Cyril Musila, Paris, mai 2003
Burundi et République Démocratique du Congo : la paix en pointillés, la paix malgré tout…
Deux conflits en cours dans la région des Grands Lacs seraient-ils enfin en voie de résolution ?
La région des Grands Lacs semble s’acheminer vers la résolution de deux de ses conflits, à savoir ceux de la République Démocratique du Congo et du Burundi. En effet, une série de déclarations et de faits constatés dans ces deux pays depuis mars 2003 poussent à y voir des signes d’une transformation positive ou d’une résolution des conflits.
Il s’agit, pour la République Démocratique du Congo, des désignations des vice-présidents qui devront animer avec le président Joseph Kabila la transition et la mise en place des institutions jusqu’aux élections générales prévues dans un peu moins de deux ans. Cela rentre dans le plan des Accords de paix paraphés fin mars 2003 en Afrique du Sud afin de mettre un terme à la guerre qui détruit ce pays depuis 1998.
Quant au Burundi, après de longues tractations dans un contexte de violence faisant suite à l’assassinat du président hutu Melchior Ndadaye en 1993, les Accords d’Arusha pour un cessez-le-feu et une organisation de la transition pour le partage du pouvoir ont inauguré une étape importante fin avril 2003. Le président tutsi Pierre Buyoya, arrivé au pouvoir par un coup d’Etat en 1998, sur le principe de l’alternance, a cédé la présidence au hutu Domitien Ndayizeye qui était son vice-président.
Si des pistes de paix se dessinent sérieusement pour les deux pays et l’ensemble de la région des Grands Lacs, c’est surtout les nombreuses pressions nationales et internationales, les aspirations à la paix et la lassitude des guerres au sein des opinions publiques qui infléchissent la courbe vers la résolution des conflits.
Les quelques signes de bon augure au sommet des deux Etats concernent les parties qui jouaient des rôles primordiaux dans les conflits de leurs pays respectifs. Cependant, si ces évolutions contiennent une dynamique positive et constituent en soi un indice pour un cheminement vers la paix dans chacun de deux pays, il reste bien vrai que ces chemins nationaux sont encore bien longs et semés d’embûches. Car un certain nombre d’acteurs et de groupes armés – dont les mouvements rebelles et des milices diversement motivés - se sont montrés indifférents, sourds voire hostiles à cette évolution.
Mais c’est dans l’aspect « holistique » de tous ces conflits que les interrogations sont plus profondes et les efforts à engager plus intenses. Il s’agit de la philosophie au cœur de ces conflits, de leurs dimensions régionales (dans une région des Grands Lacs difficile à limiter au sein d’une Afrique Centrale elle-même à géométrie et à dynamiques variables), des inter-connections et de la complexité observés entre les différentes échelles (foncières, identitaires, socio-économiques, politico-militaires, etc.) qui ont rendu le terrain plus que jamais mouvant. Si les thématiques nationales des conflits remuent positivement, elles ne suffisent donc pas. Ma conviction et mon analyse ont tendance à affirmer qu’il faut prendre en considération les dimensions variées et régionales de ces conflits locaux ou nationaux qui se sont emboîtés en un système, si on veut donner une chance à la paix.
Sans ambition de tracer des perspectives ni de s’aventurer à des prévisions sur ce terrain perpétuellement mouvant et indécis, l’exercice de cette fiche est de mettre en éclairage quelques évolutions « positives » enregistrées ainsi que les zones d’interrogations auxquelles il convient d’attirer l’attention pour le proche avenir.
I. Signes d’une transformation positive mais pleine d’interrogations
Les indices les plus significatifs d’une évolution positive sont sans doute, en République Démocratique du Congo comme au Burundi, le processus progressif de l’application des différents accords de paix.
En République Démocratique du Congo, d’abord, c’est la nomination des vice-présidents appelés à « animer la transition » aux termes du Dialogue inter-congolais signé en Afrique du Sud, compromis selon lequel le Chef de l’Etat sera secondé dans les deux années à venir de quatre vice-présidents issus du Mouvement pour la Libération du Congo (MLC) pro-ougandais, du Rassemblement Congolais pour la Démocratie - groupe rebelle pro-rwandais basé à Goma (RCD-Goma) - de l’opposition politique non armée et du camp gouvernemental. Jean-Pierre Bemba, pour sa part, s’est auto-désigné vice-président pour le compte de son groupe, le MLC. Quant au gouvernement, il sera représenté par Abdoulay Yerodia, ancien directeur de cabinet de la présidence et ancien ministre des Affaires Etrangères et de l’Education sous Laurent Désiré Kabila. L’opposition politique non armée, elle, a fini par désigner dans la douleur Arthur Zaïdi Ngoma, ancien fonctionnaire de l’UNESCO, au détriment de son concurrent Etienne Tshisekedi qui s’est toujours présenté comme « opposant historique aux dictatures » mais sur qui des doutes demeurent sur ses capacités à cohabiter sans générer des conflits au sommet de l’Etat. Après un semblant de débat en son sein, le RCD-Goma a désigné son secrétaire général Azarias Ruberwa, proche du Rwanda, comme vice-président. En visite à Kinshasa en avril 2003, ce dernier avait déclaré la « guerre finie » après s’être dit agréablement surpris par l’accueil qui lui a été réservé.
Une fois ce cap franchi, viendront l’entrée en fonction de tous ces vice-présidents avec leurs escortes de gardes armés respectifs et la question de l’avenir des « armées » de chacun des groupes armés. On voit apparaître les écueils liés à la démobilisation d’un grand nombre de soldats, la fusion progressive en une seule force armée de certains autres. Qui acceptera d’être mobilisé et contre quoi en échange ? Comment cohabiteront des hommes qui pendant presque cinq ans se sont combattus ?
Le succès de cette transition dépendra alors du degré d’autonomie acquise par les anciens chefs rebelles face à leurs parrains et du niveau d’intégration par chacun de la nouvelle donne : ils sont tous dans le même camp, celui de la paix en République Démocratique du Congo. Il dépendra également de la façon dont ils vont tous se comporter : les hommes armés issus des différents camps, leurs responsables politiques et leurs « partis », la possibilité pour l’administration centrale d’opérer dans les zones occupées par les groupes rebelles, etc. Il dépendra enfin des visions qu’ils ont de la région d’Afrique centrale et des Grands Lacs en particulier.
Par ailleurs, les combats ont toujours lieu dans tout l’est de la République Démocratique du Congo, que ce soit dans l’Ituri au nord-est devenu un vaste champ de manipulations ethniques de petits chefs de guerre par l’armée ougandaise qui a toujours retardé son retrait ; ou encore dans les régions du nord et du sud Kivu où l’emprise des combats et des exactions de l’armée rwandaise sur les civils a lieu à travers des milices Mayi-Mayi instrumentalisés par les autorités rwandaises ou congolaises ou encore par le RCD-Goma. La prise de position de la France candidate à envoyer une force d’interposition dans l’Ituri dans le cadre de l’ONU est un élément important qui changerait énormément les données. Comme en Sierra Leone, avec l’intervention britannique, on pourrait envisager une issue différente aux violences actuelles.
Le long de tout ce couloir oriental de la République Démocratique du Congo, l’économie de la prédation et l’exploitation des ressources naturelles par des entreprises écran ou des hommes d’affaires rwandais, ougandais, congolais et étrangers demeurent la principale raison qui rend la paix très hypothétique. La guerre de pillages est une entreprise trop rentable pour que ces exploitants armés y mettent fin du jour au lendemain.
Outre ces aspects économiques, les rivalités ougando-rwandaises – plus sur fond de recherche de survie de chacun des deux régimes que sur celui d’une recherche de leadership régional – se sont choisies l’est de la République Démocratique du Congo comme terrain d’expression afin qu’elles se déroulent loin de Kigali et de Kampala. De même la présence incontrôlable des milices rwandaises Interahamwe dans les forêts et les montagnes de l’est congolais demeurent une menace pour la sécurité de toute la région, en dépit de l’occupation par l’armée rwandaise de ces zones.
II. Le partage du pouvoir, prime à la guerre ?
La question politique de fond, au niveau national congolais, est bien celle du partage du pouvoir à travers les vice-présidences, les ministères, les hautes administrations ainsi que les entreprises publiques. On peut remarquer que sur les cinq acteurs qui seront à la tête de l’Etat congolais quatre - ou plutôt les camps de quatre d’entre eux - ont été impliqués à des degrés variables aux désastres de la guerre : entre deux à trois millions de morts selon les sources, violations des droits de l’homme, pillages des ressources naturelles, destructions des infrastructures et des structures sociales. Les postes de responsabilité politique qu’ils occuperont sont-ils alors une prime à la guerre ?
Au Burundi, les Accords d’Arusha viennent d’aboutir le 30 avril 2003 à l’alternance politique négociée sous la médiation de l’ancien président sud-africain Nelson Mandela. Celui-ci avait estimé anormales la négation du problème politico-ethnique au Burundi et la main-mise d’un seul et même groupe ethnique sur les postes de responsabilité de toutes les institutions de l’Etat. Pour casser la dynamique de guerre, un accord avait alors été trouvé il y a un peu plus de deux ans afin que le président Buyoya, tutsi, soit secondé par un vice-président hutu qui lui succéderait après 18 mois de cohabitation. Il est prévu que le président Domitien Ndayizeye qui a pris ses fonctions présidentielles le 30 avril 2003 gouverne, lui aussi, pendant 18 mois avec un vice-président tutsi et qu’ensuite des élections générales soient organisées.
Dans la foulée de cette alternance, un espoir de cessez-le-feu effectif entre les forces rebelles hutu - dont les Forces pour la Défense de la Démocratie (FDD) – et l’armée gouvernementale majoritairement tutsi pointe à l’horizon. S’étant toujours accusés mutuellement l’un d’attaquer les positions de l’autre et de violer le cessez-le-feu, les deux camps ont été appelés à déposer les armes. Les mouvements rebelles ont promis le respect du cessez-le-feu sous la condition qu’ils ne soient attaqués et que leurs troupes soient intégrées dans l’armée nationale. Celle-ci, de son côté, attend le cessez-le-feu avant d’envisager le processus d’intégration des rebelles.
Derrière ces « querelles » apparaissent aussi bien le problème de confiance réciproque mise à rude épreuve depuis plus d’une décennie de violences armées que la question réelle d’ethnicisation de la politique nationale où l’ethnocentrisme cherche toujours à se poser comme source de pouvoir en des termes manichéens : bon-mauvais, vie-mort, etc. Cela reste le véritable piège aussi bien pour la paix que pour la démocratisation souvent posée comme une équation ethnique au terme du processus électoral.
Néanmoins, il est aujourd’hui important et utile que dans les deux pays des premiers pas – aussi petits et hésitants soient-ils – soient posés dans la bonne direction. Se parler, négocier et tenter d’appliquer les accords c’est sans doute donner un prénom à la paix durable, en travaillant à lui trouver un nom : la stabilité nationale et régionale. Il reste alors à avoir en perspective et à anticiper en les envisageant déjà, les problèmes plus globaux qui hypothéqueraient les perspectives de paix dans la région des Grands Lacs.