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Transformation de conflit, de Karine Gatelier, Claske Dijkema et Herrick Mouafo

Aux Éditions Charles Léopold Mayer (ECLM)

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Fiche d’analyse

, France, novembre 2015

Quid de la coopération militaire Cameroun – France ?

Éclairage, des interactions entre forces de défense et de sécurité des deux pays, à l’aune des enjeux nationaux et sous-régionaux.

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La guerre menée contre Boko Haram, suscite un débat assez vif au Cameroun, sur les facteurs de son déclenchement, l’identification même de ceux qui en sont, à plusieurs niveaux, les promoteurs ; voire, les projections qu’ils entretiennent, et les ressources qu’ils mobilisent.

La place et le rôle de la France dans ce conflit, font l’objet d’une attention particulière. Cette puissance est scrutée, soupçonnée, par moment stigmatisée, au regard d’une opinion publique ignorante et prise en otage, nonobstant la relation de coopération militaire exceptionnelle, prévalant entre le Cameroun et la France. Cette dernière fait, coutumièrement, enfin, l’objet d’une projection à géométrie variable, dans l’agenda des décideurs politiques locaux, dont le discours et la posture, participent des ombres et lumières de cette relation à part.

Entreprendre une investigation dans ces méandres, n’est donc pas sans risque. Mon propos, fort synthétique, s’évertuera à apporter un rapide éclairage, des interactions entre forces de défense et de sécurité des deux pays, à l’aune des enjeux nationaux et sous-régionaux.

L’exception d’historicité

La marche du Cameroun vers l’indépendance comporte plusieurs volets, dont une guerre anticoloniale. Dans ce pays, dont la moitié de la population a moins de 17,7 ans d’âge (RGPH, 2005), l’écriture et les itinéraires d’appropriation de son histoire, et de l’histoire coloniale prennent un sens particulier, la lutte anticoloniale constituant un des éléments fondateurs du nationalisme camerounais. Il se construit une mémoire intégrative du rôle spécifique de la France et de l’armée française, engagée alors dans des champs d’opérations à l’intérieur du pays.

La cause en est, pour l’essentiel, la sélectivité mémorielle dont fait preuve l’ancienne puissance coloniale, complice « objectif » de la culture du silence institué, qu’incarne l’État du Cameroun. Ce qui laisse libre cours, à la prolifération d’avis, méritant pour certains, d’être dépoussiérés. L’une des inclinations les plus courantes, semble être la dénonciation de la « faute originelle » de la France. On note bien aussi, et de plus en plus, quelques prises de parole courageuses, d’acteurs directement engagés dans les combats entre l’armée camerounaise et le(s) mouvement(s) de rébellion à cette époque là. Ainsi, un officier général, et un officier supérieur à la retraite, ont-ils apporté témoignage, exprimant leur perception des enjeux de cette guerre. Si ces contributions, semblent n’avoir pas reçu un écho immédiatement favorable dans l’opinion, elles ont le mérite d’enrichir le débat intellectuel, historique et politique, qui ne peut - et ne doit en rien - être exclusif, d’apports de telle nature, qui sont de première main.

C’est dans le terreau de cette partie de l’histoire du Cameroun, qu’émerge la coopération militaire entre les deux pays. Elle est singulière, le Cameroun ayant été le seul territoire sous influence coloniale française à avoir connu, au sud du Sahara, une guerre de libération coloniale. Cette singularité se caractérise aussi par le fait que le Cameroun est le premier bénéficiaire de la coopération de défense structurelle française en Afrique. Ce qui n’est pas allé, pourtant, sans un souci de diversification de ses alliances et partenariats stratégiques.

Dynamique « évolutive » des accords de défense

Les accords de défense s’adossent, chacun, au contexte de surdétermination des relations internationales et stratégiques qui est le sien.

  • L’Accord concernant l’assistance militaire technique aux Forces armées camerounaises (13 novembre 1960)

Il est signé entre les deux pays, faisant immédiatement suite à l’indépendance du Cameroun, et s’inscrivant, en droite ligne des mesures de « sécurité intérieure » prises par la France, avant l’indépendance, conformément à sa propre lecture du mandat que lui confie la Société des Nations en 1922.

Lever certaines hypothèques, concourt à l’installation et à la protection de dirigeants alliés, dans le gouvernement des anciennes colonies. Ainsi donc, en est-il, ici, de la mise à l’écart de l’Union des Populations Camerounaises (UPC), qui porte le flambeau de la lutte anticoloniale, tant politique, que militaire.

Le contenu de cet accord reste assez similaire des accords signés par la France, avec d’autres pays en Afrique. Il prévoit, principalement, l’assistance militaire technique, ainsi que les modalités d’intervention des Forces armées françaises. À la nuance significative, que les clauses de maintien de l’ordre n’y sont pas indiquées. Les accords suivants n’ont jamais eu non plus, vocation à admettre lesdites clauses. Mais du principe à la réalité, il peut y avoir grande nuance d’appréciation.

  • L’Accord de coopération militaire entre le gouvernement de la République du Cameroun et le gouvernement de la République française (21 février 1974)

Cet accord procède de la demande expresse du Président Ahmadou Ahidjo, et se conforme aux évolutions de l’agenda politique interne, marqué par un passage de seuil, celui de la consolidation de la mainmise de l’appareil de l’État, et l’imposition d’un ordre sécuritaire interne rigide : en 1971, les derniers leaders d’une rébellion armée en déroute sont fusillés à Bafoussam dans l’Ouest du pays.

L’intensification de la coopération militaire entre les deux États, atteint alors sa vitesse de croisière. Dans l’armée camerounaise qui compterait à ce jour, entre 35000 et 40000 Hommes, les ¾ du personnel d’encadrement sont formés en France.

Au titre de l’application de la clause d’assistance contenue dans l’Accord, la France lancera l’opération Aramis (février 1996 - mai 2008), pendant les affrontements armés dans la péninsule de Bakassi. Aramis s’articulera principalement autour du renseignement et du conseil.

D’autre part, le gouvernement camerounais demande à la France de l’aider à réorganiser et à équiper son armée en 2006. Un projet « d’offre global » lui est alors soumis, une année plus tard.

Le montant global de la coopération de défense entre le Cameroun et la France atteignait pratiquement 4 millions d’euros en 2011 (sous réserve d’actualisation). Les composantes en étant, pour l’essentiel, la mise à disposition de 17 coopérants permanents, l’appui aux actions de formation de défense au Cameroun même, et dans les Écoles Nationales à Vocation Régionale (ENVR).

  • L’Accord entre le gouvernement de la République du Cameroun et la République française, instituant un partenariat de défense (29 mai 2009)

La France va prendre l’initiative, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, d’une révision globale, avec les pays africains, des accords bilatéraux de défense. Le Cameroun et le Togo seront les premiers États signataires des accords révisés.

Trois paramètres ont, officiellement présidé, selon la partie française, à cette révision : les projections de l’Architecture Africaine de Paix et de Sécurité ; l’affirmation des structures Africaines de coopération régionale (avec notamment le lancement des Forces Africaines en Attente, FAA) ; le faible recours aux clauses d’assistance contenues dans les précédents accords.

Ainsi que l’indique le plus officiellement le Ministère français des Affaires Étrangères, « ce partenariat vise à soutenir les mécanismes africains de sécurité collective au niveau régional et continental. Il porte principalement sur la formation à travers des écoles nationales à vocation régionale (ENVR), le pôle aéronautique national à vocation régionale de Garoua (PANVR), le cours supérieur interarmées de défense (CSID), l’École internationale des forces de sécurité (EIFORCES) et le centre de perfectionnement aux techniques de maintien de l’ordre (CPTMO) ».

Enjeux politiques et stratégiques

La guerre contre Boko Haram est grandement révélatrice, du fonctionnement de l’appareil de défense et de sécurité au Cameroun. La médiatisation des affrontements se déroulant sur le territoire national, l’évolution même de la nature du conflit, intéressent et engagent la responsabilité citoyenne à tous égards, et interagissent avec des préoccupations de politique interne. Cette dynamique oblige également les responsables politiques à rendre davantage compte. Elle est une ligne de fracture du socle transactionnel, sur lequel reposent les équilibres (souvent fragiles) du pouvoir, dans un contexte sous-régional de grande agitation. Il en découle des obligations de responsabilité.

Elles sont d’abord nationales, dans la perspective d’une plus grande rationalisation des projets, une définition opportune des méthodes, et une mobilisation conséquente des ressources : la défense du territoire national, la sécurité des personnes et des biens, procèdent des missions régaliennes de l’État.

L’autre dimension de cette responsabilité nationale, concerne le choix et la contraction d’alliances et de partenariats, avec les puissances les mieux à même d’apporter leur aide. La diversification du panorama des partenaires du Cameroun s’inscrit dans l’histoire de l’État. Elle est progressive, au point que la France, partenaire stratégique, côtoie bien d’autres puissances étatiques ou supra-étatiques : la Fédération de Russie, Israël, la Chine, l’Union Européenne, les États-Unis d’Amérique dont le Chef de l’État vient de faire annonce, de l’autorisation par le Congrès des États-Unis, de l’envoi de trois cent soldats au Cameroun, suite à une demande du gouvernement du Cameroun. Mais, elle produit d’inéluctables conséquences, qui s’apprécient au regard de la loi d’airain des relations internationales : la dépendance stratégique et sécuritaire.

Les problématiques de défense et de sécurité, sont au cœur des dynamiques de souveraineté de chaque État. La vision qu’en a le Cameroun, ne peut et ne doit faire l’économie de limites et des insuffisances qui sont les siennes, et que confirment à la fois l’extrême dépendance vis à vis des aides extérieures, et le souci même de désengagement manifesté par certains de ses alliés.

Jean Christophe Belliard, Directeur de l’Afrique et l’Océan indien au Ministère français des Affaires Étrangères affirmait ainsi, au cours d’un entretien informel il y a un mois, que les interventions militaires de la France s’activeraient désormais et prioritairement, à la demande motivée, des organisations sous-régionales et continentales africaines, de la Commission de l’UE et du Conseil de sécurité de l’Onu. Ce qui correspond à la réorientation progressive, en France, des perspectives de politique extérieure, au franchissement même du seuil d’incapacité budgétaire et opérationnelle (depuis la professionnalisation de l’armée). Il faut souligner, enfin, l’impopularité d’interventions militaires dont peu d’Hommes politiques en France, peuvent justifier l’opportunité, en cette période de crise économique et politique.

L’occasion donc de mettre l’accent sur la nécessité d’une responsabilité collective, prioritairement sous-régionale. De nombreux efforts sont entrepris dans ce sens, mais, ils doivent mieux répondre, aux besoins de la consolidation des États.

La Force multinationale mixte créée pour faire face à Boko Haram, par la Commission du Bassin du Lac Tchad (CBLT), devrait compter moins de dix mille Hommes. Son déploiement est laborieux, ses ressources difficiles à mobiliser, ses missions importantes. Elle devrait être le baromètre de la détermination des États de la sous-région, à s’engager résolument dans la prise en charge des questions de sécurité collective. C’est une exigence cardinale de la paix stratégique, condition même du développement. Le prix à consentir n’est pas celui des pesanteurs, auxquelles nous sommes ordinairement familiers. L’Ambassadeur Phillip Carter III d’AFRICOM, compatissait ainsi en septembre dernier, à mes interrogations, sur la reprise éventuelle, de la coopération militaire des USA avec le Nigeria (et la CBLT) face à Boko Haram. Il fit valoir que le Nigeria étant sans gouvernement depuis la prestation de serment du Président Buhari, il était très difficile d’envisager la reprise de toute forme de coopération, faute d’interlocuteur officiellement mandaté à cette fin, par le président nouvellement élu.

La page des urgences stratégiques et politiques à satisfaire est importante, au Cameroun et dans la sous-région. Il faut bien l’admettre avec lucidité, et s’y résoudre avec volontarisme.

Notes

  • Article paru dans Le Jour, No 2054 du 05 novembre 2015, P.5.