Fiche d’analyse

, Cameroun, 2015

Attentats terroristes de Paris : tragédie d’un vendredi 13

L’ensemble des États de la nouvelle coalition antiterroriste sont dans l’urgence d’une réflexion de fond pour mener des actions efficaces et prendre des mesure à long terme.

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Il y a deux semaines exactement, la terreur était portée au cœur de Paris, par l’attaque de sites emblématiques d’une certaine sociabilité, dans la capitale politique française : un stade de football, des terrasses de café ainsi qu’une salle de spectacles. Depuis lors, la France est en guerre dans ses propres frontières, un certain nombre de mesures ayant été prises, dont l’instauration de l’état d’urgence, et la montée en puissance des frappes aériennes contre des objectifs militaires de « Daech » (le proto-État ayant revendiqué la perpétration des attentats) en Syrie et en Irak.

Un hommage national sera d’ailleurs rendu ce vendredi aux victimes, nombreuses, de ces actes barbares, qui interrogent, et sortent une grande partie de l’opinion, de la naïveté entretenue, sur les réalités – fort complexes - du monde, alors même que le pays célèbre depuis 2014, le centenaire de la Grande guerre de 14-18.

De l’abondance d’avis formulés, des hypothèses contradictoires posées et des réponses étonnamment toutes faites, déclamées ci et là, nous pouvons nous appesantir sur deux points qui nous semblent essentiels : la dimension transfrontalière et trans-Étatique du terrorisme ; et ses manifestations en Afrique notamment, le continent cumulant le terrible et double inconvénient de sa vulnérabilité et d’une certaine dépendance stratégique, pour endiguer ce torrent, véritable facteur du non-développement.

Le « macroterrorisme » : nouvelle réalité des relations internationales

L’unanimisme (de façade ?) adopté depuis quelques jours par l’ensemble des puissances frappées au cours des dernières années, d’actes terroristes, masque mal la complexité des agendas spécifiques de chacune d’elles, dans les différents champs d’opération, en particulier au Moyen-Orient.

Des accords Sykes-Picot (1916) aux errements de la résolution de la guerre civile en Syrie (enclenchée en 2011), il y a bien eu les trois guerres israélo-arabes, la guerre Iran-Irak et, plus récemment encore, la quasi dislocation de l’Irak, entamée par la guerre qui y a été menée par les Usa dès le 20 mars 2003. L’énumération est loin d’être exhaustive : en un siècle des relations internationales, cette région du monde a entretenu et continue d’entretenir des kystes « confligènes », qui sont des goulots d’étranglement de toutes les initiatives de sortie de crise mises sur pied jusqu’alors. Les populations en paient le prix élevé : près d’un million de personnes mortes, de l’Irak à la Syrie (et dans les pays autour), depuis une douzaine d’années, et la perte progressive de tout espoir, chez certains protagonistes, du règlement pacifique des crises en cours, comme cela peut être le cas en Palestine notamment.

Ce terreau est favorable à l’émergence et à la prolifération d’extrémismes divers, qui font eux-mêmes, l’objet d’une instrumentalisation religieuse (toute la question de l’islamisme dit radical) et géopolitique, par des groupes, communautés et États, au gré de leurs intérêts particuliers. La lisibilité et l’interprétation des projections des uns et des autres en sont, par le fait même, difficiles à entreprendre.

L’effort d’analyse simplifié par lequel nous nous évertuons à en rendre compte, n’en lève qu’un coin du voile. Les motifs des haines tenaces qui prévalent, et l’appropriation par certains acteurs, d’une lecture du monde qui ne s’articule guère autour de considérations de politique intérieure des États en Occident – la classe politique française offre à cet égard, un spectacle d’une relative médiocrité, considération faite des prochaines échéances électorales, qu’elles soient régionales (décembre 2015) ou présidentielles (avril 2017)- peuvent ainsi s’appréhender à la lumière des enjeux du moment.

« Daech » qui semble être l’auteur des attentats des dernières semaines – ils ont visé invariablement un avion russe en Égypte, des arpents de rue à Beyrouth au Liban, les environs du stade de France en banlieue parisienne, tout comme d’ailleurs les rues du 11ème arrondissement à Paris et un autobus de la garde présidentielle à Tunis - place l’ensemble des États de la nouvelle coalition antiterroriste dans l’urgence d’une réflexion de fond, et de la prise de mesures dans le long terme, celui des actions efficaces. Les sujets qui fâchent sont nombreux, il leur faudra résolument s’engager dans une issue mutuellement bénéfique.

La Russie et les Usa, la France et l’Union Européenne, la Turquie et l’Iran, sont tous concernés. Et l’Afrique également, dans laquelle cet État autoproclamé occupe un espace chaque jour plus importante.

L’Afrique dans la dynamique antiterroriste

La vision d’ensemble des problématiques du terrorisme en Afrique est édifiante. Pour nous en tenir qu’à « Daech », cet acteur phare contrôlerait directement ou indirectement, des provinces entières de Lybie, et la récente allégeance de Boko Haram, constitue un signal fort, de la territorialisation dans le continent, de cette hydre.

Une conceptualisation continentale de la résolution de ce problème reste difficile à envisager et à mettre en application, en raison même de l’immensité géographique de l’Afrique, de son morcellement Étatique, et de diverses pesanteurs liées à un tel processus, dont, celle, stratégique est loin d’être la moindre.

L’autre revers de la médaille, est précisément l’impossibilité de chacun des États à faire face, seul, aux actions de cette multinationale du terrorisme. Le cas de la Tunisie par exemple, l’illustre à raison. L’instauration de l’état d’urgence, et la mesure toute provisoire d’une fermeture des frontières terrestres avec la Lybie, ne sont que des manifestations toutes relatives, de l’incapacité de l’État à répondre efficacement au terrorisme que le pays subit de plein fouet, depuis les bouleversements occasionnés au cours des « Printemps arabes ».

L’hypothèse toute médiane entrevue, serait une appropriation urgente et régionale de ce phénomène. Si, à l’échelle des pays du Maghreb, cette préoccupation reste embryonnaire, d’autres cas existent en Afrique, qui donnent à leur façon, la mesure de ce qui peut être pensé, décidé et mis en application, quoique de manière discrète.

Pour en revenir au cas de figure de Boko Haram (dont la conservation de l’antique appellation est, ici, faite à dessein), le Nigeria et les pays frontaliers touchés par les exactions de ce groupe, ont décidé, dans le cadre de la Commission du Bassin du Lac Tchad (CBLT), de la mise sur pied d’une force mixte multinationale. Puis, il y a eu l’annonce de la création par le G5 Sahel (Tchad, Mali, Burkina Faso, Mauritanie et Niger), le 20 novembre 2015 à N’djaména au Tchad, d’une force militaire commune, qui viendrait se greffer à tout un ensemble d’autres initiatives comparables, qui entretiennent le millefeuille institutionnel dont nous n’avons jamais cessé de dénoncer la vacuité stratégique et opérationnelle. L’évaluation des effets à court, moyen et long terme constate que les actions terroristes (sous toutes leurs formes) en Afrique centrale et en Afrique de l’Ouest, sont un frein à la consolidation des États, et au développement durable des pays touchés.

L’impératif manifestement bien perçu, de la nécessité d’une paix durable et d’un développement durable a ainsi conduit, sur recommandation du Conseil de sécurité des Nations unies, à l’organisation d’une rencontre au sommet entre chefs d’Etat de la CEDEAO et la CEEAC, les 29 et 30 juin 2013 à Yaoundé. L’assiette des résolutions prises au terme des nombreuses rencontres qui ont eu lieu dans le même sens est large. Il leur faut commencer à prendre corps, face aux actions d’un adversaire suffisamment informé et imprégné, des limites et lourdeurs des systèmes de gouvernance des pays concernés. N’est-ce pas d’ailleurs, dans la nécessité bien comprise de leurs fractures stratégiques qu’il prospère ?

Les incidences à long terme sont à prévoir notamment, lorsque les nombreuses personnes embrigadées par ces groupes terroristes seront de retour dans leurs pays d’origine, au terme de leur passage dans les différentes structures de formation et d’endoctrinement au Moyen-Orient. Il faut y faire face dès maintenant, par anticipation, dans un processus prioritaire d’autonomie stratégique, vis à vis de l’Occident notamment, qui mène, à sa manière, ses propres batailles contre le terrorisme. Mais, aussi, dans une perspective de synergie.

Une nouvelle « Europe des frontières » semble se construire ainsi à la marge, dans un imaginaire très prolixe, au gré de l’actualité des « migrants » et des « terroristes » ; mais aussi, en conséquence de lourdes fautes stratégiques de certains dirigeants occidentaux (le malencontreux déclenchement de la guerre en Irak, et les atermoiements dans la gestion de la crise syrienne) ; des propres manœuvres de « Daech » et des visions « courtermistes » d’une partie des élites dirigeantes en quête de mandat (électoral) salvateur.

Peu avant les derniers attentats de Paris, Nicolas Sarkozy, leader du principal parti de l’opposition parlementaire en France -Les Républicains- et en précampagne électorale, préconisait notamment, pour la « sécurité des français », la création d’un super Ministère de l’intérieur aux attributions redéfinies et augmentées (gendarmerie, police et douanes), et l’extension des capacités de détention carcérale de vingt mille nouvelles places.

Par–delà les vaines conjectures de ces divagations, nombreuses, les pays d’Afrique sont prioritairement, dans l’obligation de continuer de penser par eux-mêmes et pour eux-mêmes, tenus d’agir, dans les urgences stratégiques du moment.

Notes