Larbi Bouguerra, Paris, décembre 2006
Le projet de canal pour sauver la mer Morte reprend vie
L’idée consisterait à apporter de l’eau depuis la mer Rouge, pour approvisionner le grand lac salé qui s’assèche mais aussi pour irriguer le désert et faire tourner une centrale électrique.
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Réf. : 1- « La question de l’eau au Moyen –Orient. Perspectives économiques, stratégiques, les possibilités de conflit et la coopération » (sous la direction de Najib Issa, Centre d’études stratégiques, de recherche et de documentation, Beyrouth, 1994 (en langue arabe) ., 2- Emission de la chaîne satellitaire en langue arabe « El Jazeera » : « Jordanie, Palestine et Israël étudient l’ouverture d’un canal entre les mers Morte et Rouge » le 10 décembre 2006., 2- Michel Bôle-Richard, « Le projet de canal pour sauver la mer Morte reprend vie » , Le Monde, 21 décembre 2006
Un pojet de canal pour sauver la mer Morte
Si rien n’est fait d’ici 2050, la mer Morte n’existera plus. Ce vaste lac salé - si salé que tout, pratiquement, flotte dessus - situé à 400 mètres au dessous du niveau de la mer Méditerranée ne sera plus qu’un vaste désert blanc de sel. L’évaporation jointe au fait que les Israéliens ont détourné son unique source d’approvisionnement en eau – celle venant du Jourdain - a provoqué une baisse du niveau de cette mer de 25 mètres en un siècle. Pour éviter cette lente agonie, il a été décidé, le dimanche 10 décembre 2006, à Amman, capitale de la Jordanie, de lancer une étude de faisabilité d’un canal de 180 km de long, de la Mer Rouge à la mer Morte, qui comblerait ce déficit hydrique.
Un projet ambitieux de longue date
Le projet a été mis sur le tapis à de nombreuses reprises, le siècle dernier, par des spécialistes libanais, des ingénieurs européens, émules de Ferdinand de Lesseps et de son canal de Suez et quelques originaux. Même si ces projets primitifs avançaient l’idée d’un canal entre la Méditerranée – plus proche - et la mer Morte. Des débuts de réalisation d’un canal enterré ont même vu le jour mais ont été par la suite remisés au magasin des accessoires par manque de moyens, d’opportunités politiques… A la suite du processus d’Oslo signé par les Palestiniens et les Israéliens en 1994, l’idée d’associer l’Autorité palestinienne et la Jordanie a été avancée. Le canal partirait du golfe d’Akaba, en Jordanie, sur la mer Rouge et permettrait, dans la foulée, de réaliser une véritable œuvre industrielle, fournissant énergie électrique et eau douce à la région. On se propose de pomper l’eau de la mer Rouge jusque dans les montagnes à proximité du Golfe d’Akaba, à 600 mètres de hauteur par rapport au niveau de la mer Morte. De là, un canal de 180 km, en partie couvert (pour éviter l’évaporation) serait creusé en territoire jordanien jusqu’au sud du bassin inférieur de la mer Morte. Une centrale hydroélectrique permettant de produire 800 MW serait construite ainsi qu’une unité de dessalement en mesure de fournir 800 millions de m3 par an, à proximité du point de jonction avec la mer Morte.
Bien entendu, cette eau servirait à maintenir le niveau de ce grand lac salé de 75 km de long sur les bords duquel s’est installée une industrie touristique, balnéaire et industrielle (extraction du brome). Elle servirait aussi à l’agriculture. Ainsi, on ferait d’une pierre deux coups : la mer Morte reviendrait à la vie et le désert pourrait refleurir.
Les études de faisabilité devraient durer deux ans et coûteraient 15 millions de dollars. La Banque Mondiale a déjà débloqué 9 millions de dollars provenant de la France, du Japon, des Etats Unis et de la Hollande. Le coût total du projet (pour les deux premières phases uniquement) serait de 3 à 4 milliards de dollars. A lui seul, le creusement du canal demandera un milliard de dollars. La centrale et l’unité de dessalement demanderaient 2,5 milliards de dollars. Reste ensuite à construire les infrastructures permettant de convoyer l’eau vers la Jordanie, les territoires palestiniens (y compris Gaza qui souffre d’un terrible et chronique manque d’eau) et Israël.
Commentaire
Le plus intéressant ici est qu’il s’agit d’un projet en commun entre trois partenaires qui se font (ou se sont faits) une guerre atroce et qui se disputent la même terre et les mêmes ressources depuis un demi-siècle. On aurait là une collaboration fructueuse et pacifique de trois peuples et que matérialiseraient le canal et ses infrastructures. C’est pour cela que l’on parle du « canal de la paix ». Au delà des retombées économiques et écologiques, la portée symbolique de l’affaire est formidable… tout autant que les obstacles qui se dressent sur sa route :
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occupation militaire ;
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innombrables check points ;
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routes de contournement ;
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Mur de Séparation…
Pourtant, le ministre jordanien de l’eau, Mohammed Zafer Al-Alem, le ministre israélien des infrastructures Benjamin Ben Eliezr et Mohammed Mustapha, conseiller économique du président palestinien Mahmoud Abbas, ont préféré mettre l’accent sur les retombées politiques positives de cette gigantesque entreprise.
Il va de soi qu’à l’heure actuelle, le « canal des deux mers » n’existe que sur les tables de dessin des ingénieurs. Des études doivent être faites : environnement, climat, biodiversité, répercussions sur les deux mers du transvasement de telles masses d’eau…
Pour l’expert jordanien Doureid Mahasnah, les travaux dureraient de six à neuf ans et, de son côté, le ministre palestinien de l’hydraulique estime le coût du projet à 25 milliards de dollars. Il va de soi que, sans la coopération et la solidarité internationales, cette somme ne pourrait être fournie par les trois partenaires seuls. De plus, la solidarité s’impose pour le transfert du know-how que demande une telle entreprise comme l’UNESCO l’a montrée, dans les années soixante, lors de la translation des temples pharaoniques d’Abou Simbel, translation nécessitée par l’érection du barrage d’Assouan et la création du lac Nasser. La paix dans la région mérite cet effort – et honorerait ses auteurs - face aux souffrances indicibles des populations, face à la crise de l’eau et à la guerre qui déchire le Moyen-Orient et menace la paix mondiale comme le montrent de nombreuses enquêtes d’opinion dans le monde (voir The Observer, 02 novembre 2003).