Fiche de défi

, France, juin 2015

Burundi : chronique d’une crise annoncée

La réélection de Nkurunziza avait déjà été suspectée de fraude en 2010, et le pouvoir, depuis, est déterminé à rendre possible les prétentions du Chef de l’État de passer outre les dispositions de la Constitution, l’empêchant de se représenter à un troisième mandat. L’écho de la crise burundaise résonne bien au-delà des frontières de ce pays enclavé, du cœur de l’Afrique. Elle est une alerte de plus, pour chacun des pays africains concernés par la traditionnelle « farce électorale ».

Mots clefs : | | | | |

Voir source en Notes

Le Burundi se trouve au centre de l’actualité « constitutionnelle » des Grands Lacs, pour l’interprétation à géométrie variable de certaines dispositions du texte constitutionnel et des Accords d’Arusha qui en sont l’adossement. Une lecture spécieuse garantirait au Président Pierre Nkurunziza, une candidature à un troisième mandat présidentiel. Ce qui n’est pas l’avis de nombre d’acteurs politiques et de la société civile burundaise, qui se fondent sur l’esprit et la lettre des textes susmentionnés. La crispation des positions produit les pires effets, dans cette confrontation comparable à une véritable logique de guerre. Deux points s’en dégagent: l’exigence constitutionnelle de la limitation du nombre de mandats présidentiels d’une part, et la dynamique du jeu institutionnel par lequel se projettent et s’affirment les entrepreneurs politiques qui ont la charge de diriger l’État.

La limitation du nombre de mandats présidentiels

La limitation du nombre de mandats présidentiels s’inscrit dans l’historicité politique récente en Afrique (bien que son enracinement puisse aux mêmes sources) : elle coïncide avec l’avènement du pluralisme démocratique. Les partis uniques ont prévalu en Afrique, dès les indépendances, et les modes de conquête, d’exercice et de transmission du pouvoir ont été régis par d’autres règles que celles démocratiques. La mutation des manières de penser et d’agir, d’un système politique à un autre, ne peut s’envisager dès lors sans les nombreuses résistances auxquelles nous faisons face.

Cette question présuppose l’exigence de l’alternance, comme régulateur de la compétition politique. Elle est, parmi d’autres, un moyen d’oxygénation de la vie politique. Sans être un absolu, elle est un des marqueurs du consensus élaboré par les sociétés politiques, dont émane généralement la Constitution.

La représentation de la Constitution en Afrique pose pourtant un grave problème. La désincarnation du texte est avérée, tant sa réappropriation globale par le citoyen reste un leurre. S’il identifie à dessein un élément parmi d’autres, pour fixer la perspective de son engagement, l’essence du texte, elle, reste à bien d’égards lointaine. En effet, ce texte fondateur procède rarement des dynamiques transactionnelles inclusives d’une grande partie des citoyens. Il est pour l’essentiel, l’instrument de légitimation des prétentions d’un individu ou d’un groupe d’individus, pour accéder au pouvoir, s’y maintenir, ou exclure de potentiels rivaux.

Dans le cas du Burundi, les Accords d’Arusha ont fait l’objet de longues négociations, avec la caution d’États de la sous-région, l’Union africaine, les Nations unies et d’autres partenaires stratégiques du Burundi, comme l’Union européenne. S’il n’existe pas d’accord parfait, les résolutions d’Arusha ne peuvent faire durablement, l’objet de vaines arguties de droit constitutionnel. La Constitution qui s’inspire de ces Accords est plus explicite encore, dans son souci de tourner résolument le dos aux causes des précédents conflits qu’a connus le pays. Comment expliquer donc l’impasse dans laquelle se retrouve ce pays, quand une partie des acteurs signataires de ces accords les travestissent et l’exposent aux risques d’une guerre civile ? Quelles sont les parts de responsabilité respective, qui incombent tour à tour à l’ensemble des acteurs, et à ceux en particulier, qui font le choix préjudiciable d’une telle rupture unilatérale du contrat social ?

De quels dirigeants politiques avons-nous besoin ?

La dégradation de la situation au Burundi s’est faite progressivement, les derniers mois ne nous en révélant que les fractures les plus saillantes. La réélection de Nkurunziza avait déjà été suspectée de fraude en 2010, et le pouvoir, depuis, est déterminé à rendre possible les prétentions du Chef de l’État de passer outre les dispositions de la Constitution, l’empêchant de se représenter à un troisième mandat.

Dans cette lente et inexorable descente aux enfers, l’opposition au troisième mandat a tenté de se mobiliser, face à un acteur présidentiel en position dominante, exploitant en sa faveur les moyens de l’État pour asseoir son projet. La disproportion des ressources entre les mains des partisans du troisième mandat, appelait une mobilisation conséquente de tous les acteurs politiques et de la société civile opposés à cette candidature. Il faudrait sans doute investir les raisons de cet échec à faire franchir le Rubicon de la discorde au Président Nkurunziza.

Il apparaît donc, la nécessité d’un éveil permanent, dans le contrôle du fonctionnement des institutions dont nous devons tous travailler au renforcement. Cela ne va pas non plus, sans une activation constante, des mécanismes de contrôle de la constitutionalité des actes des hommes à qui revient la lourde mission de conduire les affaires de la Cité.

La question du leadership se pose enfin, dans la configuration de nos sociétés politiques, caractérisées notamment par l’immensité des disparités en tous genres, entre la minorité qui détient le pouvoir politique - et toutes ses gratifications - et le peuple.

Aucun pays en Afrique ne peut faire l’économie de ce débat de fond, qui associe quasi inéluctablement l’accès au pouvoir politique au contrôle exclusif de tous les moyens d’enrichissement de l’État. Cette acception volontiers triviale trouve sa pleine expression, en cette phase d’accumulation primitive du capital.

L’incompétence et le manque de sens de l’État de ces « ayants-droits » produisent d’incalculables conséquences, dont nous restons encore en Afrique, pratiquement tous tributaires.

L’écho de la crise burundaise résonne bien au-delà des frontières de ce pays enclavé, du cœur de l’Afrique. Elle est une alerte de plus, pour chacun des pays africains dans lesquels, la traditionnelle « farce électorale », n’est, pour certains entrepreneurs politiques, que légitimatrice d’ambitions dont les oripeaux d’un certain républicanisme d’emprunt sont loin de masquer la vacuité et le cynisme.

Notes