Ficha de noción

, Grenoble, 2012

Violence Structurelle

La violence structurelle ou la capacité des États et des sociétés à produire de l’oppression

La violence structurelle a été théorisée par Johan Galtung (1969) et définie comme toute forme de contrainte pesant sur le potentiel d’un individu du fait des structures politiques et économiques (« any constraint on human potential due to economic and political structures »). Ces contraintes ont pour conséquence un accès inégalitaire aux ressources, au pouvoir politique, à l’éducation, à la santé ou à la justice. Il s’agit donc de cette forme de violence produite par des institutions étatiques (un système politique discriminant) ou des pratiques sociales (une norme sociale excluante) qui empêchent des individus ou des groupes de satisfaire leurs besoins de base. Cette violence s’exprime par exemple dans des attitudes de xénophobie, d’homophobie, de sexisme, de nationalisme, ou encore d’élitisme.

Si Galtung voit la violence directe comme un fait et la violence culturelle comme un invariant, une permanence, la violence structurelle est un processus. Agissant à travers la complexité de ses structures, c’est un processus lent qui produit de l’inégalité, de la souffrance et peut conduit à un état de misère permanent ou à la mort. Cette violence s’auto-renforce en désamorçant les ressorts qui conduisent à la lutte contre cette exploitation en constituant une entrave à la prise de conscience de sa propre condition et à la mobilisation. Elle conduit à la violence directe ou la résignation.

C’est bien parce que cette violence est ancrée dans les structures de la société, qu’elle s’inscrit dans une pérennité : les institutions nationales comme les normes sociales et les procédures sont des structures relativement pérennes, qui évoluent très lentement. Ce type de violence est donc pérenne.

Cette pérennité en outre entretient le conflit, en nourrissant l’injustice perçue, et par là les frustrations et la colère.

« La violence structurelle consiste en l’organisation d’institutions ou de normes destinées à rationaliser l’usage de la violence et, par conséquent, à en renforcer l’impact social » (Massias, 2011:63).

Massias explique au-delà que cette violence structurelle peut prendre trois formes :

  • participer à soutenir directement l’usage de la contrainte (formation de combattants, soutien logistique, forces spéciales de police, législation d’exception etc.) ;

  • participer à une mobilisation sociale en faveur de la violence sans y prendre part directement : relais de l’expression de la douleur par exemple

  • édicter des normes propres à réduire la base sociale des combattants (élargir les limites de l’illégalité).

La violence structurelle est en effet plus aisément identifiée et illustrée dans le cas de régimes totalitaires ou encore autoritaires où la vie publique est organisée sur la base d’une condamnation et répression de toute expression d’opposition. De façon moins visible, des régimes qui tolèrent un pluralisme politique et aménagent une participation politique peuvent par ailleurs reposer sur ce même type de violence structurelle à travers des politiques ou des pratiques informelles discriminantes. Les populations roms de plusieurs pays en Europe centrale sont la cible de violences physiques de la population majoritaire, sur la seule base identitaire : c’est parce qu’ils sont roms que leurs maisons sont incendiées, qu’ils sont tabassés lors d’altercations insignifiantes, voire pris pour défouloirs par les clubs de football à l’issue des matchs. Cette violence directe à base raciste est rendue possible grâce à la non-intervention des forces de l’ordre pour à la fois protéger les populations roms de ces agressions, et réprimer et punir de tels actes. Les États nationaux concernés en ne protégeant pas une partie de leurs citoyens se rendent responsables d’une violence structurelle : les institutions de la sécurité nationale, par leur inaction à l’égard des populations roms, endossent le racisme des groupes extrémistes de leur société ; quand elles ne se rendent pas elles-mêmes coupables en insultant et humiliant les Roms qui demandent leur aide et leur protection.

La violence structurelle se révèle dans la complexité d’un entrelacs de convictions (idées préconçues préjudiciables à certains individus ou groupes) qui, en se diffusant dans une société, infusent les institutions du pouvoir au point de s’institutionnaliser véritablement, parfois en règles (lois) ou pratiques informelles, dans tous les cas en normes. A cela tient enfin la faible visibilité de cette forme de violence, voire son invisibilité totale : lorsque de tels types de relations à l’autre – ségrégation, discrimination, exclusion – se font normes, elles apparaissent ordinaires (en particulier dans le cas des pratiques traditionnelles). Les réactions de résistance ont dès lors plus de difficultés à prendre forme et à se structurer qu’il existe un genre de consensus général fondé sur une tolérance par la négative : on ne fait rien contre, sans que cela signifie que la majorité partage les valeurs sur lesquelles reposent de telles pratiques. Mais il devient d’autant plus difficile d’enclencher une réaction contre et dénoncer, pour les rompre, de tels cycles d’injustice.

S’il est périlleux de chercher à établir laquelle des violences structurelle et directe précède l’autre, il est clairement établi que les deux sont intrinsèquement liées : la violence structurelle permet à la violence directe de s’épanouir et se perpétuer. Nul lien d’antériorité ici. La violence structurelle ne pourrait exister, s’institutionnaliser, sans l’existence au sein de la société de pratiques violentes – physiques et/ou matérielles – à l’égard de certains groupes (Galtung, 1990).

La violence structurelle s’affirme dans une forme d’oppression qui réduit la capacité d’action des individus : ils disposent d’un accès réduit aux ressources (matérielles comme symboliques) pour y trouver les moyens de prendre leur destin en main (revenus, éducation, santé, dignité, respect, écoute…) ; ils sont privés de leurs capacités par la contrainte que fait peser sur eux la structure : l’existence de relations clientélistes prive les individus sans réseau de la possibilité de trouver un emploi ; les préjugés ambiants excluent et marginalisent les populations discriminées (évaluation à l’école, accès aux services publics…). Cette contrainte peut prendre la forme d’une coercition, d’un harcèlement ou d’une persécution qui peut en outre trouver des traductions dans la condition psychologique des personnes : la dépression, les crises…

Pourquoi l’analyse de la violence structurelle est au cœur de l’analyse des enjeux ?

Modus operandi identifie et pose comme priorité les menaces à la paix en termes de violence structurelle. Dans la mesure où les causes initiales de ces menaces à la paix reposent sur des pratiques et des valeurs qui structurent les relations de pouvoir entre les individus, seules des transformations sociales remettant en cause ces relations de pouvoir, dans le sens d’un rééquilibrage, donc de progrès social et de l’émancipation peuvent constituer des propositions efficaces pour apaiser les tensions. C’est ce qu’on appelle la transformation des conflits : les transformations nécessaires des relations de pouvoir sans quoi les dynamiques du conflit persistent et continuent d’alimenter les probabilités de recours à la violence directe. Ce rééquilibrage sera également rendu possible par la prise de conscience, par les individus affectés par le conflit, de leur propre pouvoir : si ce pouvoir leur est précisément nié dans les configurations de conflits décrites, il peut être reconquis car le potentiel existe.

Notas

  • Galtung, J. (1969). « Violence, peace and peace research ». Journal of Peace Research, 6(3), 167-191

  • Galtung, J.(1990). « Violence can start at any corner in the direct-structural-cultural violence triangle and is easily transmitted to the other corners », in « Cultural violence », Journal of Peace Research , vol. 27, n°3, 291-305

  • Massias, JP (2011) Faire la paix au Pays basque, Elkar Editions, Histoire

  • Winter, D. D., & Leighton, D. C. (2001). « Structural violence » in D. J. Christie, R. V. Wagner, & D. D. Winter (Eds.), Peace, conflict, and violence: Peace psychology in the 21st century. New York: Prentice-Hall