Fiche d’acteur

, Grenoble, France, août 2006

Michel LELIEVRE

Actions de police et construction de la paix.

Mots clefs : Force de police et construction de la paix | Education à la citoyenneté | Résistance aux groupes terroristes | Reconstruire la paix. Après la guerre, le défi de la paix. | Amériques | Amérique Centrale | Haïti | El Salvador

Présentation et implication de Michel Lelièvre à la Mission d’observation des Nations Unies au Salvador (ONUSAL)

Michel Lelièvre était lieutenant-colonel de la Gendarmerie Nationale française lorsque je l’ai rencontré en novembre 1992 à San Salvador ; il dirigeait les opérations de la Division de police de la Mission d’observation des Nations Unies au Salvador (ONUSAL) chargée de la mise en œuvre des accords finaux de paix signés en janvier 1992 après une guerre civile qui avait duré 12 ans, fait plus de 80 000 morts et provoqué le déplacement d’un demi million de personnes. Il est important de noter, comme il l’a fait lui-même, que ses origines (né en Algérie de parents appartenant à la classe moyenne), la formation qu’il avait reçue (l’école républicaine, le scoutisme), sa carrière et son ouverture au monde le prédisposaient à jouer un rôle particulièrement actif dans contexte culturel très particulier et un dispositif qui innovait totalement en créant les conditions d’une paix durable au moyen d’une démilitarisation du pays et de la société. Les Nations Unies ont mis en place un système qui a dû :

  • restructurer l’armée ;

  • créer une nouvelle police ;

  • réformer le système judiciaire ;

  • préparer des élections ;

  • engager ainsi la reconstruction nationale, contribuant à ce que certains observateurs ont qualifié de « révolution négociée ».

Il s’agissait d’éduquer à la paix, grâce à une transformation des mentalités de tous les acteurs de la société, aussi bien les tenants du pouvoir que les responsables de la guérilla, en passant par les simples citoyens. D’une certaine façon, on les a renvoyés à l’école des principes élémentaires du droit, des droits de l’Homme et de la démocratie. Observant que cette mission était la première constituée de l’ensemble des principales composantes d’un Etat (conseillers politiques, division juridique, division de police et division militaire) M. Lelièvre faisait deux suggestions pour l’avenir :

  • la constitution d’une force de police propre à l’ONU ;

  • la faculté pour les pays qui en disposent de faire appel à la ressource que constituent les personnels de réserve. Une des missions les moins connues, et pourtant l’une des plus efficaces, de l’histoire de l’Organisation des Nations Unies méritait qu’on la décrive de l’intérieur ; ce qu’a fait M.Lelièvre en 1995, sous le titre « Sur le chemin de la paix », pour la collection « Culture de paix » chez Desclée de Brouwer.

La lutte de Michel Lelièvre contre la grande criminalité portant notamment atteinte aux droits de l’Homme

Les leçons qu’il a tirées du Salvador, M. Lelièvre a tenté de les appliquer ensuite comme consultant en matière de police internationale. Ayant quitté la Gendarmerie, expert en formation à l’analyse du renseignement criminel, contre le crime international organisé, il collabore avec les Nations unies et l’International Criminal Investigative Training Assistance Program (ICITAP), un organisme qui dépend du ministère de la Justice des Etats-Unis. L’orientation principale est la grande criminalité, en particulier celle qui porte atteinte aux droits de l’Homme (une des principales sources de financement de l’ICITAP est America’s Watch). M. Lelièvre intervient parallèlement dans une formation universitaire de 3e cycle spécialisée dans le terrorisme à Champ S/Marne (initiée par l’amiral Lacoste). Après le Salvador, ces missions l’ont conduit notamment à Haïti, pour la création d’une police, au Liban, pour la formation aux droits de l’Homme des personnels de police et de justice et, plus récemment, en Albanie, dans le cadre de l’effort de contrôle et de limitation du crime organisé. Sur un plan général, les principaux trafics combattus, par ordre d’importance, sont :

  • les trafics de personnes (prostitution, émigration, travail clandestin) ;

  • les drogues ;

  • les armes.

Ils alimentent le terrorisme international à hauteur de 70 %. Dans les pays émergents, tels que, par exemple, l’Albanie, la Macédoine et le Monténégro. Il s’agit de les aider à se rapprocher des normes européennes en matière de police et de justice. En Albanie, les responsables des grands services de police ont été réunis en groupes de travail (drogue, protection des enfants, notamment) pour faire évoluer la législation du pays vers un plus grand respect des droits de l’Homme ; la réforme préalable a consisté à transformer le statut de la police en une force à caractère civil.

La richesse des expériences d’un véritable acteur de terrain

C’est à ces divers titres que nous l’avons associé à la constitution du collège des militaires de l’Alliance pour un monde responsable, pluriel et solidaire et qu’il a participé au séminaire de Grenoble en septembre 2001. Ses convictions se renforcent au fur et à mesure de ses missions : essentiels sont pour lui, dans une perspective de construction d’une société démocratique, le rôle de la police, une « force humaine » au service du droit, et l’éducation du citoyen qui prépare à l’observance des règles et émancipe à la fois. Il reste, en même temps, terriblement lucide sur le « déséquilibre des forces » : « l’économie du crime organisé dans le monde, c’est 1 000 milliards de dollars par an ! » Ainsi que sur la situation de certains pays que l’on qualifie de « faillis ».

« A Haïti, il n’y a plus d’élites ; toutes ont quitté le pays. Les lois étaient bonnes mais le politique était dévoyé : Aristide a mis en place sa propre milice, parallèlement à la police que nous avions formée, pour noyauter la politique de l’Etat et notamment pousser les principaux responsables de la police et de la justice à renoncer à leurs responsabilités et à s’exiler ». Absence de formation, absence d’idée de nation, ressentiment contre l’ancien colonisateur français à qui on demandera de l’argent, au lieu de rechercher un soutien à l’éducation par exemple, caractérisent le pays. Celui-ci souffre d’une telle faiblesse de l’administration qu’il faudrait que l’ONU puisse concevoir une sorte de tutelle amicale, fraternelle, qui s’exercerait pendant une période donnée. L’exemple récent de Timor montre une même nécessité.

On peut se référer à ce que fut la politique du Premier ministre Michel Rocard en Nouvelle Calédonie qui, après les accords dits « de Matignon », ouvrit des écoles, et format des administrateurs de région, notamment, pour rendre les Kanaks capables de gérer le pays dans la perspective d’une indépendance à terme.

Se rappeler également que c’est Marrack Goulding, qui a été Sous-secrétaire général aux affaires politiques de l’ONU, qui a encouragé Joaquim Villalobos, ancien « comandante » très en vue de la guérilla salvadorienne, à suivre des études spécialisées dans le champ de la paix à Oxford.

Dans de telles circonstances, le problème de la fermeté des politiques est déterminant et il faut admettre qu’il y ait des pays « incapables majeurs ».

A propos de la Somalie, qui pose aujourd’hui un gros problème à la communauté internationale, quelle pourrait être la caractéristique d’un Etat failli : sa mauvaise gestion ; l’absence d’une structure administrative digne de ce nom ; absence de personnels politiques à la hauteur ? De fait, la capacité des dirigeants politiques d’un pays à faire appliquer une décision est déterminante. « La non décision est quelque chose de terrible ».

« Au Liban, où des conférences ont été organisées pour des magistrats, futurs juges d’instruction, nous nous sommes rendus compte que les jeunes qui bénéficiaient des meilleures formations étaient soumis, très tôt, à de fortes pressions politiques qui ne pouvaient que les dévoyer ».

Le problème de la presse est également fondamental : c’est elle qui participe à l’éveil et à la formation du citoyen et qui accompagne le processus démocratique. Elle tient sa place dans le travail de formation et d’éducation, de construction de la société ; elle est une composante de la promotion d’une culture.

Presque 15 ans après la fin de la guerre, le Salvador montre le double phénomène de la difficile adaptation/réinsertion des générations qui ont été habituées à la violence par la guerre civile et du retour des Etats-Unis des gangs formés à l’américaine et qui importent dans le pays puissance, méthode et organisation afin de se constituer des territoires et devenir des « boss ». « Il y a fort à parier qu’une guerre des gangs ne tardera pas à se déclencher dans les principales villes du pays. En face, il faut que les policiers salvadoriens soient formés par la police américaine, que la capacité d’analyse et d’anticipation de leurs responsables soit développée et que la législation du pays évolue ».

Le lancement de la collection "Culture de paix"

La rencontre avec un tel acteur de terrain a été déterminante pour le lancement de la collection « Culture de paix »  : il s’agissait de montrer que l’aventure de la paix mérite d’être tentée. L’expérience du Salvador a t’elle fait école ? A partir de l’ouvrage de la collection « Culture de paix », des idées auraient circulé parmi des congressmen aux USA. Iqbal Riza, qui était chef de la Mission d’observation des Nations-Unies en El Salvador puis le Directeur de cabinet du Secrétaire général Kofi Annan, semble s’y être intéressé et les dernières évolutions de la pratique des Nations-Unies, en la matière, laissent penser que des leçons sont tirées des expériences de ces dernières années.

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