Jean De Dieu BALA ATUA, République Démocratique du Congo, janvier 2014
Les conflits dans la plaine de Ruzizi, à l’Est de la République démocratique du Congo
Les rivalités intercommunautaires entre les peuples Bafuliro et Barundi dans la plaine de Ruzizi, au Sud Kivu, à l’Est de la République Démocratique du Congo.
I. Présentation
La prise en compte de la géopolitique locale des conflits de l’est de la RDC est une nécessité pour aborder les problèmes en amont. C’est-à-dire, améliorer les relations inter-communautaires et rétablir la paix au niveau local.
Les organes qui s’occupent de la pacification de la région du Kivu - à savoir, le gouvernement de la RDC, les Nations unies, l’Union africaine, la Communauté des Etats d’Afrique Australe (SADC), la Conférence Internationale sur la Région des Grands Lacs (CIRGL) et les onze pays voisins de la RDC) - commettent l’erreur de s’atteler aux conflits armés entre antagonistes ou forces vives de la région sans tenir compte des racines de ces conflits.
L’objectif poursuivi par cette analyse reste essentiellement celui de proposer des pistes de solutions pour résoudre les problèmes liés aux conflits dans la plaine de Ruzizi dans le Sud Kivu à l’est de la République Démocratique du Congo. Des conflits dont plusieurs groupes armés sont issus (selon Crisis Group).
La plaine de Ruzizi se situe en République Démocratique du Congo, dans les Régions du Kivu, précisément dans la chefferie de Bafuliro et Barundi qui constituent les deux tribus antagonistes, et donc parties prenantes du conflit, de notre analyse.
En effet, les incompatibilités sources de conflits entre les deux acteurs précités datent de l’époque coloniale. Mais la crise actuelle est due à l’assassinat du chef (Mwami) de la communauté Barundi, après sa réinstallation par les autorités nationales à la tête de la chefferie de la plaine de Ruzizi. L’enquête judiciaire relative au dossier de cet assassinat met en cause les éléments d’une milice de l’autre tribu vivant dans la zone : les Bafuliro. Quatre chefs coutumiers Bafuliro ont ainsi été arrêtés, ce qui a déclenché une spirale de violences dans la plaine de Ruzizi au cours de l’année 2012.
Ce territoire est peuplé par les Bafuliro et les Barundi, qui, selon les estimations, représentent respectivement environ 80 % et 20 % de la population de la Zone (1). Chaque communauté a réinventé l’histoire récente afin de légitimer sa présence et son droit de gouverner.
II. Contexte : les sources des conflits
Il sied de signaler que la plaine de Ruzizi, objet de notre analyse, est très convoitée du fait de son confort en terre graphique très stratégique pour permettre les échanges transfrontaliers…
1. Rivalités économiques et foncières
Les rivalités économiques et foncières entre Bafuliro et Barundi dans la plaine de la Ruzizi remontent à l’époque coloniale. Lorsque les Barundi se sont installés dans la plaine, ils servaient uniquement de réserve de classe pour les Bafuliro et étaient largement délaissés du fait de la présence endémique de la malaria (2). Les Bafuliro considèrent toujours que les premiers Barundi étaient des voleurs de bétail qui avaient traversé la rivière Ruzizi pour échapper au Roi Ntare Rugamba du Burundi (3). Ce conflit sur les droits de pâturage et d’occupation des terres s’est étendu aux autres ressources de la plaine de la Ruzizi au fur et à mesure de son développement. Dans cette région, comme ailleurs en Afrique, la terre est un marqueur clé de l’identité collective mais aussi une source des revenus essentielle.
2. La perte du pouvoir par des Barundi
En 1996, le Mwami Ndabagoye de la communauté Barundi est démis de ses fonctions par l’Alliance de Forces Démocratique pour la Libération du Congo –Zaïre (AFDL) de Laurent Désiré KABILA, et il se retrouve contraint à exil en Angola. Il revient au Congo en 1998 comme officier au sein du Rassemblement Congolais pour la Démocratie (RCD). C’est cette participation à la rébellion du RCD que les dirigeants Bafuliro mettent en avant pour contester sa légitimité. Ils lui reprochent d’avoir perdu, ainsi que ses descendants, le droit de gouverner la chefferie en adhérant au RCD et donc, selon eux, en trahissant le pays au profit du Rwanda.
3. Développement agricole
La culture de la rente dure introduite depuis l’époque coloniale augmente l’importance de la plaine, tant sur le plan économique que social. A la fin du XIXè siècle, le colonisateur belge y introduit la culture du coton. A partir de 1950, la culture du riz fait son apparition ; en 1956, c’est la culture de la canne à sucre qui se développe avec l’installation, dans la localité de Kiliba, d’une sucrerie privée qui couvre alors 6 000 hectares, emploie 3 500 salariés et est appelée « Gécamine d’Uvira ». Ce développement des activités agricoles bénéficie davantage aux habitants de la plaine, les Barundi, qu’aux habitants des plateaux, les Bafuliro, ce qui a pour conséquence d’accroître les tensions entre les deux communautés.
III. Acteurs en présence :
1. Acteurs principaux
Les principaux acteurs du conflit sont les peuples de deux chefferies de la plaine de Ruzizi, les Bafuliro et les Barundi. Ces parties prenantes, directement concernées par le conflit, s’estiment abandonnées par le gouvernement qui, malgré des efforts fournis, n’est pas toujours parvenu à résoudre totalement leurs problèmes et ni à pacifier totalement la région.
2. Autres acteurs
Les acteurs auxiliaires concernant ce conflit sont : le gouvernement de la République Démocratique du Congo, le Rwanda, l’Ouganda, les Nations Unies et d’autres organismes régionaux comme la Conférence Internationale sur la Région des Grands Lacs (CIRGL) et la Communauté des Etats d’Afrique Australe (SADC) qui ont renouvelé leur engagement en faveur de la paix et de la stabilité dans la région.
IV. Enjeux
Les enjeux de la plaine de Ruzizi sont mitigés, d’autant que cette plaine constitue un point stratégique notamment pour la sécurité de la RDC, car elle se trouve dans une zone frontalière (Burundi, Rwanda, Ouganda). Elle regorge de ressources multisectorielles et plusieurs rébellions ont eu comme point de départ cette plaine. Nous citons : la rébellion organisée par les groupes Maï-Maï avec la conspiration du chef coutumier du territoire d’Uvira, Mwami Ndare, lui qui était également membre fondateur du RCD, joue un double jeu en entretenant aussi des liens étroits avec les groupes Maï-Maï présents dans sa chefferie et finit par rallier en 2001 les Maï-Maï soutenus par Kinshasa (4). La prise d’Uvira durant une semaine par les Maï-Maï en octobre 2002 permet au Mwami Ndare de construire son image de résistant contre le RCD. Le Mwami Ndabagoye, quant à lui, renforce sa position au sein du RCD et devient sénateur durant la transition.
A partir de 2004, sur décision du gouvernement de Kinshasa qui souhaite écarter les anciens cadres du RCD, le Mwami Ndabagoye est privé de son pouvoir coutumier et un Bafuliro est nommé comme chef coutumier de la chefferie de la plaine de Ruzizi par l’administrateur du territoire. Les Bafuliro atteignent ainsi leur objectif historique de contrôle du pouvoir coutumier dans la plaine de Ruzizi et les Barundi s’en voient mis à l’écart.
V. Actions
En 2012, avec l’aide logistique de la Monusco, l’administrateur du territoire d’Uvira avait lancé des négociations entre les deux communautés. Dès le début de l’année, le bureau de la Monusco à Uvira avait en effet mis en garde contre les risques de conflit dans la plaine. Si leur alerte avait été prise en compte par le bureau de Bukavu, il a fallu attendre l’assassinat du Mwami Ndabagoye, le 25 avril, pour que les bureaux de Kinshasa s’inquiètent de la situation (5). En août, la Monusco avait organisé des concertations intercommunautaires sans grand succès (6). Il a fallu l’intervention du ministre national de l’Intérieur et des Affaires coutumières en septembre pour qu’un acte d’engagement soit signé entre les communautés (7). Ce texte est davantage un code de bonne conduite qu’un accord de paix : les chefs traditionnels des chefferies Bafuliro, Bavira et de la plaine de la Ruzizi se sont engagés à respecter l’autonomie des entités administratives, à lutter contre l’instrumentalisation de la jeunesse, à condamner les actes d’hégémonie ethnique, à promouvoir la cohabitation pacifique, à respecter les équilibres traditionnels dans la direction des chefferies, à condamner la xénophobie, à aider les FARDC dans leurs actions de désarmement des groupes armés et à soutenir l’action de la Police Nationale Congolaise (PNC).
VI. Résultats Défis
Après le meurtre du Mwami des Barundi en mars 2012, son fils Floribert Nsabimana Ndabagoye lui a succédé, les violences intercommunautaires se sont alors multipliées et une partie des Barundi s’est réfugiée au Burundi (8). Des initiatives ont été prises pour apaiser les tensions entre les deux communautés mais leur échec a révélé les failles des mécanismes de gestion des conflits. Ce n’est qu’avec la disparition du Mwami des Bafuliro que la crise est entrée en sommeil, sans toutefois avoir été résolue.
Les défis à relever sont tels que le gouvernement doit :
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Elaborer un code de bonne conduite des chefs coutumiers en matière de gestion foncière pour le territoire d’Uvira, dans l’attente de la réforme foncière qui devrait redéfinir le rôle des autorités traditionnelles dans ce domaine.
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Doter les institutions de gestion foncière (le tribunal de paix et l’administration cadastrale) des moyens nécessaires à leur bon fonctionnement ; permettre une meilleure représentation de la diversité ethnique du territoire d’Uvira au sein de celle-ci ; et implanter un tribunal de grande instance à Uvira pour rapprocher la justice foncière du justiciable et accélérer les procédures.
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Lancer des enquêtes pour identifier les donneurs d’ordre des groupes armés, arrêter et mener l’instruction et le procès de ces donneurs d’ordre et des responsables des affrontements intercommunautaires hors de la province du Sud Kivu.
VII. Conclusion
D’une façon globale, nous comprendrons que l’Etat ou le gouvernement de la RDC reste la principale « plaque tournante » pour résoudre les problèmes des conflits qui gangrènent son étendue territoriale. Sans pour autant nous écarter de notre sujet, nous pouvons bien nous inspirer du M23 dernièrement mis en déroute. L’histoire nous rappelle très bien que le M23 n’était qu’une continuation de l’ancien CNDP (Congrès National pour la Défense du Peuple) qui avait signé le traité de paix avec le gouvernement de la RDC, sous condition d’être admis comme parti politique et en échange de la relaxation de ses membres en prison. Le non respect de cet accord est donc à la base de naissance du M23.
De même, pour la résolution complète des conflits qui opposent les Bafuliro et les Barundi, le gouvernement congolais doit être au centre pour prendre des initiatives et des décisions concrètes afin de pacifier ces peuples et la région entière, et ce, d’autant plus que Nations Unies (UN) comme d’autres organismes sous régionaux (CIRGL, SADC) ne déploient pas les efforts attendus.
En définitive, les rebellions de l’Est de la République Démocratique du Congo restent à mon avis, les effets. Les causes sont essentiellement des querelles locales et intercommunautaires qu’il convient de résoudre en amont.
Notes
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(1) : Entretien de Crisis group, administrateur de territoire membre du personnel des Nations Unies, représentant de la société civile, Uvira, 19 et 23 janvier 2013.
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(2) : Entretiens de Crisis Group, notables Bafuliro, Uvira et Lemera, 18 et 22 Janvier 2013.
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(3) : Entretiens de Crisis Group, universitaire burundaise et notables bafuliro, Bujumbura et Lemera, 18 décembre 2012 et 18 janvier 2013.
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(4) : « Le pouvoir traditionnel au Sud-Kivu de 1998- 2003 : rôle et perspective », L’Afrique des Grands Lacs, Annuaire 2004-2005, p.209-234.
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(5) : Interrogés par Crisis Group, des membres de la Monusco ont déploré le manque de réactivité de l’équipe pays à Kinshasa, qui a attendu l’intervention du ministre de l’Intérieur pour mesurer l’importance de la crise. Entretiens de Crisis Group, membres des Nations unies, Uvira, Bukavu et Kinshasa, 17 et 23 janvier, 25 février 2013.
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(6) : « Uvira : la MONUSCO soutient le dialogue entre les communautés Bafuliro et Barundi », Echos de la MONUSCO, no. 14, septembre 2012.
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(7) : « Le ministre de l’Intérieur Richard Muyej fait sceller un pacte de paix entre les Bafuliro et Barundi de la plaine de la Ruzizi au Sud-Kivu », Digital Congo, 1 octobre 2012.
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(8) : Selon le HCR au Burundi, 5 700 individus d’origine Barundi venus de la RDC ont été enregistrés comme nouveaux réfugiés en 2012. Entretiens de Crisis Group, membres du HCR, Bujumbura, 7 janvier 2013.