Fiche d’analyse

, , , Miranda SHUSTERMAN, , Grenoble, février 2014

Nature et formes de la violence, causes du conflit en RCA

Afin de comprendre le conflit qui se déroule aujourd’hui en RCA, cette fiche propose une analyse des causes profondes du conflit et de ses symptômes, à savoir les différentes formes de violences en présence.

Mots clefs : Travailler la compréhension des conflits | Les difficultés d'une culture de paix dans une population ayant vécu la guerre | Représentations mentales et paix | S'opposer à l'impunité | La responsabilité des autorités politiques à l'égard de la paix | Conflit Centrafrique | Agir pour la transformation des conflits | Promouvoir une culture de paix | Déconstruire les discours identitaires | Centrafrique | Afrique Centrale

Introduction

La République Centrafricaine (RCA), autrefois surnommée “la cendrillon de l’Empire”1, est aujourd’hui précipitée dans une crise sans précédents. Ce pays, situé au cœur de l’Afrique centrale et enclavé dans une région extrêmement instable, est qualifié d’Etat fantôme2 par de nombreux experts. En opposition à l’Etat failli, qui se définit comme un appareil d’Etat qui ne peut plus remplir ses fonctions essentielles et assurer la sécurité physique de sa population3, la RCA a perdu toutes capacités institutionnelles et envisager une sortie de crise nécessiterait la création de nouvelles institutions étatiques solides. Le coup d’état perpétré par Michel Djotodia le 24 mars 2013 n’aurait pu être qu’un énième renversement dans l’histoire récente de la Centrafrique, mais tous les éléments étaient réunis pour que le conflit prenne une toute nouvelle dimension.

Comme le montre la chronologie :

Ainsi que les divers stades du conflit :

L’instabilité politique domine et dès l’indépendance les conditions sont posées pour que s’installe un conflit latent sur les bases de l’absence de jeu démocratique. David Dacko est porté au pouvoir et met rapidement en place un régime autoritaire à parti unique. Dès lors, le recours à la force s’impose comme « le mode ordinaire d’accession et de maintien au pouvoir »4. Les coups d’Etats se succèdent sur fond de manipulations et d’enrichissement personnel des dirigeants africains soutenus par les services secrets français, c’est ce que Verschave désigne sous le nom de Françafrique5.

Le multipartisme est autorisé tardivement (en 1991), force est de constater qu’il y a peu d’alternance, les élections sont contestées et se déroulent dans un climat très tendu, émaillées d’émeutes et de pillages sans lendemain. Les trois mutineries de 1996 vont entraîner le pays dans le cycle de la violence armée entre opposition et dirigeants en place.

La gestion tribale de l’état initiée par Kolingba va aboutir à la première guerre civile à partir de 2002 et va marquer l’entrée dans le conflit ouvert. Comme le définit Brice Arsène Mankou6, le tribalisme résulte avant tout de l’incapacité et de l’impuissance des leaders politiques africains à asseoir les principes démocratiques dans leur pays, et de poursuivre : « Ils deviennent ainsi des dictateurs capables de sacrifier leur peuple pour leurs propres intérêts ». Philippe Hugon, directeur de l’Institut stratégiques des relations internationales affirme « les satrapes centrafricains ont toujours manqué de légitimité et ont ethnicisé leur pouvoir dans une logique néo patrimoniale ».7

C’est ainsi que jusqu’en 2007, les interventions françaises parviendront à désamorcer l’escalade des violences mais à partir de 2010 la France reste à l’écart, et ce, malgré les appels de Bozizé en 2012, dont le pouvoir est menacé par l’avancée rapide du mouvement Seleka que les Forces Armées Centrafricaines (FACA) fantoches sont incapables de stopper. Le 25 mars Djotodia est élu par “acclamation”, ce président illégitime et sans autorité sur la Seleka sera incapable de mettre un terme aux exactions des miliciens démobilisés comme à celles des milices anti-balaka désormais animées par un sentiment de vengeance.

Le conflit prend alors une toute nouvelle dimension. Il s’est opéré en RCA un glissement d’un conflit politique à un conflit multidimensionnel. Le conflit prend actuellement une tournure religieuse avec une escalade des violences entre communautés chrétiennes et communautés musulmanes. On assiste donc à une transformation du conflit initial.

Afin de comprendre le conflit qui se déroule aujourd’hui en RCA, nous avons choisi de nous intéresser aux causes profondes du conflit et à ses symptômes, à savoir aux différentes formes de violences. Il s’agit donc ici de décrypter le contexte de la formation de l’Etat centrafricain depuis son indépendance en 1960 afin d’identifier les facteurs crisogènes. Leur identification ainsi que leur interprétation permettra donc en dernier lieu de mieux appréhender la situation actuelle. Il semble également intéressant de se pencher sur la mise en place d’une culture de la violence en RCA et sur ses conséquences présentes.

Dans une première partie, il sera question de traiter le caractère instable du contexte centrafricain afin d’identifier les causes profondes du conflit actuel, les motivations et la présence des différents acteurs et montrer, dans une seconde partie que la conjonction de ces éléments génèrent une violence permanente massive qui revêt de multiples formes qui vont entrainer le conflit dans une nouvelle phase, celle du conflit interreligieux.

I. La République Centrafricaine : entre instabilité et rupture

A. La RCA, un Etat fantôme

La République Centrafricaine est aujourd’hui qualifiée d’Etat fantôme par de nombreux auteurs. Bien que cela soit un concept occidental, il semble tout de même nécessaire de souligner en RCA l’absence de toute forme de fonctionnement étatique. Selon notre analyse, quel que soit le modèle d’Etat adopté, cette qualification d’Etat fantôme signifie un Etat creux/vide sans capacité de diriger d’une façon ou d’une autre. Il faut souligner l’inadaptation du modèle étatique wébérien aux dynamiques locales d’organisation sociétale.

Afin de comprendre la situation dans laquelle se trouve le pays et en particulier le conflit qui a éclaté en 2012 et qui se poursuit aujourd’hui, il semble pertinent de s’intéresser au contexte de la République Centrafricaine depuis son indépendance. Il semblait intéressant d’utiliser l’outil d’analyse de l’ « Arbre à conflit » pour mener cette analyse :

L’instabilité chronique en RCA et la rupture actuelle reposent sur de nombreuses causes :

Depuis l’indépendance du pays, il y a eu pas moins de sept coups d’Etats. Cette récurrence des prises de pouvoir violentes a institué en RCA une culture de la violence et de l’impunité politique. Par ailleurs cette prolifération des coups d’Etat témoigne en RCA d’une incompétence politique et de l’absence d’une culture démocratique. On assiste donc en République Centrafricaine à l’accaparement du pouvoir par un seul homme et au profit de sa famille élargie. On parle même de personnalisation du pouvoir. Ainsi, il existe en RCA une réelle absence de légitimité politique. Cependant cette légitimité s’acquiert par les armes, la répression et la manipulation de l’opposition.

Par ailleurs, ces coups d’Etats successifs ont été soutenus par la France, ancienne puissance coloniale. La France a, à de maintes reprises, cautionné le pillage des ressources, la corruption au sein du gouvernement, la prédation de l’aide au développement, les répressions sanglantes ou encore l’absence d’un réel effort de démocratisation. Valery Giscard d’Estaing, par exemple, entretenait des relations étroites avec l’Empereur Bokassa et en a même profité (scandale des diamants).

L’héritage colonial est aussi pesant en République centrafricaine comme dans les autres pays de la région. Ainsi la colonisation a été très brutale pour la population. On mentionne souvent la maltraitance coloniale (travaux forcés, esclavagisme, perturbations des cultures traditionnelles, chocs épidémiques ou encore diffusion massive d’armes à feux). Cette brutalité coloniale a eu pour conséquence l’augmentation du mécontentement et le développement d’une culture de la résistance en RCA contre la domination. Par ailleurs, on peut noter un sous-investissement chronique dans les domaines de l’éducation, de la santé, de la politique et de l’administration pendant la période coloniale. Enfin, l’Etat centrafricain a été créé au mépris des réalités géographiques et démographique. Ainsi le concept de l’Etat comme on l’entend dans le monde occidental a été plaqué en Centrafrique et nécessite d’être questionné.

La RCA se trouve également dans une région très instable. Le pays est enclavé et possède des frontières avec le Tchad, le Soudan, le Soudan du Sud, la République Démocratique du Congo, le Congo, et le Cameroun. Entourée de pays en trouble, on observe très fréquemment le déplacement de ces conflits sur le territoire centrafricain. Ainsi, on a pu noter en RCA la présence de mouvements rebelles de la République Démocratique du Congo comme le Mouvement de Libération du Congo (MLC) de Jean-Pierre Bemba qui appuya la répression de Patassé après la tentative de coup d’Etat du Général Kolingba. Les mouvements rebelles tchadiens sont également présents comme le Front Uni pour le Changement (FUC) qui tenta en 2006 de renverser le président Tchadien Idriss Deby. On note également la présence de la Lord Resistance Army (LRA) de Joseph Kony en 2008. Enfin, la RCA est aussi prise dans le jeu des rivalités régionales (par exemple entre le Tchad et le Soudan).

La RCA, surnommée à l’époque coloniale « la cendrillon de l’empire » et disposant d’une position stratégique lors de la guerre froide, a été négligée par la communauté internationale depuis le début des années 1990. La communauté internationale a souvent été préoccupée par d’autres conflits. Cependant, la RCA a très rapidement accumulé les facteurs crisogènes qui mèneront à l’éclatement du conflit de 2012 (absence d’état de droit, situation humanitaire alarmante, culture de la violence et de l’impunité, prolifération des mouvements rebelles pour n’en citer que quelques-uns).

Dès l’arrivée au pouvoir d’Ange-Félix Patassé en 1993, le pays se retrouve dans un état de rébellion permanente qui se traduit par une rupture avec l’opposition légaliste et la fin de la compétition politique pacifique. On assiste donc à un cercle vicieux où le seul moyen d’accéder au pouvoir se fait par les armes. Cet état de rébellion permanente est entretenu par le fléau de la mauvaise gouvernance qui selon M. Ziguelé, du Mouvement pour la Libération de Peuple Centrafricain et Ex-Premier Ministre, est le premier mal de l’Afrique avec la gabegie. Il y a en RCA et cela depuis l’époque coloniale une confusion entre les intérêts privés et publics et donc entre pouvoir économique et politique.

On parle également en RCA de malédiction des ressources. Le pays est riche en matières premières comme le bois, l’or, l’uranium ou encore les diamants. Cependant le pays ne réussit pas à en tirer parti et ce pour plusieurs raisons comme l’absence d’infrastructures, l’enclavement mais aussi l’exploitation illégale de ces ressources et le détournement de leurs revenus. Ainsi, on observe en République centrafricaine un fort déséquilibre en matière de développement. Ainsi le développement du nord et ses populations ont été négligés. Il existe dans cette région un manque cruel de services publics (administration, éducation, santé) et une absence de voies de communication.

Dans la gestion de l’Etat, on peut également mentionner la négligence des forces de sécurité comme facteur d’instabilité en RCA. Ainsi, la garde présidentielle a souvent été privilégiée par les dirigeants centrafricains au détriment des Forces Armées Centrafricaines (FACA). Le régime de François Bozizé en est une parfaite illustration, sa garde présidentielle était essentiellement composée de membres appartenant à sa famille élargie et étaient reversées dans les FACA toutes les personnes lui étant hostiles.

Enfin, pendant la période coloniale, les colons français ont créé la notion d’ethnicité et ont figé les identités des peuples indigènes. Ces mêmes identités seront plus tard instrumentalisées par Patassé ou encore Bozizé pour accentuer les clivages entre peuple du fleuve ou peuple de la savane, autrement dit entre peuple du sud et peuple du nord afin de diaboliser les opposants.

Enfin, il semble que la population centrafricaine souffre du « syndrome barracuda ». Cette dernière n’a plus d’emprise sur son destin depuis la période coloniale. La multiplication des prises de pouvoir violentes et le soutien français aux régimes répressifs font de la violence le seul recours pour la population.

Ces nombreuses causes sont donc à la base de l’instabilité qui règne en RCA depuis son indépendance en 1960 mais également du conflit qui a éclaté en 2012 et qui semble se transformer aujourd’hui. Cette « absence de l’Etat » aura eu pour conséquences la perte du monopole de la violence légitime ainsi que la perte du contrôle sur l’ensemble du territoire et donc une prolifération des groupes armés, l’utilisation de la RCA comme base de repli pour les mouvements rebelles des pays limitrophes ou encore la prolifération des trafics illégaux en tout genre susceptibles d’alimenter le conflit. Par ailleurs, la tradition d’impunité et de violence politique, le naufrage économique de la RCA et la grande paupérisation de sa population exacerbent le mécontentement et créent un contexte de violence généralisée où la violence devient le seul recours. La République Centrafricaine est aujourd’hui encore plus isolée et en passe de devenir une zone grise alors qu’elle se trouve dans une situation humanitaire alarmante (plus de 400 000 personnes déplacées et la moitié de la population nécessite une aide d’urgence). A partir de ces facteurs crisogènes, on assiste à la montée des clivages religieux entre musulmans et chrétiens et un risque de basculement vers le nettoyage ethnique voire même le génocide.

B. Le conflit actuel : analyse des acteurs

Depuis début décembre 2012, et à la suite du coup d’Etat de mars 2013, la Centrafrique sombre dans l’anarchie, avec des conséquences néfastes sur la population civile. Depuis janvier 2014 le conflit politique prend la tournure d’un conflit religieux. Nous allons essayer d’analyser les relations entre différents acteurs dans ce conflit afin de mettre en évidence sa complexité.

1. Outil d’analyse de l’ « Oignon »

Nous avons souhaité dans un premier temps analyser la situation fin 2012, à la veille du coup d’Etat contre M. Bozizé, à travers l’utilisation de l’outil “oignon” qui permet de présenter les différentes positions publiques, ainsi que les divers intérêts et besoins des deux parties prenantes principales à l’origine du conflit (La Seleka et le gouvernement de M. Bozizé). En effet, cet outil permet de révéler la face cachée des intérêts et des besoins des deux parties, très éloignées de leurs positions officielles.

En ce qui concerne le gouvernement, malgré des effets d’annonce répétés promettant une réforme de l’armée, rien n’a été réellement effectué dans ce sens. En effet, l’intérêt du gouvernement est de maintenir une armée faible, dans le but de conserver un monopole politique.

Du côté de la Seleka, les revendications publiques concernent la tenue des promesses du gouvernement par rapport aux accords internationaux de Birao - 20078. La Seleka demande également la restitution des matières premières qui sont accaparées par l’Etat et dont l’exploitation ne bénéficie pas à la population. Les intérêts sous-jacents de la Seleka sont tout d’abord la vengeance face à l’exclusion de M. Djotodia, fondateur de l’UFDR, de la scène politique par M. Bozizé en 2006. La rébellion recherche donc une place sur l’échiquier politique, mais également, et avant tout, à reprendre une certaine main-mise sur les matières premières. En effet, les besoins réels de la Seleka sont de renverser le président Bozizé afin de maximiser son profit et d’obtenir une représentativité politique pour la région du Nord -Est, jusqu’à présent négligée par l’Etat.

Après avoir analysé la situation fin 2012, nous allons maintenant exposer la situation actuelle, c’est-à-dire en février 2014, afin de montrer l’évolution rapide du conflit : multiplication des acteurs impliqués, passage d’un conflit politique à un conflit interconfessionnel, escalade de la violence…

2. Outil d’analyse du “Conflict mapping”

  • La communauté internationale

Pendant longtemps la situation en Centrafrique est considérée par la communauté internationale comme de basse intensité. Les agences de l’ONU ainsi que la France, ancien colonisateur, peinent à intervenir. Ce n’est qu’à la mi-juillet que, suite à des rapports de la mission conjointe de l’Union européenne et de l’ONU ainsi qu’à des déclarations du représentant spécial du secrétaire général des Nations unies, la communauté internationale commence à prendre en compte la crise en RCA. L’Union africaine annonce le remplacement, d’ici la fin de l’année, de la Fomac par la Mission internationale de soutien à la Centrafrique (Misca), dotée cette fois de trois mille six cents hommes. Enfin, fin août la France décide de rétablir la sécurité en RCA à travers la mission Sangaris. Ces deux actions ont pour but de saisir des armes et des munitions, ainsi que d’arrêter des chefs des « anti-balaka ».

Pour plus de détails sur les acteurs régionaux et internationaux ainsi que les interventions militaires veuillez vous référer au travail effectué par les autres groupes.

  • Ex-Seleka

La rébellion Seleka, qui est une coalition de plusieurs groupes très hétérogènes, est officiellement dissoute en septembre 2013 par son leader Michel Djotodia. Seule l’Union des forces démocratiques pour le rassemblement reste sous les ordres de M. Djotodia. Les autres groupes combattants d’ex-Seleka continuent à semer la terreur dans le pays, multipliant les exactions, les actes de torture, les pillages et violences sexuelles vis-à-vis de la population chrétienne.

Certains groupes de l’ex- Seleka se retirent vers le Nord du pays en laissant leurs armes à des musulmans qui s’en prennent aux chrétiens9.

  • Les « anti-balaka » et les fidèles au président déposé Bozizé

Face à des exactions commises contre la population chrétienne, des groupes d’autodéfense appelés « anti-balaka » se sont créés. Très rapidement, ces groupes n’ont plus cherché seulement à se défendre face à des Seleka, mais ont commencé à commettre des exactions contre la communauté musulmane. Cela provoque des batailles à répétition et une répression antichrétienne meurtrière par la Seleka10.

Depuis mi-janvier les exactions contre les musulmans se sont intensifiées. Les « anti-balaka » embrigadent les jeunes désœuvrés et en souffrance pour semer des troubles. Toutefois, ces milices ne sont pas véritablement homogènes. Il y a une tendance qui réclame le retour du président destitué Bozizé. L’autre tendance exige le départ de Djotodia qui est musulman du Nord et s’était autoproclamé chef de l’Etat en mars 2013. Aujourd’hui, on assiste à une véritable rupture entre les « anti-balaka » qui ont rendu les armes (et ceux qui souhaitent le faire) et ceux qui veulent poursuivre la lutte armée11.

  • La population civile

Les « anti-balaka » ont exacerbé dans le pays le sentiment anti-musulman. Ce sentiment a pris une telle ampleur qu’il s’agit, selon certaines ONG, d’une épuration ethnique dont les communautés musulmanes sont les victimes. Certaines exactions se passent sous les yeux des autorités de transition (lynchage d’un centrafricain de confession musulmane lors de la célébration de la renaissance des forces armées centrafricaines).

Par ailleurs, les communautés musulmanes elles-mêmes se livrent à la violence en s’attaquant aux communautés chrétiennes.

Il est à noter que jusqu’à présent les deux communautés cohabitaient pacifiquement. Il existait des tensions latentes entre chrétiens et musulmans mais qui n’étaient pas exprimées.

  • Les autorités religieuses

Les abbayes et les mosquées deviennent souvent des lieux de refuge pour les populations civiles qui fuient la violence.

Les autorités religieuses chrétiennes ou musulmanes ont une position ambiguë. En effet, de part et d’autre certaines tentent de réconcilier la population civile et d’autres exacerbent la haine envers l’autre communauté.

  • Les ONG

Elles ont le soutien moral de la communauté internationale mais pas les moyens réels d’accomplir leur mission auprès de la population civile.

Les ONG et même les agences onusiennes sont victimes de pillage de la part des groupes soutenant le président déchu Bozizé. Elles restent souvent les seules informatrices de la situation et sont en dialogue permanent avec la communauté internationale et le gouvernement de transition.

Par ailleurs, étant donné que les populations civiles trouvent leur refuge dans les mosquées ou églises, le travail des ONG est concentré dans ces zones. D’autant plus que l’accès à la population civile en dehors de ces sanctuaires est rendu extrêmement difficile en raison des pillages et d’un climat d’insécurité.

  • Le gouvernement de transition

Après la destitution de M. Djotodia, c’est Catherine Samba Panza, la seule candidate ayant le soutien des deux groupes armés ennemis, qui est élue à la présidence intérimaire de la Centrafrique le 20 janvier 2014. Après avoir été élue, elle lance un appel à déposer les armes et cherche à établir un dialogue entre les communautés musulmane et chrétienne. Son gouvernement intègre également des membres de l’ex-Seleka.

En ce moment, le gouvernement de transition soutenu par la communauté internationale cherche à réintégrer les milices « anti-balaka » mais aussi les ex-Seleka soit dans l’armée régulière, soit dans la vie civile à travers le programme de désarmement, démobilisation et réinsertion (DDR).

Cependant, certaines factions issues des deux milices refusent de se rendre d’où la persistance du conflit avec le gouvernement.

  • Les factions armées du Tchad, la LRA, les groupes criminels

Parmi les groupes criminels : les coupeurs de routes « zaraguinas » qui sévissent dans l’Ouest, le Nord-Ouest, le Nord-Est et dans le Centre. Les cibles privilégiées de ces bandits de grand chemin sont les convoyeurs de fonds, les commerçants et les éleveurs. En coupant les axes routiers, ils perturbent la libre circulation des personnes et des biens à l’intérieur même du pays, et par conséquent le ravitaillement de la RCA. Cela se ressent donc dans le panier de la ménagère qui est désespérément vide à cause des pénuries artificielles ainsi créées et de la cherté de la vie. Un autre problème est posé par les braconniers et les trafiquants venant majoritairement de certains pays voisins. La zone de sud-est est soumise à l’activité de la LRA. Au Nord du pays, les factions armées du Tchad ont établi leur base de repli afin d’opérer à distance contre le gouvernement tchadien.

Ces groupes ne prennent pas directement part au conflit mais leurs activités illégales rajoutent à l’instabilité que connaît le pays et à l’insécurité qui touche principalement la population civile.

Nous avons dans cette première partie identifié les causes de la crise actuelle et les motivations des différents acteurs en présence. Nous allons maintenant analyser les différentes formes prises par la violence et démontrer le caractère mouvant du conflit.

II. Les symptômes de l’instabilité et du conflit actuel : une violence permanente, massive et multiforme

De nombreux acteurs tels que les ONG internationales présentes sur place dénoncent aujourd’hui la violence généralisée qui s’est installée depuis le renversement du Président François Bozizé. Elles témoignent de pillages, de braconnages, de destructions matérielles, d’exactions, de bavures et d’atteintes aux droits de l’Homme12. La violence est cependant un élément présent dans la société centrafricaine depuis son indépendance et le pays a développé une véritable culture de la violence, ce qu’illustre le nombre élevé de coups d’Etat depuis l’indépendance.

A. Une culture de la violence en RCA

Comme on peut le constater sur la représentation graphique de la violence en RCA, on peut distinguer plusieurs types de violences en temps de paix relative ou en temps de guerre.

Le type de violence que l’on observe aujourd’hui en RCA est de nature visible et c’est la violence à laquelle on fait le plus souvent référence, car elle est le plus facilement perceptible. Ce type de violence se traduit par des actes physiques, tels que le meurtre ou la torture. Contrairement à cela, le pouvoir exerçait une violence invisible en toile de fond. Les musulmans et les chrétiens coexistaient en RCA, mais la violence constituait un outil de maintien du pouvoir créant ainsi des clivages entre les différentes régions et en favorisant certains secteurs, tout en en laissant d’autres à la traîne. Cette violence structurelle s’est traduite par une marginalisation du Nord-Est du pays au détriment de la région de Bangui, illustrée par le manque de routes goudronnées dans cette partie du pays (voir ci-dessous la Carte des infrastructures de transport en RCA18). Par ailleurs, le pouvoir de Bozizé a favorisé l’affaiblissement des forces de sécurité centrafricaines afin de minimiser le danger d’un coup d’Etat par les militaires13.

B. La transformation du conflit

Etant donné que seul trois présidents centrafricains sont arrivés au pouvoir suite à des élections et que le pays a connu sept coups d’Etat depuis son indépendance, la RCA connaît un véritable climat d’insécurité. Ces Présidents ont également favorisé un environnement politique corrompu avec une confusion entre l’intérêt public et privé, et de ce fait la population n’a pas pu bénéficier des ressources du sous-sol centrafricain (notamment de l’or, des diamants et de l’uranium). Le pays demeure ainsi l’un des plus pauvres en Afrique Centrale14 et il n’existe pas de justice sociale.

S’ajoute la violence culturelle, qui consiste en des douleurs anciennes telles que la traite des Noirs, particulièrement concentrée dans le Nord et le Sud-Est du pays, qui reste aujourd’hui toujours très présente dans les mémoires, selon des témoignages récoltés par l’UNESCO15.

Le racisme s’est aujourd’hui intensifié suite aux violences commises par les membres de l’ex-Seleka après la prise de pouvoir de Michel Djotodia. Jusqu’à présent, les musulmans et les chrétiens coexistaient de façon pacifique. Cependant, les Arabes, notamment originaires du Tchad, étaient en majorité des commerçants ou bien des revendeurs de diamants riches, ce qui créait des tensions latentes.

Depuis le début de la guerre civile, les tensions intercommunautaires se sont amplifiées sur la base d’amalgames entre l’appartenance aux Seleka ou aux anti-Balaka, supposant que les membres de l’ex-Seleka sont tous des musulmans et des Arabes, alors que les anti-Balaka sont présumés chrétiens. La question ethnique est ainsi instrumentalisée et alimente le conflit, qui, de fait, a changé de nature. Comme on peut le constater, cette conflictualité entre les ex-Seleka et les anti-Balaka repose sur un certain nombre de piliers.

Cela illustre comment les conflits ont la capacité de réorganiser la société, de transformer les relations humaines et de les « ethniciser ». Contrairement à ce qu’il en est en temps de paix, l’ethnie devient ainsi pertinente en temps de conflit, car c’est une distinction, qui contribue à se différencier de l’autre de manière simplifiée, s’appuyant ainsi sur une stratégie du bouc-émissaire et sur un discours haineux et schématisé.

De plus, l’absence d’un Etat de droit et de justice sociale contribue à ce que la violence devienne le seul recours possible. L’inertie de la communauté internationale et le soutien français aux nombreux coups d’Etats ont entravé un processus de construction d’un Etat fort basé sur les réalités locales du pays. Les Présidents en place ont ainsi été maintenus artificiellement au pouvoir jusqu’au nouveau renversement.

Comme ses prédécesseurs, le Président Bozizé avait volontairement maintenu les forces de sécurité faibles et sans moyens. C’est ainsi qu’elles n’ont pas été en capacité de répondre aux effractions de la Seleka en mars 2013 menant au renversement de son régime.

Toutefois, la Seleka est un groupe extrêmement hétérogène16, ce qui s’est montré être une faiblesse fatale, car en septembre, Djotodia a dû dissoudre le groupe et démissionner de son poste en tant que Président auto-proclamé. Les membres de l’ex-Seleka se sont mis à piller les villages et à pratiquer la politique de la terre brûlée17.

Outil d’analyse de la typologie des violences en RCA

Comme mentionné précédemment, le conflit en République Centrafricaine est entré dans une nouvelle phase et on observe un basculement vers un affrontement interconfessionnel. En termes de violence, certaines ONG comme Amnesty International ainsi que de nombreux auteurs parlent de nettoyage ethnique voire même de génocide. Afin d’identifier dans quelle situation se trouve présentement la RCA et afin d’analyser la transformation du conflit, ses symptômes et leurs buts, nous avons tenté d’élaborer un outil de typologie des violences.

A partir des définitions données à la violence extrême, au nettoyage ethnique et au génocide, nous avons essayé de déterminer, toujours en matières de violences, les conditions dans lesquelles se trouve la RCA. Compte tenu du caractère complexe et multidimensionnel du conflit et de ses acteurs, il semble difficile d’opérer une classification de la crise en RCA. Par ailleurs, le manque de recul et de perspectives s’ajoutent à la complexité de classification du conflit. Enfin, comme nous avons pu le constater, les frontières entre ses trois formes de violence paraissent floues. Ainsi l’objectif de cet outil est d’analyser les violences actuelles en RCA sans prétendre à la projection.

Comme on peut le voir sur l’outil (concepts soulignés en orange), le conflit actuel et ses manifestations violentes en République Centrafricaine sont complexes à catégoriser. Ainsi, on pourrait parler de nettoyage ethnique car on observe en RCA un exode massif des populations musulmanes et une stratégie de bouc-émissaire, caractéristiques de cette forme de violence. Cependant, certains auteurs parlent de génocide car on assiste aujourd’hui à de fortes tensions ethniques ainsi qu’à des atteintes graves à l’intégrité physique des membres de la communauté musulmane.

Ainsi la situation en RCA semble difficile à déterminer compte tenu de ce basculement vers une nouvelle phase et des incertitudes que cela entraîne en termes d’évolution du conflit.

Conclusion

Comme nous l’avons décrit, la violence est inscrite dans l’histoire Centrafricaine et prend des formes multiples. Le glissement vers le conflit confessionnel a été rapide et a conduit à des exactions de masse. Malgré les nombreuses condamnations de la communauté internationale, on ne retiendra que son impuissance à agir et à avancer sur des propositions pour sortir de cette crise. Le nouveau gouvernement de Catherine Samba-Panza, plus technique que le précédent, s’attellera à la remise en route de l’administration, à la préparation des élections et, dans la mesure du possible, au processus de réconciliation. Les observateurs s’accordent à dire que l’on s’achemine vers une crise longue et l’on peut aujourd’hui se demander si l’intervention militaire menée par la France sera à même de ramener une paix durable, ce qui est d’ores et déjà largement contestée par les ONG si dans le même temps on ne s’attaque pas aux causes profondes du conflit, en particulier la lutte contre la pauvreté via une meilleure distribution des richesses. Le risque de déstabilisation régionale est réel, Stéphane AKOA (chercheur au sein de la Fondation Paul Ango Ela, Yaoundé - Cameroun) affirme que plusieurs pays proches de la Centrafrique connaissent des contextes fragiles plus ou moins similaires et pourraient basculer, eux aussi, dans cette violence incontrôlée d’autant que l’arrivée massive de réfugiés, qui ne sont pas les bienvenus, bouleverse les équilibres géo-ethniques.

Notes

1: GOURDIN Patrice République Centrafricaine: géopolitique d’un pays oublié. ⟦En ligne⟧. 01-10-2013. ⟦Consulté le 10-02-2014⟧. Disponible sur <www.diploweb.com/Republique-centrafricaine.html>

2: International Crisis Group République Centrafricaine: anatomie d’un Etat fantôme. Rapport Afrique N⁰136. ⟦En ligne⟧. 13-12-2007. ⟦Consulté le 07-02-2014⟧. Disponible sur <www.crisisgroup.org/fr/regions/afrique/afrique-centrale/republique-centrafricaine/136-central-african-republic-anatomy-of-a-phantom-state.aspx>

3: SUR Serge Sur les “Etats défaillants”. ⟦En ligne⟧. 05-2006. ⟦Consulté le 14-02-2014⟧. Disponible sur <www.diplomatie.gouv.fr/fr/IMG/pdf/0502-SUR-FR-2.pdf>

4: Stéphane AKOA, « La crise centrafricaine-Quels risques pour la région ? », conférence, 9 février 2014, UPMF, Grenoble.

5: François-Xavier Verschave, De la Françafrique à la Mafiafrique », 2004, Tribord, 70 p.

6: Brice Arsène Mankou, « Le tribalisme, », Le Portique [En ligne], 5-2007 | Recherches, mis en ligne le 14 décembre 2007, consulté le 21 février 2014. URL : leportique.revues.org/1404

7: Concept de JF MEDARD, l’Etat est une coquille bureaucratique héritée de la colonisation mais les détenteurs du pouvoir exercent des formes de domination patrimoniales (clientélisme, népotisme…).

8: Voir page 7-8, Rapport “République centrafricaine : Les urgences de la transition”, International Crisis Group, 11 juin 2013.

9: RFI « Centrafrique: vaste opération Sangaris-Misca à Bangui », [en ligne] 15 février 2014. Disponible sur : www.rfi.fr/afrique/20140215-centrafrique-rca-vaste-operation-sangaris-misca-bangui-anti-balaka/

10: MUNIE Vincent « Agonie silencieuse de la Centrafrique », le Monde diplomatique, octobre 2013.

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