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Transformation de conflit, de Karine Gatelier, Claske Dijkema et Herrick Mouafo
Le Triangle des Conflits liés aux Ressources (TCR) part du principe qu’un travail efficace sur ce type de conflit dans une communauté nécessite l’examen de trois dimensions essentielles interdépendantes : l’espace, le temps et les relations ainsi que leurs liens avec les problèmes conflictuels.
L’analyse doit tenir compte des points de vue, des perceptions, des sentiments et de l’expérience de toutes les parties en conflit, afin de pouvoir analyser leurs rapports.
– L’Espace
Par ESPACE, on entend la dimension physique de la ressource qui fait l’objet des revendications ou des utilisations rivales ou conflictuelles. Il s’agit du contexte spatial du conflit. Son analyse offre une représentation visuelle globale du conflit spécifique par rapport à une ressource et présente les parties prenantes.
La visualisation d’un conflit lié aux ressources est essentielle à sa compréhension. La prise en compte de la dimension spatiale de ce type de conflits peut permettre de les simplifier lorsqu’ils sont d’apparence complexe. L’analyse intègre également les rapports entre les parties prenantes et les ressources en question.
L’analyse spatiale peut enfin nécessiter de prendre en compte les conceptions divergentes des parties en conflit (en matière de propriété des ressources, ou en ce qui concerne la base des revendications).
– Le Temps
Un processus de transformation nécessite la considération du contexte particulier d’un conflit, de son développement, de ses causes, et de sa progression. Aussi, les conflits rencontrés dans le présent ont tous pour origine des événements produits dans le passé. Plus l’origine d’un conflit est ancienne, plus elle risque d’être dénaturée dans la mémoire des populations. Par manque de documentation appropriée, les faits sont transformés par les récits successifs et deviennent de nouvelles réalités. L’observation des faits historiques n’a donc rien à voir avec une quête de vérité ou de mensonge. Il s’agit de la perception que les populations ont de certains événements du passé, qui se sont produits dans un espace donné.
Selon Fisher, et. Al. : « Les groupes de personnes en opposition ont souvent des expériences et des perceptions totalement divergentes : ils voient et comprennent le conflit de manière très distincte. Leurs versions sont souvent différentes. Les parties opposées peuvent remarquer ou insister sur des événements différents, les décrire différemment, et y attacher des émotions contrastées ». Pour cette raison, Fisher, et. Al, constatent que les diverses descriptions des événements, effectuées par des groupes opposés, sont primordiales pour la compréhension du conflit.
La dimension TEMPORELLE tient compte des événements historiques produits sur une période et sur un espace donné, et ayant contribué au développement des relations conflictuelles au sein de la population par rapport à une ressource particulière. Son analyse peut faire émerger les facteurs ayant contribué à l’escalade ou la désescalade du conflit.
– Les Relations
L’analyse des RELATIONS intègre les questions de rapports de force, ainsi que les évolutions des positions, des intérêts, des besoins et des perspectives des acteurs directs et indirects dans un conflit lié aux ressources. Cette analyse doit aboutir à l’identification de tous les acteurs directs et indirects du conflit et des tiers ayant un intérêt à sa résolution pacifique.
Pour résumer, la triangulation des dimensions SPATIALE, TEMPORELLE et RELATIONNELLE, doit éclairer sur la manière dont les relations entre protagonistes peuvent varier au cours du temps au sein d’une zone spécifique.
Elle informe également sur la manière dont le contexte social influence les positions, les intérêts, et les besoins des acteurs impliqués. Des animosités de longue date, profondément enracinées, sont par exemple renforcées par de forts degrés de violence. Des expériences directes d’atrocités entraînent des caractéristiques psychologiques et même culturelles et elles motivent souvent le conflit en même temps qu’elles l’alimentent. Lorsqu’elles sont menacées, les populations recherchent la sécurité au sein de groupes identitaires plus resserrés, plus localisés, pouvant conférer ainsi à leur conflit une dimension « ethnique » ou « religieuse ». Fisher, et.Al, nous rappellent que l’identité est fortement influencée par les relations aux autres et par la culture dominante. Des facettes différentes de l’identité sont soulignées en fonction des différents contextes. C’est pourquoi nous insistons sur le caractère fluctuant des relations et sur leurs liens avec des dimensions matérielles telles que l’espace et les ressources.
– Comment appliquer l’outil ?
L’examen de chaque dimension du conflit lié aux ressources (l’Espace, le Temps et les Relations) peut s’effectuer au moyen de divers outils d’analyse, dont l’utilisation est plus efficace avec le concours des acteurs impliqués dans le conflit. Les résultats de cette analyse peuvent ensuite servir à déterminer la démarche appropriée pour la facilitation de la transformation d’un conflit.
Amener des parties en opposition à dialoguer immédiatement ne favorise pas toujours la désescalade du conflit. Dans le cas spécifique de la facilitation du règlement d’un conflit lié aux ressources, il est utile de visualiser celui-ci grâce aux outils décrits plus bas. Cependant, plus la zone concernée par le conflit est étendue, plus la visualisation des différends est difficile. Il arrive qu’une vérification immédiate sur le terrain soit également impossible. Dans ce processus, l’outil de cartographie participative en trois dimensions (CP3D) peut s’avérer utile.
— Outil 1 : la CP3D – un outil pour la cartographie du conflit
L’outil de CP3D facilite particulièrement la représentation du conflit à l’échelle de la communauté. Cet outil peut faciliter l’identification des terrains pour lesquels les revendications se recoupent et leurs limites. Il peut devenir utile si les parties en conflit ne parviennent pas à se rassembler dans l’immédiat pour identifier les réclamations sur le terrain.
L’outil de cartographie participative en 3D peut s’employer pour l’analyse spatiale des conflits liés à des différends fonciers. Il fournit une vision d’ensemble sur les revendications conflictuelles et les plaideurs par rapport aux parcelles de terrains, sur les limites des territoires concernés et sur les repères territoriaux au sein de l’espace contesté ou à proximité. Comme cette activité peut s’effectuer en dehors de la zone territoriale du conflit et que l’identification des réclamations peut se faire uniquement sur une carte miniature et non pas sur la zone réelle de terrain, un environnement plus serein est fourni pour encourager les parties en opposition à engager le dialogue. Et s’il n’est pas possible pour toutes les parties de se rassembler et d’identifier les réclamations au même moment, elles peuvent le faire chacune à leur tour jusqu’à ce qu’elles soient prêtes à engager le dialogue en face à face.
Le processus de dialogue peut se voir ainsi facilité et il pourra mener à une analyse participative des autres dimensions TEMPORELLE et RELATIONNELLES du conflit. Lorsqu’une délimitation précise des zones concernées par les litiges est nécessaire pour la résolution d’un conflit, la CP3D peut préparer et accélérer la conduite d’une enquête de terrain.
— Outil 2 : Enquête terrain conventionnelle – Un outil pour une cartographie précise du conflit
Si l’enquête terrain nécessite de la précision, il convient de mener une enquête conventionnelle avec le concours de géomètres-experts. Le mieux est de collaborer avec un cabinet agréé en cartographie de terrain. De plus, l’utilisation de la technologie SIG, parallèlement aux techniques d’enquêtes conventionnelles autorisées, peut également permettre de mieux visualiser le conflit à l’échelle de la communauté.
Les résultats de cette cartographie plus précise du conflit servent ensuite de base à une négociation finale entre les parties du conflit par rapport aux parcelles de terrain. Ce processus aide chaque partie du conflit à appréhender l’espace revendiqué par l’autre et plus particulièrement à identifier là où les demandes se chevauchent. Pour poursuivre l’analyse du contexte des différends fonciers, il faut également examiner la dimension TEMPORELLE.
— Outil 3 : Frise chronologique – Analyser la progression du conflit lié aux ressources au cours du temps et les facteurs de son escalade et de sa désescalade
Concernant la dimension TEMPORELLE, la frise chronologique constitue un outil simple mais utile pour analyser le développement historique du conflit. Les parties opposées ont des perceptions et des interprétations différentes des mêmes événements historiques. Ainsi, il peut s’avérer nécessaire de séparer leurs activités avant de les rassembler toutes pour qu’elles partagent leurs points de vue respectifs et écoutent les opinions des autres.
La frise liste de manière chronologique les événements majeurs d’un conflit. Il est possible ensuite de rassembler des informations de suivi, telles que la perception de l’impact d’un événement, les facteurs ayant contribué à l’irruption de cet événement particulier et les personnes ou groupes qui en sont responsables. Les parties en opposition se souviennent souvent des événements, et peuvent expliquer les développements susceptibles d’avoir contribué à l’escalade du conflit ou à sa désescalade. (comme par exemple les conséquences de la violence, le harcèlement, les interventions politiques et la propagande, les déplacements, les menaces ainsi que les initiatives de paix). La frise chronologique reflètera la perception subjective du groupe qui fournit l’information.
Il est plus difficile de faire apprécier à chacune des parties prenantes le besoin de tenir compte du point de vue historique de l’autre partie pour rendre possible le règlement du conflit. Les événements historiques en rapport avec les différends liés aux ressources influencent au cours du temps les relations entre les parties. Ces relations doivent également être prises en compte dans les processus et les démarches pour entreprendre la transformation du conflit.
Ici, notre objectif est d’atteindre un stade où les parties en opposition parviennent à accepter que d’autres peuvent avoir des perceptions valables, mêmes si celles-ci sont opposées aux leurs.
La troisième dimension – RELATIONNELLE – intègre les relations entre les parties en opposition et les autres acteurs engagés. Leur analyse est nécessaire pour favoriser l’identification des processus particuliers appropriés pour transformer le conflit. Il s’agit simplement d’analyser le statut des relations actuelles entre les parties qui s’opposent.
Il est possible d’utiliser de nombreux outils tels que la Pyramide, la Carte du conflit, ou le Schéma en cercles. L’outil généalogique peut également s’avérer utile. Cet outil informe sur les relations entre les parties actuelles du conflit et les précédentes générations qui l’ont vu germer.
L’analyse doit de préférence s’effectuer en session séparées pour chacune des parties, surtout lorsqu’un conflit a déjà atteint une phase de violence. Les résultats peuvent ensuite servir de base à un processus de dialogue.
— Outil 4 : Carte du conflit (cartographier les relations)
Une cartographie du conflit présente sous forme illustrative les acteurs engagés, leurs relations ainsi que les thèmes du conflit. En plus des parties principales en opposition, elle tient également compte d’autres groupes. Elle identifie les alliés parmi les parties ainsi que les rapports de force. Elle peut servir à révéler les équilibres de pouvoir, les alliances, les tiers neutres, les coopérations possibles parmi les partenaires et les possibilités de facilitation du processus de transformation.
La technique de cartographie du conflit permet de représenter celui-ci graphiquement, positionnant les parties à la fois par rapport au problème et entre elles. Lorsque leurs points de vue divergent, les personnes effectuant ensemble une représentation de leur situation apprennent beaucoup sur leurs expériences et leurs perceptions respectives.
— Outil 5 : Schéma en cercles
Le schéma en cercles du conflit est constitué de cercles concentriques présentant les positions (couche supérieure), les intérêts (couche intermédiaire) et les besoins (au cœur du schéma). Cet outil peut permettre aux parties prenantes de réviser leur propre position et de mieux comprendre leurs intérêts et leurs besoins par rapport au conflit. Le processus de dialogue peut ainsi permettre à une partie de comprendre la position de l’autre, ses intérêts et ses besoins. L’outil peut faciliter efficacement un processus vers un aménagement négocié ou un règlement du conflit.
— Outil 6 : La Pyramide du conflit
Pour favoriser l’identification des acteurs engagés dans le conflit et de ceux qui influencent les actions de paix, la Pyramide du conflit peut s’employer parallèlement à la carte du conflit. La pyramide permet l’identification des acteurs majeurs du conflit et ceux qui l’influencent à différents niveaux de la société : la population (en bas de la pyramide), le niveau médian et le niveau supérieur (acteurs dont l’influence est perçue comme plus forte étant donné leur statut dans la communauté ou dans la société). Au cours d’un atelier, il est nécessaire de couper la pyramide en deux moitiés, avec d’un côté les acteurs œuvrant pour la paix et de l’autre, ceux qui semblent alimenter le conflit. Les différentes parties prenantes peuvent identifier un même acteur sans toutefois le placer du même côté dans la pyramide.
Les résultats de la pyramide peuvent fournir des informations importantes concernant les acteurs stratégiques potentiels, surtout si le processus de transformation du conflit comporte une démarche multiforme.
— Outil 7 : La généalogie
Si le conflit a d’importantes racines historiques (même si elles ne sont pas flagrantes pour la génération actuelle) l’outil généalogique peut apporter des informations sur les relations entre les générations présentes et passées et sur les transformations produites dans la communauté. Cet outil est également surtout efficace pour faciliter les conflits de ressources opposant des clans.
— Outil 8 : Le Rituel
Comme le confiait Lisa Shirch dans Reconciliation, Justice and Coexistence, édité par Abu-Nimer (2001:147) : depuis la nuit des temps, le rituel occupe une place essentielle dans les sociétés humaines. Dans les cultures du monde entier, les rituels et les contextes ritualisés sont des moyens ancestraux de traiter les aspects symboliques des conflits. Les rituels régulent les relations dans les communautés, et servent à définir l’identité et à apporter un liant social dans les rapports aux autres et au monde environnant.
Dans ce cadre, il faut utiliser les rituels communautaires rassemblant traditionnellement les populations pour le processus de transformation du conflit. L’utilisation des rituels traditionnels des groupes identitaires est perçue comme essentielle pour célébrer les avancées tout au long du processus, et pour restaurer, à partir de cette base, les relations communautaires altérées par le conflit.
— Outil 9 : L’Atelier de résolution de problèmes (ARP)
Les événements ARP peuvent être mis en place pour permettre aux participants d’écouter plusieurs personnes du groupe « ennemi » évoquer leurs points de vue sur le conflit et sur son règlement. Cette structure offre la possibilité aux participants de nuancer l’image de leur ennemi. Pour construire pas à pas une confiance effective, cette structure permet également aux parties d’identifier les étapes de réassurance mutuelle à mettre en place, comme le fait d’effectuer des déclarations de reconnaissance mutuelle, d’introduire des idées mutuellement bénéfiques dans les discussions politiques, ou d’écrire sur la légitimité du point de vue de l’autre quant au conflit.