais présumés responsables de tels actes ou violations du droit international commis sur le territoire d’États voisins entre le 1er janvier et le 31 décembre 1994 » . La particularité du TPIR réside justement dans cette limite des dates car le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie ne connaît que la date de début de ses compétences.
De nombreux succès sont à noter depuis la création du TPIR. En ce qui concerne le nombre de procès engagés, le Tribunal a accusé plus de soixante dix personnes dont soixante ont été arrêtées et transférées. Dix affaires parmi celles des appréhendés ont été jugées donnant lieu à neuf condamnations et un acquittement. En général, le nombre total des affaires jugées et des procès en cours concerne presque la moitié des personnes arrêtées.
Un centre de détention spécialement créé pour garder en détention les personnes qui suivent un procès a été construit et est géré par les Nations Unies elles-mêmes..
Les témoins bénéficient d’une protection spéciale afin d’éviter les représailles et de respecter leur anonymat. Le Tribunal peut faire venir les témoins ou les victimes, les faire témoigner et de les ramener en toute sécurité et meme leur faciliter une nouvelle identité si nécessaire.
De nombreuses critiques sont adressées à ce mécanisme de protection des témoins. Certes, il est crucial que les jugements se basent sur des témoignages sans lesquels les procès n’auraient pas la même force juridique. Cependant, la protection ne couvre que le voyage de retour, les victimes étant laissées sans protection une fois rentrées. D’autre part, le fait de les installer sur un territoire tiers sous une autre identité peut nuire l’équilibre psychologique des victimes qui devront vivre désormais avec la pression d’une autre identité.
Un autre élément positif de la création du TPIR est la base jurisprudentielle qu’il facilitera et dont bénéficiera la Cour Pénale Internationale.
Le TPIR est perçu comme le tribunal qui a permis de passer de « la culture de l’impunité » à « la culture de la responsabilité » .
En ce qui concerne la justice internationale, le rapport 2002 de l’ONG Human Rights Watch, détaille les difficultés rencontrées par le TPIR pendant cette année. Le Gouvernement rwandais a mis des obstacles aux voyages des témoins de l’accusation et refusé à l’accusation l’accès à certains documents dont elle a besoin pour continuer le déroulement du procès contre des membres du FPR pour des crimes de guerre commis en 1994.
Par ailleurs, le TPIR a amendé ses règles de fonctionnement pour permettre le transfert de détenus vers des tribunaux nationaux, en accord avec les pays qui les ont arrêtés. Cependant, une difficulté se présente, à savoir le refus de la plupart des Etats de transférer ces détenus tant que la peine de mort sera appliquée au Rwanda.
L’Union Européenne, de son côté, a rencontré à deux reprises pendant l’année 2002 le ministre des affaires étrangères du Rwanda afin de dénoncer les restrictions à la liberté de la presse et à la liberté d’association. L’UE a versé 155 millions de dollars d’assistance au Rwanda et 4 millions de dollars supplémentaires aux ONG locales et internationales. La Cour Suprême du Rwanda recevra 475 000 dollars pour sa reconstruction. De nombreux pays européens, dont le Royaume-Uni, la Belgique, les Etats-Unis ou les Pays Bas, donnent également une aide bilatérale au Rwanda visant aussi le respect de la liberté de presse ou encore le soutien à l’indépendance des Gacaca.
On constate que, malgré des difficultés techniques ou de fonctionnement, le TPIR réussit à juger et inculper de plus en plus de suspects pour commettre le génocide ou y avoir participé. Sa création était le résultat d’une volonté politique des Etats membres des Nations Unies d’incriminer les organisateurs du génocide, les exécuteurs et les participants de quelque manière que ce soit. Il reste à savoir si le Tribunal pourra remplir ses fonctions et ses compétences en dépit des restrictions des Etats, notamment du Rwanda, et des obstacles économiques ou techniques. La mission essentielle du TPIR restera la protection des victimes et des témoins sans lesquels le Tribunal ne pourrait pas continuer à fonctionner.
Conclusion
Nous avons essayé de retracer l’intervention des Nations Unies dans le conflit rwandais afin d’atteindre le processus de paix ainsi que le rôle qu’elles ont joué dès les premiers jours de la crise et du génocide.
Qu’il s’agisse du respect des accords d’Arusha par les parties ou des opérations de maintien de la paix par la suite, on a vu que le manque volonté politique d’intervenir qui dominait au sein de l’ONU et de la communauté internationale dans son ensemble, a fragilisé la crédibilité de l’organisation et a mis en cause sa capacité de mener des opérations de maintien de la paix. Les propos du Secrétaire général de l’ONU expliquant ce manque d’intervention des Nations Unies sont assez explicites et montrent bien ses limites. La volonté de l’ONU est la volonté des Etats qui la composent. Les intérêts propres des Etats et les relations diplomatiques priment très souvent sur l’intérêt de la communauté internationale ou de la sécurité d’une population, comme il a été le cas du Rwanda.
Les défaillances du système onusien lors des accords d’Arusha et avant le début du génocide de 1994 résident dans le manque de capacité de rassemblement, pour autant nécessaire pour faire respecter les accords par les deux parties. Le partage des pouvoirs ne s’est pas suivi d’une véritable campagne d’incitation au respect des accords par les deux parties. L’impassibilité l’a emporté.
La non intervention de la communauté internationale une fois que le génocide s’est déclenché illustre bien le manque de volonté politique, basée sur des arguments notamment économiques, qui a prévalu pendant cette année 1994. Les causes d’un tel manque étaient, dans un premier temps, le refus de reconnaître le génocide en tant que tel. Ensuite, les moyens limités dont disposait la MINUAR affaiblissant son mandat et l’impact de sa mission. Finalement, le manque de volonté politique s’est manifesté également à travers une erreur de perception sur les causes du conflit. S’agissait-il d’une guerre civile où de massacres à grande échelle de civils innocents, ou d’un génocide ? La réponse étant une guerre civile, l’ONU a concentré ses efforts diplomatiques et militaires avec les opérations de maintien de la paix à chercher une solution par la médiation. Un accord de paix était devenu la priorité de la communauté internationale. Cependant, faut-il le considérer vraiment comme une erreur d’appréciation ou comme une action volontaire ? Il ne faut pas oublier les milliers de rwandais qui trouvaient la mort tandis que l’ONU cherchaient à trouver une solution pacifiste.
L’intervention des Nations Unies, aussi insuffisante qu’elle ait pu l’être, a permis pourtant de sauver de nombreux rwandais qui étaient sous sa protection.
Bien que l’ONU ait commis des erreurs d’appréciation ou qu’elle soit intervenue tardivement, la question est de savoir si une pression accrue des Nations Unies et des moyens plus puissants auraient pu vraiment empêcher le génocide. Certes, la responsabilité de la communauté internationale doit être assumée, mais ill ne faut pas oublier la responsabilité des organisateurs du génocide et ceux qui les ont soutenu.
Notes
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Ouvrages :
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Des Forges, Alison ; Human rights watch ; Fédération internationale des droits de l’homme, Aucun Témoin ne doit survivre, Karthala, Paris, 1999, 931 p.
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Jean-Claude Willame, L’ONU au Rwanda (1993-1995) : la communauté internationale à l’épreuve d’un génocide, Bruxelles : Ed. Labor ; Paris : Maisonneuve et Larose, 1996, 175 p.
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Rapports :
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Assemblée nationale. Commission de la défense nationale et des forces armées, Rapport d’information par la mission d’information de la Commission de la défense nationale et des forces armées et de la Commission des affaires étrangères, sur les opérations militaires menées par la France, d’autres pays et l’ONU au Rwanda entre 1990 et 1994. Tome I, Paris : Assemblée Nationale, 1998, 393 p. : www.assemblee-nationale.fr
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Sites :
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Site officiel du Tribunal Pénal International pour le Rwanda (ICTR en anglais) : www.ictr.org
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Site officiel des Nations Unies : www.un.org
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