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Transformation de conflit, de Karine Gatelier, Claske Dijkema et Herrick Mouafo

Aux Éditions Charles Léopold Mayer (ECLM)

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Fiche de notion Dossier : La transformation politique des conflits

, Grenoble, juin 2007

Le consociation : un modèle de partage du pouvoir en post-conflit

Les sociétés en post-conflit ont des besoins considérables et urgents en matière de réconciliation. Le partage du pouvoir constitue le signe fort d’un engagement dans ce sens. Dans la mesure où les conflits peuvent de façon quasiment récurrente être analysés comme une compétition pour le pouvoir, la transformation du conflit passe par le partage de celui-ci. La consociation est une proposition politique qui, si elle apporte des solutions théoriques, sa mise en œuvre n’est pas toujours aisée et elle n’est pas sans poser certains problèmes.

I. Une proposition politique

Ce modèle de partage du pouvoir a été conceptualisé dans les années 60 ; il a ensuite été appliqué dans plusieurs pays du monde pour résoudre leur conflit (Irlande, Liban, Afrique du Sud, Bosnie-Herzégovine notamment).

Le principe de base répond au besoin d’assouplir la règle de la majorité, sur laquelle sont généralement basées les démocraties, car elle laisse aux minorités politiques le sentiment de défaite, d’être mises à l’écart, tout particulièrement dans les cultures fondées sur le consensus et les sociétés diversifiées. Ce besoin est d’autant plus aigu en post-conflit du fait de l’impératif de réconciliation.

Dans les sociétés très diversifiées – ethniquement, culturellement, socialement – les institutions étatiques doivent être le reflet de cette diversité et la règle de la majorité n’est pas adaptée pour cela. Les élections excluent les partis politiques minoritaires du pouvoir. C’est pour pallier le caractère radical de cette règle que certains Etats ont adopté des systèmes de représentation proportionnelle. Mais ce mode de représentation ne suffit pas toujours à résoudre les conflits politiques.

Ce système spécifique de partage du pouvoir a été théorisé par un sociologue néerlandais, Arendt Lijphart. Sa théorie a été formulée pour la première fois en 1968, sous le nom de consociation, traduit en français « consociation » – on rencontre également en anglais consociationalism – formé à partir de consensus et association.

Lijphart a fondé sa théorie sur des études de cas tels que ceux de la Belgique, des Pays Bas, de la Suisse, puis du Liban et de la Malaisie après 1995. Dans son livre The politics of accommodation: pluralism and democracy in the Netherlands, Lijphart décrit la société néerlandaise comme étant très divisée entre des groupes religieux et idéologiques aux intérêts opposés. En dépit de ces clivages aigus, une démocratie stable a pu être instaurée grâce à la coopération transversale au niveau des élites et en permettant à chaque groupe une autonomie aussi large que possible.

“Contrary to earlier theorizing, stable democracy is possible in deeply divided societies if the leaders of the contending groups are willing and able to systematically counteract the tendencies toward conflict.” Lijphart

II. Le modèle théorique

Quelques éléments de limitation à la règle de la majorité :

  • Appliquer un partage du pouvoir par la représentation proportionnelle des « minorités politiques et ethniques » ; cette disposition permet de remettre en cause le principe du « gagnant qui prend tout » en tant que principe de base de la représentation politique, de la nomination des hauts fonctionnaires et l’attribution des fonds publics.

  • Une grande coalition : tous les principaux partis politiques sont intégrés à la prise de décision au sein du pouvoir exécutif. Ici la règle de la majorité est remplacée par la « règle consensuelle collective » (« joint consensual rule »).

  • Un fédéralisme non territorial (ou une « autonomie segmentaire ») : il garantit à chaque groupe autant d’autonomie de décision que possible dans les domaines qui les concernent exclusivement.

  • Les minorités sont protégées par un droit de veto stipulé dans la constitution, ce qui leur permet de bloquer une loi qu’elles considèreraient comme menaçant leurs intérêts vitaux.

En théorie, la consociation permet aux groupes constitués et possédant une conscience politique collective de coopérer sur les questions d’intérêt commun tout en leur assurant de ne pas être exclus sur les questions qui les touchent particulièrement.

III. Les limites du concept

Pour être bien appliqué, ce système exige de très bien connaître les clivages de la société. C’est seulement dans ces conditions que les institutions pourront les refléter et leur correspondre fidèlement. De plus, il est nécessaire de savoir si ces clivages sont profonds ou pas.

Dans la conception de Lijphart, les sociétés plurielles ont des lignes de fracture religieuses, idéologiques, linguistiques, culturelles et ethniques aigües. Ces divisions représentent autant de sous-sociétés virtuellement séparées, dotées de leur propre parti politique, leur groupe d’intérêt, leurs médias etc.

Dans ces conditions, comment définir les sociétés modérément divisées ? Pour Lijphart, une société dans laquelle la culture politique permet aux clivages d’être représentés par des partis politiques, dans laquelle la violence politiques n’est pas largement répandue et dans laquelle les partis politiques ne suivent pas les divisions ethniques et religieuses, n’est pas profondément divisée. C’est à partir de telles études de cas que le modèle de Lijphart a été développé.

IV. Les défis à la théorie

  • Le risque de polarisation : ce type de système risque de polariser et de survaloriser les clivages existant, ainsi que d’encourager les leaders extrémistes, ou du moins faciliter leur tâche.

  • Le paradigme lui-même : le mode consensuel n’est pas convaincant. La majorité peut encore s’imposer contre la volonté des minorités, par des pratiques informelles telles la pression ou le chantage.

  • Un système électoral avec une représentation à la proportionnelle peut conduite à la multiplication des petits partis politiques et encourager l’identification sur la base ethnique ou religieuse.

Lijphart explique les succès de la démocratie dans ses études de cas par le rôle important joué par les élites politiques, par la pression extérieure et par l’absence de disparités socio-économiques trop profondes. Mais ce sont les facteurs classiques habituellement cités pour expliquer les succès de la démocratie dans toute société.

La consociation est une proposition politique intéressante. Elle peut jouer un rôle important dans des situations spécifiques et elle a apporté des solutions politiques durables dans des sociétés en post-conflit comme l’Afrique du Sud ou l’Irlande du nord. Elle a été efficace dans ces 2 cas car le système a pu donner des garanties aux acteurs pour qu’ils abandonnent la guerre, telles que prendre part au gouvernement, doter les minorités d’un droit de veto.

La force du système est de réduire les incertitudes, le sentiment de domination et la violence.