Germain-Hervé MBIA YEBEGA, janvier 2015
Terrorisme et contre-terrorisme en Afrique centrale : quelle vision stratégique pour le Tchad et le Cameroun ?
Analyse des facteurs contribuant à l’émergence des mouvements terroristes pour mieux les comprendre et envisager des pistes de réponses possibles.
Introduction
Au cours de ces dix dernières années, le terrorisme s’est imposé parmi les préoccupations sécuritaires en Afrique centrale. Pourtant, cette menace ne fait pas encore l’objet d’une définition consensuelle et opératoire. Son appréhension reste sujette à diverses interprétations, comme le démontre notamment la vive querelle qui a opposé, au Cameroun, partisans et adversaires d’un texte de loi portant sur la répression du terrorisme, voté par l’assemblée nationale le 4 décembre et promulgué par le chef de l’État camerounais le 23 décembre 20141.
Dans le cadre de la présente note, nous nous fonderons principalement sur les éléments de définition suggérés par le Conseil de sécurité des Nations unies. Ainsi donc, peut être qualifié de terroriste, « tout acte […] commis dans l’intention de causer la mort ou des blessures graves à des civils ou à des non-combattants, qui a pour objet, par sa nature ou son contexte, d’intimider une population ou de contraindre un gouvernement ou une organisation internationale à accomplir un acte ou à s’abstenir de le faire »2.
Les facteurs contribuant à l’émergence des mouvements terroristes seront évoqués tout au long de ce propos, dans la mesure où ils constituent les clés de compréhension des actes de violence terroriste, et peuvent également inspirer des pistes de réponse aux problèmes que pose le terrorisme3.
La récurrence et l’aggravation des actes terroristes dans la sous-région ont motivé nombre de rencontres de chefs d’État, dont le « Sommet de Paris sur la sécurité au Nigeria », tenu le 17 mai 2014. Cette rencontre a traité, pour l’essentiel, de l’existence et des actions du groupe terroriste nigérian Boko Haram. Elle a abordé également la dimension sous-régionale de ce phénomène, le groupe se singularisant par le déplacement de ses actions vers les frontières du Cameroun, du Niger, et menaçant l’intégrité territoriale du Tchad. Le chef de l’État camerounais annoncera d’ailleurs l’entrée de son pays en guerre contre Boko Haram, pendant ces assises.
Boko Haram apparaît en 2002 au Nigeria, dans certains États du Nord-Est (Yobe, Adamawa et Borno), frontaliers du Cameroun, du Tchad et du Niger. S’il procède des dynamiques sociopolitiques nigérianes, le groupe n’en étend pas moins de manière progressive sa présence et son influence dans certaines localités des pays voisins, en exploitant la continuité socioculturelle des régions limitrophes (langues, coutumes et pratiques religieuses sont similaires).
Il n’ignore pas non plus la porosité des frontières, qui donne lieu à d’incessants mouvements transfrontaliers difficiles à contrôler par les administrations d’États.
Dès 2009, de par la violence de ses actions au Nigeria, le groupe Boko Haram s’impose comme l’un des principaux facteurs d’instabilité sociale et politique. Ceci conduira le président nigérian Goodluck Jonathan à proclamer l’état d’urgence dans les trois États d’Adamawa, Borno et Yobe le 14 mai 2013. Le groupe acquiert une visibilité internationale par l’enlèvement de 276 lycéennes à Chibok au sud de l’État de Borno le 14 avril 2014, et proclame le 24 août 2014, l’instauration d’un califat à Gwoza, occupée militairement quelques jours plutôt4. Boko Haram occupe par le fait même, un grand nombre de villages et villes du Nord-Est du Nigeria.
Le Tchad et le Cameroun subissent de manière assez différenciée l’activisme de Boko Haram. Les premières actions significatives que pose le groupe terroriste, au Cameroun, sont une série d’enlèvements de personnes d’origine étrangère, dès février 20135. Cette série va culminer avec l’enlèvement d’une dizaine d’employés chinois d’une entreprise de travaux publics le 16 mai 2014 à Waza, suivi de celui de proches parents et de l’épouse d’un membre du gouvernement, ainsi que d’autres habitants de la localité de Kolofata le 27 juillet 2014. Le groupe commet aussi de manière régulière des massacres, dans des villages et villes frontaliers du Nigeria, à l’Extrême-Nord du Cameroun. Bien que les attaques contre le territoire tchadien ne soient pas – à ce jour – avérées, les actions violentes du groupe dans les régions proches du Nigeria et du Cameroun, perturbent cependant toute l’organisation sociale, économique et agricole des zones d’affrontements au pourtour du Lac Tchad6.
Au Cameroun en particulier, un des effets en est le ralentissement des activités économiques dans les régions septentrionales, dont le développement est notamment lié à l’essor du tourisme. L’accroissement du nombre de réfugiés en provenance du Nigeria pèse aussi défavorablement sur les équilibres (sociétaux) déjà précaires dans cette partie du pays7. La menace de Boko Haram questionne ainsi les capacités d’appréhension de la menace et de réaction des États de la sous-région face au défi du terrorisme. Elle met particulièrement à l’épreuve les dispositifs sécuritaires de ces États dans leur double fonction de préservation de la stabilité interne et de protection contre les menaces externes.
Les conclusions finales du Sommet de Paris sur la sécurité au Nigeria ont pointé la nécessité d’une coopération à trois niveaux : bilatéral, multilatéral et international8, alors que les réponses concertées des pays de la sous-région tardent à se concrétiser.
On peut aisément relier la « déclaration de guerre » du Cameroun contre Boko Haram à l’aggravation de la menace contre son intégrité territoriale, ainsi qu’à l’ensemble des conséquences (politiques et économiques notamment) provoquées par les agressions de ce groupe terroriste. Jusqu’en janvier 2015, le Tchad semblait avoir une perception différente du danger que constitue Boko Haram, en raison, probablement, de la quasi inviolabilité de ses frontières avec le Nigeria. Le pays n’est pourtant pas à l’abri d’autres menaces, provenant de ses frontières avec la RCA, la Libye, le Soudan et le Niger.
La conception et la mise en œuvre d’une doctrine sécuritaire adaptée aux différentes menaces – dont la menace terroriste –, restent ainsi tributaires de la trajectoire historique de chaque pays, ainsi que de ses caractéristiques structurelles. Nous évoquerons, dans la présente note, certains éléments des dynamiques internes, ainsi que l’influence des dynamiques sous-régionales et internationales, sur les doctrines sécuritaires de chacun des pays et les perspectives d’une doctrine sécuritaire antiterroriste.
1. Contextes et doctrines sécuritaires au Tchad et au Cameroun
Si la trajectoire historique et sociopolitique de chaque pays conditionne ses choix stratégiques en matière de politique nationale de sécurité, les États sont tenus, d’une manière générale, de s’ajuster à un équilibre entre nécessités de leur sécurité intérieure et maîtrise des menaces externes.
Le Tchad et la problématique terroriste Boko Haram
Bien que la menace de Boko Haram ne se soit pas encore manifestée au Tchad, et avec la même violence qu’au Cameroun, Boko Haram n’en constitue pas moins une préoccupation pour les autorités de N’Djamena. La contiguïté territoriale et la proximité avec l’épicentre de la crise au nord du Nigeria sont porteuses d’un risque évident de contagion. Aussi, la situation géostratégique singulière du pays, au centre de l’Afrique, qui en fait un trait d’union entre l’Afrique de l’Est et de l’Ouest, est à la fois une source de vulnérabilité et un facteur déterminant du modèle sécuritaire tchadien.
La construction de l’État postcolonial au Tchad a été régulièrement confrontée à la prégnance de clivages et antagonismes sociocommunautaires internes, ainsi qu’aux rapports de forces entre pays riverains aspirant au rôle de puissances influentes, et désireux de modeler un ordre régional conforme à leurs intérêts stratégiques. Cette double dynamique a favorisé, sur le plan interne, la prévalence d’une violence structurelle, dont le « factionnalisme armé » participe des pratiques les plus usuelles d’affirmation des acteurs sociopolitiques9. Les menaces externes ont joué un rôle important, par les interventions et les soutiens que certains pays voisins ont apporté aux parties en conflit à l’intérieur du Tchad10. C’est ainsi que l’un des premiers mouvements de rébellion contre le pouvoir central, le Front de libération nationale du Tchad (FROLINAT), a été créé à Nyala au Soudan en 1966, avec le soutien de la Libye, du Soudan et de la République centrafricaine.
La Libye, quant à elle, occupera militairement la bande d’Aozou, une partie du territoire national tchadien, dès 1973, et menacera le nord du Tchad en 1983 et 1986. En 2008, des rebelles armés en provenance des frontières soudanaises sont arrivés aux portes du palais présidentiel à N’Djamena et seront repoussés avec l’appui des éléments des forces françaises présentes au Tchad. La présence militaire française dans le pays, participe elle aussi de l’histoire politique du Tchad indépendant : elle est un acteur important de la configuration de l’édifice sécuritaire de ce pays11.
Le Tchad lui-même n’a pas manqué de s’impliquer dans les crises politiques et les conflits armés survenus dans les pays voisins, que ce soit de manière unilatérale ou dans le cadre de mandats de la CEEAC, de l’UA ou des Nations unies. La République centrafricaine en constitue le principal exemple12.
La chute du colonel Kadhafi en 2011 et la désagrégation de l’État libyen ont accru les risques de contagion de la menace terroriste au Tchad, en favorisant l’émergence d’un nombre important de groupes terroristes opérant sur toute la bande sahélo-saharienne, du fait notamment du pillage des stocks d’armes des entrepôts de l’ancienne armée libyenne.
La poussée de Boko Haram, à la confluence des zones frontalières des pays riverains, s’inscrit donc dans un contexte global de détérioration du climat sécuritaire, dans lequel le Tchad se trouve encore épargné. Plusieurs explications sont avancées quant à la magnanimité apparente de Boko Haram vis-à-vis de N’Djamena. Au Tchad même, certaines voix hostiles au régime du président Deby accusent celui-ci d’être un des parrains du mouvement terroriste13. Elles dénoncent les relations privilégiées qu’il semble entretenir avec un personnage emblématique de la vie politique nigériane, l’ancien gouverneur et sénateur de l’État de Borno (2003-2011), Ali Modu Sheriff. Ce dernier se trouve au centre d’une controverse dans son pays, pour son soutien présumé à la secte terroriste. Ali Modu Sheriff n’a pas cessé de clamer son innocence, se déclarant prêt à faire face à la justice nigériane, si sa culpabilité était établie14. Sheriff s’étant reconverti dans les affaires, sa compagnie pétrolière baptisée SAS Petroleum, puis Global Petroleum (GP), a obtenu les contrats d’exploitation de deux blocs pétroliers à Bébédjia, à proximité de Doba, au sud du Tchad15.
La situation singulière du Tchad, dans ce contexte d’insécurité généralisée, résulte sans doute aussi de l’échelle de priorités sécuritaires établie par les autorités tchadiennes. Lors du « Forum de Dakar sur la paix et la sécurité en Afrique » (14-16 décembre 2014), Idriss Deby était ainsi intervenu avec force, pour dénoncer les erreurs de l’OTAN en Libye en 2011 : « Les désordres actuels ont pris racine en 2011. Nos amis occidentaux ne nous ont pas demandé notre avis quand ils ont attaqué la Libye ou quand ils ont divisé le Soudan en deux[>(16)16] », avait-t-il affirmé. En réclamant une intervention sans délai des occidentaux en Libye, il a exprimé le souhait des pays frontaliers de la Libye, et celui du Tchad en particulier, de voir éradiquée en premier la menace de la pléthore des groupes actifs aux confins de la Libye, qui constituent une menace directe pour N’Djamena, et la principale préoccupation dans la lutte contre le terrorisme.
L’établissement de cette échelle de priorités sécuritaires semble par ailleurs se fonder sur l’extrême difficulté tactique et opérationnelle que rencontrerait Boko Haram, à mener le combat sur plusieurs fronts. La probabilité d’une occupation des rives tchadiennes du Lac par Boko Haram semble pour l’instant contrariée par la limite des ressources dont disposerait le groupe, et de ses capacités à s’organiser sur le plan logistique dans l’extension des zones de combat. L’ouverture d’un troisième front au Tchad étirerait forcément les lignes des forces et d’approvisionnement du groupe, contrariant davantage son projet stratégique. De même, l’entrée en guerre du Cameroun, par le déploiement d’unités d’élite de l’armée de terre, semble maintenir Boko Haram dans les limites des frontières nigérianes. La recrudescence des attaques des localités camerounaises en est une des conséquences directes : elles viseraient à déverrouiller la pression qui s’exerce sur le groupe, qui semble confiné dans les villes et les localités occupées dans l’hinterland nigérian.
L’instabilité en République centrafricaine constitue aussi une des urgences sécuritaires des autorités tchadiennes. C’est la justification principale de la présence d’un contingent militaire tchadien, dans les différentes missions d’intervention qui ont été constituées depuis le déclenchement de la crise qui aboutira au renversement de François Bozizé en 201317. La gestion, sur le plan interne au Tchad, de certains effets de la crise centrafricaine se traduit par l’arrestation, en décembre 2014, à Bangui puis le transfert à N’Djamena, de Baba Laddé, responsable du Front populaire pour le redressement (FPR). Cet ancien sous-officier tchadien a dirigé entre 1998 et 2012, un mouvement qui portait des revendications politiques dépassant le cadre des frontières du Tchad, et s’étendant au Soudan et à la République centrafricaine18. Son arrestation et son extradition sont aussi des manifestations de la volonté des autorités tchadiennes de rationaliser l’usage de la force, dans un pays qui s’efforce de trouver des solutions à ses propres démons sécuritaires.
Depuis 2003, le Tchad avait déjà amorcé un grand projet de réforme de ses forces de défense et de sécurité. Des états généraux tenus à cet effet en 2005, ont débouché sur un programme de réorganisation de l’armée, lancé officiellement le 22 octobre 2011 à Moussorro à 300 km de N’Djamena. L’objectif vise à « dégraisser » une institution pléthorique, dont les missions, la composition et les ressources sont incompatibles avec celles d’une armée appelée à faire face aux nécessités de sécurité nationale et sous-régionale19. Il est prévu à terme, que le pays dispose d’une armée de 30 000 hommes.
En attendant, une déstabilisation significative du Cameroun voisin pourrait tout de même constituer un important point de rupture dans la position du Tchad vis-à-vis de Boko Haram, en raison notamment des interdépendances économiques entre les deux pays. Le Tchad dépendant largement du port de Douala pour ses importations et exportations.
L’installation à N’Djamena, en août 2014, du commandement de Barkhane, la nouvelle force militaire française dédiée à la lutte contre le terrorisme dans l’ensemble du Sahel, constitue en soi un tournant, en passe d’influencer les approches tchadiennes des menaces terroristes au cours des mois à venir. Pour rappel, dans le cadre de la coopération continue avec la France, la présence militaire française au Tchad comprend aussi des dispositifs de formation des personnels de l’armée tchadienne, au sein notamment du GEMIA (Groupement des écoles militaires interarmées). Le 21 octobre 2014, s’est tenue à N’Djamena, la première réunion du « Comité de pilotage du projet d’appui à la lutte anti-terroriste au Tchad », entre les deux pays. « Ce projet, d’un montant de 600 000 euros (394 millions de FCFA) sur trois ans, se décline en trois volets principaux : l’anticipation et l’identification du risque terroriste, l’amélioration des capacités opérationnelles d’intervention et la recherche des preuves en ce domaine »20. L’importance des enjeux à l’échelle d’un pays aussi grand en superficie que le Tchad laisse songeur quant au montant de l’enveloppe destinée à ce projet21.
Enfin, la contribution de l’armée tchadienne, aux côtés des forces françaises de l’opération Serval, lancée en janvier 2013 au Mali contre les groupes islamistes qui menaçaient l’intégrité du pays, a cependant largement confirmé les aptitudes opérationnelles des troupes de N’Djamena dans les conflits complexes combinant à la fois les caractéristiques de conflits asymétriques et des guerres conventionnelles.
Le Cameroun en guerre contre Boko Haram : éléments d’analyse stratégique
La poussée meurtrière de Boko Haram, dans les zones transfrontalières du Nord Cameroun, s’inscrit dans des dynamiques antérieures de dégradation de la situation sécuritaire. Dans ces zones excentrées et en déshérence, la marginalisation économique a conduit progressivement à l’enracinement et au développement de certaines activités illicites, ainsi qu’à des formes de violence dont le terrorisme n’est qu’une des variantes récentes. Cinq phénomènes principaux caractérisent une insécurité transfrontalière endémique dans le pourtour du Lac Tchad : « le banditisme militaire transfrontalier et le vagabondage des groupes armés ; le trafic d’armes légères et de produits de contrebande (carburant, produits pharmaceutiques, véhicules et pièces détachées) ; le braconnage transfrontalier et le trafic du bétail ; le trafic d’êtres humains et de documents d’identité ; l’insécurité foncière transfrontalière »22.
La prise en compte par l’État des urgences sécuritaires dans la partie septentrionale du pays et le déploiement de moyens, ont eu lieu de manière graduelle. L’État a essayé de répondre à l’aggravation progressive de certains phénomènes d’insécurité, par des solutions qui ne leur étaient pas toujours adaptées. Aux effets du sous-développement et de la pauvreté, à l’insuffisance de l’analyse et aux contraintes politiques et économiques, ont donc succédé des réponses prioritairement sécuritaires.
Au cours de ces dix dernières années, par ailleurs, le Cameroun est aussi devenu terre d’accueil des réfugiés provenant des pays frontaliers en crise. Les différentes rébellions et crises de « succession présidentielle » dont le Tchad a été familier ont drainé un nombre considérable de réfugiés, qu’ils soient civils ou en armes. Les troubles en RCA ont également eu pour conséquence la prolifération de groupes armés à la frontière avec le Cameroun et conduit la région orientale du Cameroun à une situation d’insécurité accrue.
Les derniers développements de cette insécurité sont des attaques orchestrées par des bandes armées, visant des postes frontaliers camerounais, des brigades de gendarmerie et des commissariats de police. C’est par ce biais que la libération de Mateusz Dziedzic, prêtre polonais enlevé en octobre 2014 à l’ouest de la RCA, en même temps qu’une vingtaine d’autres personnes dont quinze Camerounais, a été obtenue, sous la promesse de libération d’un des chefs de guerre centrafricains détenu à Yaoundé23.
La perte de contrôle de l’État sur une partie du territoire national est ainsi devenue une réalité : des convois de véhicules doivent être escortés par les forces de défense et de sécurité pour relier les chefs-lieux de régions (et de départements) de la partie septentrionale du pays. En février 2000, les autorités ont instauré à l’échelle nationale des missions de « Commandement opérationnel » pour faire face à la montée des actes criminels. La création des « Commandements opérationnels » permet de confier, à titre provisoire, des missions spéciales de police aux militaires, placés sous le commandement de généraux. De nombreuses bavures ont cependant émaillé le déploiement de ces unités opérationnelles, qui n’ont par ailleurs pas réussi à résoudre, par l’usage systématique de procédés expéditifs, des problématiques politiques et de développement. Préalablement à la mise sur pied desdits « Commandements opérationnels », le Cameroun avait déjà créé en 1999, le Bataillon léger d’intervention (BLI), transformé en 2008 en Bataillon d’intervention rapide (BIR), une unité d’élite de l’armée de terre, très engagée aujourd’hui dans les combats contre Boko Haram.
L’impact de ces mesures reste à déterminer, sans que l’on observe pour autant un infléchissement des activités des groupes criminels dont la trajectoire transcende les limites frontalières des États. La notion moderne de frontière est d’ailleurs, ici, un mirage, tant les populations et les divers groupes de délinquants et de criminels vont et viennent, redessinant au gré de leurs intérêts les cartes de la géographie administrative.
Une réalité qui semble échapper en grande partie aux autorités en charge de l’administration du territoire, dépourvues de moyens leur permettant d’assurer la protection des personnes et des biens24.
À la suite de la déclaration de guerre à Boko Haram, les autorités camerounaises ont également procédé, en août 2014, à la réorganisation partielle de la carte territoriale du commandement de l’armée de terre, par la création d’une région militaire spécifique, qui regroupe les départements les plus touchés par les actions du groupe terroriste. Ces décisions s’inscrivent dans ce qui s’apparente à un réajustement du concept d’emploi des forces au Cameroun. Elles traduisent une nouvelle orientation déjà amorcée en 2001, avec l’élargissement de la politique de défense à l’échelle sous-régionale et la redéfinition progressive des missions de l’armée, ainsi que la dotation en ressources et outils adaptés auxdites nouvelles missions25. Le pays avait jusqu’ici inscrit prioritairement son action militaire dans une vocation purement défensive de sa souveraineté26.
Le déploiement d’un important contingent de troupes permet à ce jour de contenir les velléités de Boko Haram dans ses tentatives de prendre racine au Cameroun, bien que sa capacité de nuisance demeure considérable ; le groupe occupe une large bande de territoire côté nigérian, tandis que les forces gouvernementales nigérianes semblent éprouver des difficultés à lui tenir tête. Mais pourquoi le Cameroun ? Le groupe a-t-il des projets expansionnistes ? Sur le plan des interactions sous-régionales, il convient de rappeler la continuité territoriale et socioculturelle entre les communautés frontalières, du Cameroun, du Nigeria et du Tchad, dans lesquelles Boko Haram semble bénéficier de certaines complicités, soient-elles passives, pour mener ses incursions.
« Dans sa configuration initiale, affirme l’analyste Yaya Mountapmbeme, Boko Haram n’a jamais été un mouvement expansionniste transfrontalier faisant partie de l’Internationaliste djihadiste. Ses membres, ses revendications et ses principales cibles ont toujours été liés à la politique intérieure du Nigeria. Les rapts des étrangers qui interviennent à partir de 2013 participaient plutôt d’une quête de ressources de financements alternatifs, vu qu’il avait rompu avec ses bailleurs de fonds traditionnels. Si l’on peut admettre que, pour des raisons de ravitaillement (en armes par l’attaque de postes de police et le rapt des otages), de repli stratégique (quand ils sont acculés dans leur fief au Nigeria), Boko Haram veuille établir une zone grise à la frontière du Cameroun dans les départements du Mayo-Tsanaga, du Mayo-Sava et du Logone et Chari, on doit l’analyser pour ce qu’il est, c’est à dire un phénomène endogène au Nigeria, un arbre malodorant qui pousse chez un voisin dont le feuillage envahit la cour des autres voisins »27.
Cette analyse tendant à réduire Boko Haram à sa dimension nigériane, ne peut masquer la gravité croissante des violences perpétrées par le groupe terroriste dans les zones frontalières, qui annoncent une logique d’extension régionale. D’importantes zones d’ombre demeurent quant à la structuration et l’organisation de Boko Haram, et ne permettent cependant pas d’augurer avec certitude de l’évolution de la menace pour l’ensemble des pays riverains.
La presse et certains officiels camerounais ont signalé à plusieurs reprises, ces cinq derniers mois, des cas de désertion d’unités opérationnelles entières de l’armée nigériane, accueillies puis aussitôt reconduites à l’intérieur des frontières nigérianes. Il est également fait cas d’une importante dotation en armes des troupes de Boko Haram : l’approvisionnement se faisant en partie, selon nombre d’observateurs, sur les propres stocks de l’armée nigériane, à la suite des victoires remportées par le groupe terroriste.
La poussée transfrontalière de Boko Haram semble avoir pris de court les autorités camerounaises. Elle ne s’inscrivait pas initialement dans les schémas de la prospective locale en matière de lutte contre l’insécurité. Les actions de ce groupe bousculent l’architecture de défense et de sécurité locale, et obligent à un renouvellement de la doctrine en matière de prévention et de gestion des risques et menaces terroristes. Outre l’urgence de renouveler leur pensée stratégique en intégrant l’exigence de la lutte contre le terrorisme, les pays de la sous-région font indubitablement face à un formidable défi en termes de formation des hommes, de leur dotation en matériels technologiques adéquats, des coûts financiers important inhérents à de telles opérations, etc.
L’appel lancé par Idriss Deby à Dakar, à propos de la Libye, renvoie aux réalités d’un contexte sociopolitique et économique local qui ne permet pas aux pays de la sous-région de faire face individuellement, ou isolément, au défi du terrorisme.
2. Dynamiques sous-régionales et internationales de lutte contre Boko Haram
Il se pose, fondamentalement, au Tchad et au Cameroun, un problème d’insécurité d’ordre général, les problématiques de terrorisme et de contre-terrorisme n’en constituant que de nouvelles dimensions. Leur prise en compte et l’ajustement des mesures qui s’imposent ne peuvent se faire que de manière progressive, en interrelation avec d’autres acteurs de la lutte antiterroriste.
Les approches locales et sous-régionales
Le Sommet extraordinaire des chefs d’État et de gouvernement des pays membres de la Commission du Bassin du lac Tchad (CBLT) – auxquels était associé le Bénin –, tenu à Niamey au Niger, le 7 octobre 2014, avait décidé de l’opérationnalisation, à la date du 20 novembre 2014, du Quartier général d’une force sous-régionale destinée à lutter contre Boko Haram. Il s’agissait, dans les faits, de l’extension des attributions de la MNJTF (MultiNational Joint Task Force), initialement créée par les pays membres de la CBLT en 1994, mais restée dans une relative léthargie28.
La mise en place de cette structure de commandement n’était cependant pas effective à la fin de l’année 201429. Ce n’est là qu’un exemple des lenteurs des mécanismes sous-régionaux de sécurité commune.
La différence de perception de la menace, par chacun des pays de la sous-région, ne favorise pas la mutualisation annoncée des ressources et des moyens indispensables pour faire face à la menace terroriste. De même, les pesanteurs d’un souverainisme empreint de nationalisme exacerbé, commun aux leaders politiques de la sous-région constituent, ici, un frein à l’élaboration et à l’application de politiques communes. Enfin, il subsiste d’une manière générale d’inévitables tensions entre les contraintes de politique intérieure, et les dynamiques d’intégration régionale visant l’alignement des pays sur les projets politiques communautaires.
Cette tension entre dynamiques internes et régionales constitue l’un des principaux écueils à l’opérationnalisation d’une réponse concertée, entre des pays qui n’appartiennent pas tous, d’ailleurs, au même cadre d’intégration régionale30.
Ainsi, dans le cas particulier du Tchad, la contestation politique et armée face au président Idriss Deby détermine en partie les axes de positionnement extérieurs du pays, notamment dans le choix des alliances qu’il établit avec de tierces puissances. La réduction de la capacité de nuisance des opposants externes est un paramètre central du modèle sécuritaire tchadien, qui éclaire en grande partie son échelle des priorités sécuritaires. L’arrestation à Bangui puis l’extradition à N’Djamena de l’opposant Baba Laddé, est un exemple de cette volonté de rationalisation de l’usage de la force au profit du pouvoir central. La normalisation des relations politiques avec les pays voisins (le Soudan notamment) et la projection extérieure des forces armées tchadiennes visent notamment à priver de bases arrière les mouvements d’opposition armés pouvant constituer une menace à l’existence même du régime du président Deby31. En revanche, la projection des forces tchadiennes au Mali tient à la fois de l’anticipation de la régionalisation de la menace djihadiste, mais aussi d’une volonté d’affirmation de la puissance régionale – et du leadership d’Idriss Deby –, ainsi que de la quête d’une rente diplomatique32. Enfin, comme déjà mentionné plus avant, l’interdépendance économique avec le Cameroun, pourrait constituer un facteur d’évolution de la position du Tchad vis-à-vis de Boko Haram, dans le cas d’une déstabilisation plus prononcée du Cameroun.
Dans le cas singulier du Nigeria, épicentre de la crise, le contexte de l’élection présidentielle de février 2015 constitue l’un des éléments de lecture pour appréhender les vicissitudes de la politique de lutte contre Boko Haram. Le parti du président Goodluck Jonathan, le People’s Democratic Party (PDP), a connu un certain nombre de défections de personnalités influentes au cours de ces deux dernières années, et le président sortant voudrait s’assurer des voix dans des bastions électoraux du Nord, majoritairement musulman.
Ce qui peut expliquer le retour dans les bonnes grâces du chef de l’État de l’ancien gouverneur et sénateur Ali Modu Sheriff, qui a rejoint le PDP. Dans le même ordre des choses, l’ancien gouverneur de la Banque centrale du Nigeria, Sanusi Lamido, a pour sa part adhéré au All Progressives Congress (APC), le principal parti d’opposition, peu avant son investiture comme Émir de Kano le 9 juin 2014. Sanusi Lamido a été limogé par le président de la République, après avoir dénoncé d’importantes malversations financières (procédant notamment de la vente du pétrole) au plus haut niveau de l’État33. Outre la corruption, le thème de la sécurité constitue un enjeu central de cette élection, la politique de la main lourde menée par le président sortant depuis deux ans s’étant soldée par la radicalisation de Boko Haram, et l’exacerbation de la violence au détriment des populations civiles. Le climat ambiant de fébrilité a été ponctué, début décembre, par la décision des autorités nigérianes de mettre unilatéralement fin à la formation par les États-Unis d’un bataillon de l’armée nigériane destiné à lutter contre Boko Haram34. Cette décision est intervenue dans un contexte de tensions diplomatiques alimentées par le refus des États-Unis de vendre des armes et différents équipements militaires au Nigeria. Les États-Unis reprochaient notamment au Nigeria les fréquentes exactions de l’armée et son incapacité apparente à protéger les populations civiles. Le niveau élevé de corruption au sein de l’armée – malgré les quelque 4,9 milliards d’euros alloués à la Défense, soit 20 % du budget de l’État – expliquerait par ailleurs les piètres performances de troupes mal équipées, mal payées, et dont certains éléments refusent d’aller au combat ou fuient devant les attaques des insurgés35. En novembre 2014, les contingents nigériens et tchadiens de la MNJTF s’étaient retirés de la base opérationnelle de Baga, sur les bords du lac Tchad, sur fond de désaccord avec la politique inconstante d’Abuja dans la lutte contre Boko Haram.
Au Cameroun, l’unanimité ne s’est pas fait d’entrée de jeu, autour des mobiles de la guerre que le pays mène contre le groupe terroriste Boko Haram, comme l’illustrent les débats sur la loi réprimant le terrorisme, votée au parlement le 4 décembre 2014. Le déclenchement de la guerre contre Boko Haram (et l’élan de patriotisme national qu’il semble susciter) a également été perçu comme relevant d’une stratégie de rente diplomatique et politique, permettant à Paul Biya de se poser en interlocuteur incontournable tant sur le plan national que sous-régional. La question de la succession présidentielle, au cœur du débat politique dans ce pays, semble liée pour les uns et les autres, à la guerre dans les régions septentrionales. Âgé de 81 ans, le chef de l’État pourrait en effet se représenter à l’élection présidentielle de 2018.
Plus fondamentalement, alors que les premières attaques de Boko Haram remontent au mois d’avril 2012, la lenteur du Cameroun à se mobiliser contre les islamistes nigérians a été la source des tensions avec son puissant voisin. L’impuissance du Cameroun à empêcher les incursions sur son territoire, avait motivé en janvier 2014 la demande par le gouvernement nigérian d’un droit de poursuite sur le sol camerounais, des éléments de cette secte islamiste mais aussi d’autres activistes recherchés (pirates, réseaux de criminalité organisée…)36.
Un droit de poursuite que n’entendait pas concéder Yaoundé, par ailleurs soucieuse de mieux contrôler sa frontière avec la RCA pour empêcher des infiltrations de protagonistes de la crise centrafricaine.
Les dynamiques de sécurité collective régionale semblent ainsi achopper sur des tensions rédhibitoires entre les contraintes des politiques intérieures des États, et les dynamiques d’intégration régionale visant l’alignement des pays sur les projets politiques communautaires. De même qu’elles achoppent sur la difficile articulation entre des acteurs issus de différents organismes d’intégration régionale : la CEEAC, la CEDEAO et la CBLT.
Les approches multilatérales
La question de la lutte antiterroriste n’est pas dissociable de celle, plus générale, de l’insécurité en Afrique centrale. Le terreau d’émergence de l’insécurité est lui-même à la croisée des enjeux de la gouvernance de manière générale, et de ceux de la fracture socio-économique. L’activisme de Boko Haram prospère sur le sous-emploi chronique des jeunes et dans un contexte de lutte contre le déclassement social. Ce groupe leur offre une vision – certes tronquée – d’un monde qui a du sens, orientée vers la possibilité d’une renaissance sociale, à la fois matérielle et symbolique (mariage, rémunération, etc.) La réponse au défi du terrorisme sera nécessairement multidimensionnelle, elle appelle ainsi l’intervention d’autres acteurs aux côtés des acteurs africains.
L’Union européenne joue, dans cette perspective, un rôle de premier plan, en tant qu’acteur stratégique multidimensionnel.
L’accord de Cotonou (juin 2000) pose les fondements d’un « partenariat complet » autour de trois thématiques : la coopération au développement ; la coopération économique et commerciale ; la dimension politique. De cet important partenariat politique et stratégique découle la stratégie commune Afrique-UE, adoptée à chacun des sommets37.
En matière de sécurité et de défense, les engagements de l’UE en Afrique s’articulent globalement – actuellement – autour de quatre opérations militaires et de cinq missions civiles. Ce qui en fait un élément important dans la dynamique des partenaires du développement de l’Afrique.
Parmi les autres partenaires (étatiques notamment), la France est historiquement engagée en Afrique, et en Afrique centrale en particulier, comme nous l’avons évoqué plus haut. Sa présence se situe au croisement des besoins exprimés par ses partenaires africains, et de ses propres intérêts, qu’elle promeut38.
Trois rapports officiels produits en France en 2013, sur les relations France-Afrique, à la suite du dernier Livre blanc sur la Défense et la Sécurité nationale, confirment tous que l’Afrique est indispensable au développement de la France39.
Les actions de la présence militaire de la France et de son engagement dans la lutte contre le terrorisme, peuvent s’apprécier donc à plusieurs niveaux.
Dans le court terme
Le maintien des interventions militaires (sous mandat international) « à chaud » reste à prévoir dans cette zone du continent particulièrement « crisogène », en considération notamment des enjeux géostratégiques et géoéconomiques, et de l’état des forces en présence. La France dispose de capacités de projection et de dissuasion lui permettant une certaine fixation, dans le champ d’opérations, du rapport des forces en présence (ce qui a été le cas au Mali lors de l’opération Serval).
Il faudrait prendre en compte les situations d’un certain nombre de pays dans le golfe de Guinée, en proie à des problématiques d’insécurité globale. Cette volatilité des situations constitue une alerte permanente, sur la régionalisation des conflits armés. Ces situations d’urgence exigent chez les dirigeants politiques, une claire perception des dynamiques locales, du volontarisme politique, ainsi qu’une association grandissante des responsabilités politiques et militaires des pays en crise dans toute initiative d’intervention. C’est dans ce sens que s’inscrit la tenue à Yaoundé (Cameroun), les 24 et 25 juin 2013, du Sommet sur la sûreté et la sécurité maritimes dans le golfe de Guinée, regroupant les pays membres de la CEDEAO, de la CEEAC ainsi que ceux de la Commission du golfe de Guinée (CGG).
Dans le moyen terme
Dans un certain nombre de pays d’Afrique subsaharienne, il existe, du fait de la coopération avec la France, un réseau d’écoles nationales de sous-officiers et d’officiers dites « Écoles nationales à vocation régionale » (ENVR). La perspective de ces lieux de formation et de préparation devrait continuer à se situer dans la dynamique même d’intégration et de mutualisation des connaissances et des capacités de projection40. Le concept d’opérations militaires conjointes entre pays d’une même sous-région est assez récent en Afrique et des leçons sont à tirer d’ailleurs des différentes interventions militaires de cet ordre depuis la fin de la Guerre froide. La complexification à tous égards des opérations en cours, l’ensemble des ressources à mobiliser et leur gestion, voilà qui participerait des enseignements à tirer des retours d’expérience des engagements français dans la lutte antiterroriste.
Dans le long terme
L’objectif final pour les pays africains (le Tchad et le Cameroun compris) comme d’ailleurs pour la France, c’est la cessation de toute forme d’intervention militaire en Afrique. Il importe pour cela, dans le droit fil de ce qui précède, de prendre en compte le coût du règlement global des questions des conflits armés en Afrique. Ce coût est d’abord politique, en raison du bousculement radical et inéluctable, des politiques menées par certains États africains. Il s’évalue aussi en termes de formation des hommes, et de développement économique ; et il met les États africains face à leurs propres responsabilités.
Pour la France, le positionnement en Afrique comporte sa part d’enjeux : une vision claire de son projet en Afrique (et avec l’Afrique) qu’il lui faut assumer, dans le cadre d’une coopération en matière de sécurité et défense dont les termes sont évolutifs, dépouillés des aléas d’une histoire ancienne et dont il faut lever définitivement certaines équivoques.
Conclusion
La poussée meurtrière de Boko Haram, dans les zones transfrontalières des pays riverains du Nigeria, s’inscrit dans des dynamiques antérieures de dégradation de la situation sécuritaire.
Dans ces zones excentrées et en déshérence, la marginalisation économique et le désinvestissement des États, ont conduit progressivement à l’enracinement et au développement de certaines activités illicites, ainsi qu’à des formes de violence dont le terrorisme n’est qu’une des variantes récentes.
Aux effets du sous-développement et de la pauvreté, à l’insuffisance de l’analyse et aux contraintes politiques et économiques internes, ont succédé des réponses prioritairement sécuritaires, au Nigeria d’abord, et ensuite dans l’Extrême-Nord du Cameroun.
L’impact de ces mesures reste aléatoire, sans que l’on observe pour autant, à court terme, un infléchissement des activités des groupes criminels dont la trajectoire transcende les limites frontalières des États.
Les actions de Boko Haram bousculent les dispositifs de défense et de sécurité des pays de la région, et les appellent au renouvellement de leurs doctrines en matière de prévention, de gestion des risques et menaces, dont les menaces terroristes.
L’insécurité participe des causes globales du sous-développement. Aussi, il faut considérer une vision globale de son traitement. La question de la lutte antiterroriste n’est donc pas dissociable de celle, plus générale, de l’insécurité en Afrique centrale. Le terreau d’émergence de l’insécurité est lui-même à la croisée des enjeux de la gouvernance de manière générale, et de ceux de la fracture socio-économique tant à l’échelle planétaire que locale.
Si les enjeux et les responsabilités sont pour l’essentiel africains, la réponse au défi du terrorisme en Afrique centrale sera, elle, nécessairement multidimensionnelle et appelle l’intervention d’autres acteurs aux côtés des acteurs africains.
Les pays de la sous-région font en effet face à un formidable défi en termes de formation des hommes, de leur dotation en matériels technologiques adéquats, et des coûts financiers inhérents à la lutte contre les formes d’une violence globalisée.
Au-delà de l’amélioration des réponses purement sécuritaires, les enjeux sont, comme nous l’avons rappelé, ceux de la lutte contre la pauvreté, du renforcement permanent des dynamiques institutionnelles et de l’amélioration des modes de gouvernance.
Notes
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Note N°15 en date du 22 janvier 2015, rédigée pour le GRIP (Groupe de Recherche et d’Information sur la Paix et la Sécurité) dans le cadre de son « Observatoire pluriannuel des enjeux sociopolitiques et sécuritaires en Afrique équatoriale et dans les îles du Golfe de Guinée ». Un projet financé par le Ministère de la Défense de la République française Délégation aux Affaires Stratégiques
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Auteur : Germain-Herve Mbia Yebega et Coordination scientifique : Michel Luntumbue. Les idées et opinions exprimées dans cette note n’engagent que la responsabilité de leurs auteurs.
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1Les adversaires de ce texte y voient le risque d’instauration d’un contexte propice à la restriction des libertés. Le Cameroun a déjà connu par le passé des lois d’exception (ordonnance sur la subversion de 1962) dans le sillage de la rébellion armée qui a touché certaines régions du pays de 1960 à 1972. La disposition sanctionnant les actes pouvant « perturber le fonctionnement normal des services publics, la prestation de services essentiels aux populations ou de créer une situation de crise au sein des populations » donne en effet une interprétation plutôt large de l’acte terroriste, susceptible d’entraîner la répression de formes d’expression politique éloignées de la violence terroriste. Cf. Article 2, al. 1 du Projet de loi portant répression des actes de terrorisme au Cameroun, 4 décembre 2014.
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2« Un monde plus sûr : notre affaire à nous tous », Rapport du Groupe de personnalités de haut niveau sur les menaces, les défis et le changement, ONU, 2004, p. 51-52.
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3Cf. le Rapport de la Présidence de la Commission sur le terrorisme et l’extrémisme violent en Afrique, PSC/AHG/2. (CDLV), Nairobi, Kenya, 2 septembre 2014, p. 1-3.
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4« Boko Haram annonce la formation d’un califat islamique dans le nord du Nigeria », Le Monde, 26 août 2014.
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5Yanoussa Ben Moussa, « Au secours, les terroristes s’installent », Le Point du Jour n° 13, septembre 2014, p. 8-9. L’auteur de l’article y dresse une chronologie des actes terroristes commis par Boko Haram à l’intérieur des frontières camerounaises jusqu’en septembre 2014.
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6Fin novembre 2014, les activistes de Boko Haram ont également assassiné une cinquantaine de pêcheurs et commerçants dans la localité de Baga, proche de la frontière nigéro-tchadienne. « Boko Haram massacre 48 vendeurs de poissons », AFP, 23 novembre 2014.
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7Le Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR) avance les chiffres de plusieurs dizaines de milliers de réfugiés nigérians à l’Extrême-Nord du Cameroun, 100 000 au Niger et approximativement 2 700 au Tchad. www.unhcr.fr/54635d7ec.html
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8« Conclusions du « Sommet de Paris pour la sécurité au Nigeria », elysee.fr.
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9Gérard-François Dumont, Géopolitique et populations au Tchad, Outre-Terre, Érès, 2008.
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10« Idriss Deby a officieusement aidé les rebelles de la Seleka », L’Humanité, 13 novembre 2013.
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11Les éléments français au Tchad (EFT), dont ceux de la force Épervier, garantissent la protection des intérêts français et plus particulièrement la sécurité des ressortissants français au Tchad ; ils apportent également un soutien logistique (ravitaillement, carburant, transport, formation) ainsi qu’un appui renseignement aux forces armées et de sécurité tchadiennes, conformément à l’accord de coopération technique signé entre la France et le Tchad. Leur rôle a été déterminant lors du conflit tchado-libyen de 1983-1986, motivé par les prétentions territoriales libyenne sur le Tchad. En 2006 et 2008, les forces françaises avaient apporté un soutien décisif à l’armée tchadienne face aux rebelles menaçant N’Djamena.
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12Germain-Hervé Mbia Yebega, « La tragédie du roi Idriss », Le Jour, n° 1621, 7 février 2014, p. 6.
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13Mouvement du 3 février, Communiqué n° 012, « Idriss Deby, parrain de Boko Haram ? ».
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14« Ex-Gov Sheriff, accused of sponsoring Boko Haram, ready to face justice », Premium Times, 3 septembre 2014.
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15« Les chinoiseries pétrolières de N’Djamena », Jeune Afrique, 29 avril 2014.
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16« Dakar, Idriss Deby fait la leçon à Paris », Libération, 17 décembre 2014.
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17Michel Luntumbue, Retrait tchadien de la Centrafrique. Quelles conséquences pour la paix en RCA ?, Éclairage du GRIP, 18 avril 2014.
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18« Baba Laddé extradé au Tchad », La Voix de l’Amérique, 6 janvier 2015.
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19« Tchad : l’opération « nettoyage » de l’armée a commencé », Jeune Afrique, 10 novembre 2011.
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20 Lutte anti-terroriste - Coopération franco-tchadienne, site de l’Ambassade de France au Tchad, 21 octobre 2014.
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21D’autres formes de coopération bilatérale existent en matière de lutte antiterroriste, notamment avec les États-Unis. L’armée américaine a mené à son terme en septembre 2014, la formation de 150 éléments du Groupement spécial anti-terroriste du Tchad, qui a également été doté en équipements logistiques.
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22Cyril Musila, « L’insécurité transfrontalière au Cameroun et dans le bassin du lac Tchad », Note de l’IFRI, juillet 2012.
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23Il s’agit d’Abdoulaye Miskine (ainsi que trois de ses proches), président du Front démocratique du peuple centrafricain (FDPC), préalablement arrêté à l’est du Cameroun en 2013, et transféré à la prison de Kodengui à Yaoundé. Il a été libéré le 27 novembre 2014, regagnant le même jour Brazzaville au Congo.
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24Germain-Hervé Mbia Yebega, « Golfe de Guinée : faut-il y croire ? », Le Jour, n° 1488, 29 juillet 2013, p. 7.
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25Joseph Vincent Ntuda Ebode, ibid. et Léon Kongou, « Boko Haram : imbroglio dans le Nord du Cameroun », Revue Défense nationale, n° 775, décembre 2014.
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26Cette mutation se traduit par une projection timide mais de plus en plus régulière des forces camerounaises dans la sous-région et sur le continent, à la demande de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC), la Communauté économique des États d’Afrique centrale (CEEAC), ou de l’Union Africaine. Voir notamment Note N°5 – Architecture et contexte sécuritaire de l’espace CEMAC-CEEAC, 25 février 2014.
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27Yaya Mountapmbeme, « Aux sources de Boko Haram », Le Point du Jour, n° 13, septembre 2014, p. 4.
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28Voir la Note N°14 – La CBLT et les défis sécuritaires du bassin du lac Tchad 2 décembre 2014.
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29Communiqué de la 469e réunion du CPS sur le groupe terroriste Boko Haram et sur les efforts déployés par les pays de la région dans le cadre de la CBLT.
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30Voir la Note N°5 – Architecture et contexte sécuritaire de l’espace CEMAC-CEEAC, 25 février 2014.
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31Michel Luntumbue et Simon Massock, « Afrique centrale : risques et envers de la pax tchadiana », Note d’Analyse du GRIP, 27 février 2014, Bruxelles.
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32Idem
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33« 50 milliards de pétrodollars manquants au Nigeria », La Croix, 2 septembre 2014.
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34Le Nigeria met fin à la formation militaire américaine, RFI, 2 décembre 2014.
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35Idem
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36« Pourquoi Jonathan n’est pas arrivé à Yaoundé », Le Camerounais infos, 28 janvier 2014.
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37Germain-Hervé Mbia Yebega, « Le pari stratégique de la France en Afrique », Tribune n° 541, Revue Défense nationale, 18 juin 2014, p. 1-5.
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38La densité géostratégique du continent rejoint celle, géoéconomique, de cet ensemble d’une cinquantaine de pays. Le Nigeria, devenue première puissance économique en terme de croissance macroéconomique, est aussi le premier partenaire économique de la France en Afrique subsaharienne. Lors des célébrations du centenaire de l’unification du Nigeria en février 2014, le chef de l’État français (invité d’honneur) s’est trouvé être le seul responsable occidental de premier plan à se déplacer à Abuja.
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391- « L’Afrique est notre avenir », Sénat de France ; 2- « Afrique, France : un partenariat pour l’avenir » ; 3- « Les émergents de l’Afrique anglophone ».
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40Les Écoles nationales à vocation régionale, France Diplomatie, mai 2013.