Tarik EL FAOUZ, France, juillet 2017
Le conflit du Sahara : entre gel et dégel
Une des particularités du conflit du Sahara occidental tient à sa longueur dans le temps. C’est un conflit qui se maintient dans une impasse et qui est encore loin d’être résolu. Ce conflit fait partie de ce qu’on pourrait appeler la catégorie des « conflits gelés ».
Cette fiche a pour objectif de mettre en lumière les différents enjeux mis en cause au sein du conflit du Sahara, en vue de montrer que ce conflit est un conflit gelé. Pour cela nous ferons tout d’abord un petit récapitulatif historique. Ensuite nous nous intéresserons aux répercussions stratégiques qu’elles soient géopolitiques ou économiques pour enfin nous pencher sur un possible dégel du conflit.
Contexte
Le Sahara occidental, territoire au sud du Maroc est revendiqué par ce dernier depuis 1976 et se trouve être le théâtre d’un conflit qui dure depuis cette période. Le conflit du Sahara est né de la décolonisation opérée dans les années 1960. En effet, le conflit a émergé avec l’accession à l’indépendance du Maroc en 1956, de la Mauritanie en 1960 et de l’Algérie en 1962.
L’Espagne a alors dû faire face aux revendications de ces trois nations nouvellement indépendantes sur le territoire sahraoui.
En 1884, le Sahara occidental est placé sous protectorat espagnol et ce jusqu’en 1975. C’est à la mort du général Franco que les Espagnols se retirent du territoire sahraoui. Or, un an plus tard, la République Arabe Sahraoui Démocratique (RASD) est proclamée par les Sahraouis. Cette république ne fut pas reconnue par le Maroc qui entreprend une annexion de ce territoire. Lors de cette campagne d’annexion, les forces marocaines se retrouvent face à une opposition armée. Ceci marque le début de la phase armée du conflit du Sahara.
La structure politique au Sahara occidental remonte aux relations historiques entre les différentes tribus sahraouies. Avant la décolonisation espagnole, il n’y avait pas de tribu principale reliant le vaste réseau tribal de la région. Cependant certaines tribus reconnaissaient l’autorité religieuse des dynasties marocaines et leur autorité religieuse basée sur la descendance du prophète. Malgré cela, les tribus sahariennes ont constamment contesté l’autorité politique du Maroc.
Ces contestations se sont poursuivies durant l’histoire jusqu’à atteindre la période postcoloniale marocaine. Les tribus sahariennes contestent également l’autorité politique marocaine sur le territoire malgré le fait que le Maroc s’est imposé en tant qu’administrateur de ce territoire pour des raisons historiques.
Un conflit gelé aux répercussions importantes
Le conflit du Sahara occidental est l’exemple type du conflit gelé. Le terme de « conflit gelé » ne représente pas un concept déterminé avec des caractéristiques spécifiques, mais plutôt un concept politique utilisé pour désigner les conflits persistant dans le temps et donnant l’impression de stagnation1. Ce terme suppose que le conflit est, en apparence, en pause. Pourtant les conflits gelés sont considérés comme tels car tout au long des années, malgré les négociations et les confrontations, il subsiste une situation de statu quo ne permettant pas d’entrevoir l’issue du conflit.
Dans les conflits gelés, les positions des acteurs tournent généralement autour des exigences fondamentales de l’indépendance par rapport à l’intégrité territoriale. Par conséquent, un changement structurel est nécessaire pour une transformation du climat, ce qui impliquerait une transformation des conditions sous-jacentes qui ont donné naissance au conflit.
Au sein de ce conflit nous assistons à des négociations formelles et informelles, des événements armés ont lieu et le climat s’embrase rapidement mais il n’y a pas de transformation réelle du conflit car les différents acteurs possèdent des positions tranchées et n’acceptent pas le consensus. Cette tension subsiste principalement au niveau de la forme que peut prendre le Sahara occidental soit par la voie de l’autonomie, soutenue par la Maroc, soit par la voie de l’indépendance, soutenue par le Front Polisario et la RASD. Cette absence de transformation se manifeste par une disparition de la violence directe, mais une persistance des violences institutionnelles et culturelles. Cette absence de transformation peut être un moyen pour les acteurs principaux, que sont le Polisario et le Maroc de chercher à tirer parti de l’opinion internationale et du soutien de l’ONU pour protéger leurs propres intérêts. Malgré l’acceptation du plan de paix par le Maroc et le Front Polisario en 1991, toutes les tentatives d’organisations d’un référendum d’autodétermination ont échoué. Depuis 2001, le Maroc s’est toujours opposé à l’inclusion de l’option d’indépendance à tout référendum. En effet, le Maroc, en acceptant l’organisation d’un référendum envisageait de soumettre au référendum la question de l’autonomie. Or le Front Polisario maintient son envie d’indépendance. De plus, au moment de l’organisation du référendum, une question s’est posée sur la composition du corps électoral. Les deux parties concernées n’ayant jamais réussi à s’accorder sur cette composition en raison de la difficulté à recenser la population apte à voter (celle ci n’étant pas entièrement présente sur le territoire sahraoui).2
Malgré les résolutions de l’ONU portant sur l’autodétermination du Sahara, le Conseil de Sécurité a toujours refusé d’imposer une solution comprenant cette option.
Ce conflit entre le Maroc et la RASD a des répercussions négatives sur toute la région. En effet, ce conflit a conduit à l’arrêt et l’hibernation de l’Union du Maghreb Arabe. Cette Union entre les pays du Maghreb avait pour but de renforcer la coopération entre les pays de la région mais se trouve être en hibernation depuis 1996 du fait du conflit du Sahara.
Ce conflit a aussi conduit à la détérioration des relations entre le Maroc et l’Algérie, principalement à cause des positions antinomiques sur lesquelles campent ces deux pays. En effet, l’Algérie soutenant les Sahraouis et leur droit revendiqué à l’autodétermination se trouve être en litige avec le Maroc depuis les débuts de ce conflit. De plus, la frontière entre les deux pays étant fermée depuis août 1994, cela ne facilite pas le développement d’un marché et d’une économie régionale qui serait très bénéfiques pour les populations de tous les pays du Maghreb. Cette absence d’intégration économique régionale et maghrébine a conduit à une méfiance entre le Maroc et l’Algérie qui a conduit à une course à l’armement.
Dans le contexte africain, l’engagement de l’UA en faveur de la décolonisation et l’inviolabilité des frontières existantes ont conduit à la reconnaissance de la RASD et au retrait du Maroc de l’organisation. Dans le monde arabe, le conflit est un facteur majeur de division entre modérés, comme l’Arabie saoudite, et radicaux, comme la Libye. La Ligue arabe et l’Organisation de la Conférence islamique ont soutenu les efforts de paix du Maroc alors même que le Front Polisario bénéficiait du soutien de pays membres de ces organisations.
La Mission des Nations Unies pour le référendum au Sahara occidental (MINURSO) a été créée pour surveiller le cessez le feu en place entre les forces marocaines et le Front Polisario depuis 1991 et également afin de permettre l’organisation d’un référendum permettant aux Sahraouis de voter pour l’intégration au Maroc ou pour l’autodétermination du Sahara occidental.
Depuis le début du cessez-le-feu, le Maroc s’est toujours opposé à l’intégration de l’option d’indépendance au processus de référendum et a reçu le soutien de deux membres du Conseil de sécurité, le France et les États-Unis. Ces deux soutiens ont appuyé la proposition du Maroc d’octroyer une autonomie politique au Sahara, au sein du royaume du Maroc, dont il continuerait de faire partie. Son autonomie serait plus large que les autres régions marocaines.
Un territoire aux diverses ressources
L’importance économique du territoire du Sahara occidental reste l’un des sujets principaux de ce conflit. Le territoire sahraoui se trouve être un territoire qui regorge de ressources naturelles. Il dispose de ressources halieutiques, minières, énergétiques et également en énergie solaire. Le sol de ce territoire présente aussi d’importantes potentialités propices à l’agriculture.
Cette région est l’une des zones de pêche les plus riches du monde, de plus ce territoire présente un énorme potentiel de phosphate non exploité. En ce qui concerne les ressources halieutiques, les eaux territoriales au large du Sahara sont connues pour être les plus poissonneuses au monde avec la présence de plusieurs espèces différentes de poissons. Ces ressources halieutiques constituent d’importantes ressources économiques pour celui qui contrôle la région, principalement dans le contexte de hausse démographique que connaît le monde en ce moment.
Concernant le phosphate, le sous sol de la partie nord est du territoire sahraoui contient presque 6 milliards de tonnes de réserves en phosphate ce qui représente la réserve la plus importante au monde au monde. Ce minerai est principalement présent à Boucraa (voir carte 2). Le phosphate de cette région est connu pour sa qualité apportant une grande valeur ajoutée au territoire. Le Maroc étant l’un des plus grands producteurs de phosphate au monde, ce dernier désire garder ce titre en gardant le contrôle de ces mines de phosphate situées dans les régions sahariennes.
Enfin, toutes les terres cultivables présentes dans la région constituent également des enjeux stratégiques majeurs, principalement du fait du sol très riche en minéraux divers. Cela constitue un sol ayant un potentiel cultivable rare.
Ces différentes ressources naturelles présentes au Sahara occidental constituent un enjeu économique au sein du conflit opposant le Maroc au Front Polisario. Ces ressources seraient profitables aux deux parties présentes au sein de ce conflit.
Outre le caractère stratégique de ce territoire, les deux parties campent sur des positions contraires qui font de ce conflit un conflit gelé. En effet, le Maroc et la RASD revendiquent tous deux leur souveraineté sur ce territoire sahraoui riche en ressources. Or cela pour différentes raisons. Le Maroc tire sa souveraineté sur ce territoire de son histoire. En effet, le Maroc a, depuis sa création, possédé ce territoire. La RASD et le Front Polisario quant à eux, revendiquent ce territoire car ils considèrent qu’il appartient au peuple sahraoui et qu’il est occupé par le Maroc. De plus, nous pouvons voir un caractère stratégique à la possession de ce territoire. Le Maroc en possédant le Sahara occidental empêche l’Algérie, alliée et soutien de la RASD, d’accéder à l’Océan atlantique et donc de posséder une interface maritime ouverte sur le monde. De plus, les ressources présentes sur le territoire sahraoui sont un atout majeur à l’économie marocaine, comme en témoignent la production de phosphate marocaine (2ème producteur mondial et 1ère réserve mondiale avec plus du ¾ des réserves dans le monde).
Carte du Sahara occidental en 2015 :
Un possible dégel du conflit
La multiplication des actes onusiens envers le conflit du Sahara et la réintégration du Maroc au sein de l’Union Africaine ont remis à l’ordre du jour la question du possible dégel de la situation dans cette région du monde.
La nouvelle résolution du Conseil de Sécurité de l’ONU, en date du 28 avril 2017 a permis de faire un pas en avant dans le dénouement du conflit. Cette avis est partagé à la fois par le Maroc et par le Polisario. Cette résolution soutient la reprise des négociations sur le conflit du Sahara occidental et cela en n’imposant aucune base à celles-ci, tout en prolongeant le mandat de la MINURSO jusqu’au 30 avril 2018.
Cette résolution a été le résultat du travail de la diplomatie marocaine et a été confortée par la présence du nouveau secrétaire général des Nations unies, António Guterres, qui ménage davantage le Maroc que ses prédécesseurs.
De plus, depuis près de 30 ans, le Maroc a entrepris un plan visant à aligner le niveau de développement du Sahara occidental à un niveau de développement comparable au niveau national. Ce plan a pour objectif de permettre l’acceptation domestique de la souveraineté du pouvoir marocain sur ce territoire, ainsi que l’accord tacite de la communauté internationale.
La réintégration du Maroc au sein de l’Union Africaine nous pousse à nous poser des questions intéressantes. Cela pourrait-il être le début de négociations entre le Maroc et la RASD ? Ayant quitté l’UA à cause de la RASD, quel intérêt a le Maroc d’y revenir alors que la RASD est toujours membre ?
Cette réintégration est le résultat de la politique africaine menée par le Maroc depuis une dizaine d’année et consistant à renouer avec les voisins africains. Ce rétablissement des relations avec les pays africains est intervenu grâce à de nombreux investissements et à l’établissement de missions diplomatiques dans une grande majorité des pays africains. Ces relations diplomatiques ont été rompues avec certains pays depuis un certain temps suite au soutien de certains d’entre eux à la RASD.
En renouant avec les pays africains et en réintégrant l’Union Africaine, le Maroc conforte sa position de leader sur le continent et espère un appui des pays africains en vue de la résolution du conflit du Sahara.
Le Maroc, en réintégrant l’Union Africaine, malgré la présence de la RASD, n’a pas assoupli sa position et compte utiliser tous les moyens à sa disposition pour isoler la RASD au sein de cette union. Cela a été visible notamment le 1er Juillet 2017 au Conseil exécutif de l’Union Africaine lorsque le Maroc a fait barrage au rapport de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples. Cette opposition est intervenue car le Maroc considérait qu’il remettait en cause sa souveraineté sur le Sahara occidental. Le Maroc a manifesté son opposition à cause des articles 88 et 89 de ce rapport, articles qui affirment « l’instauration d’une mission d’évaluation des droits de l’homme dans le territoire occupé en République arabe sahraouie démocratique (RASD) conformément aux décisions précédentes du Conseil exécutif ». Ces articles ont été pour le Maroc une traduction de la main mise du Front Polisario au sein de l’Union africaine.
Avec le blocage de rapport de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples nous pouvons nous demander si le retour du Maroc au sein de l’Union Africaine est un moyen de mener une bataille diplomatique au sein de l’organisation afin de bloquer tout projet portant atteinte à sa souveraineté territoriale et afin d’affirmer sa souveraineté sur l’ensemble du territoire contesté.
Pour conclure nous pouvons nous demander ce qu’implique le gel de ce conflit pour son futur. Parler de conflit gelé ne veut pas forcément dire que le conflit n’évoluera jamais. Un conflit gelé peut évoluer à tout instant et si cette évolution est bien gérée elle peut prévenir une opposition armée.
La proposition d’autonomie, qui conduit à donner des droits politiques, sociaux et économiques au gouvernement autonome semble être la solution la plus plausible et la plus à même de mener le conflit à une résolution pacifique. Mais si cette autonomie est choisie, est-ce que cela fonctionnerait à long terme pour maintenir des relations pacifiques qui satisfont les deux acteurs ? De plus, le Maroc accepterait-il que le nouveau gouvernement autonome soit conduit par le Front Polisario ?
Notes
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1Pierre Jolicoeur, Aurélie Campana, « Introduction : « Conflits gelés » de l’ex-URSS », Revue Etudes Internationales, Volume 40, Numéro 4, décembre, 2009, p. 501–521.
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2Khadija Mohsen-Finan, « Sahara occidental : divergences profondes autour d’un mode de règlement », L’Année du Maghreb, V | 2009, 553-569.
Sources
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Charles Saint-Prot, Jean-Yves de Cara, Christophe Boutin, « Sahara marocain : le dossier d’un conflit artificiel », Les Editions du Cerf, 2016.
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Pointier, Laurent, « Sahara Occidental : La controverse devant les Nations unies », Paris : Saint-Denis: Karthala, 2004.
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Mohsen-Finan, K., 2007, « Mémoire et réconciliation au Maroc », Politique étrangère, n°2, p. 327-338.
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Khadija Mohsen-Finan, « Trente ans de conflit au Sahara occidental », Note de l’Ifri, Janvier 2008.
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URL :www.ifri.org/sites/default/files/atoms/files/Trente_ans_deconflit_Finan.pdf
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Zeina El Tibi, « L’autonomie solution au conflit du Sahara occidental », La Revue du Liban, Mai 2008.
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Khadija Mohsen-finan, « Ni paix ni guerre au Sahara occidental », Observatoire du Monde arabo-musulman et du Sahel, juin 2016.
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