Arnaud BLIN, Grenoble, mars 2006
La paix comme processus
On entend régulièrement parler dans la presse ou ailleurs de “processus de paix.” Dans ce cas, cette expression fait référence aux actions, généralement diplomatiques, devant mener un conflit armé à sa fin et à sa résolution par des accords et/ou un traité de paix, ainsi le “processus de paix au Moyen Orient”. Effectivement, la notion de “processus” désigne une série d’étapes qui, pour une opération précise, doivent engendrer des transformations. Dans le cadre de la paix, ce processus a pour objectif de conduire les parties concernées à prendre une décision politique pour mettre fin à des hostilités.
Dans ce cadre étroit, le “processus” de paix est limité dans l’espace et dans le temps. Dans l’espace puisqu’il concerne un conflit particulier délimité territorialement ; dans le temps puisque ce processus se termine dans la pratique une fois la paix conclue et assurée. Ainsi, si l’on fait référence à un processus de paix dans la région des Grands lacs par exemple, on ne parle guère de processus de paix en Europe. Sous cet angle, le processus de paix n’est en fait qu’un processus de résolution de conflit.
Il convient donc de faire une distinction entre le “processus de paix” et la paix comme processus. En tant que processus, la paix se construit en aval et en amont de la simple résolution de conflit. L’éducation à la paix des enfants, par exemple, peut être considérée comme faisant part d’un processus plus large qui rendrait une société plus apte à la paix, moins violente et moins belliqueuse. Dans le même ordre d’idées, un processus de paix actif et permanent pourrait être envisagé dans des zones présentant un risque faible de conflit armé. Toutefois, comment définir ce qui participe, ou pas, du processus de paix ? La démocratisation, par exemple, peut-elle être considérée comme faisant partie d’un processus de paix? A entendre certains dirigeants politiques, la réponse serait positive et donc mériterait de mettre sur pied une politique active de démocratisation de zones conflictuelles ou à risque. Paradoxe : ce type de politique – par exemple, l’invasion de l’Irak en 2003 par les Etats-Unis et leur alliés, - peut aussi engendrer la guerre, y compris la pire d’entre elles, la guerre civile.
En aval, le processus de paix vise à consolider ou à élargir géographiquement un état de paix plus ou moins solide et plus ou moins ancien. Par exemple, le plan Marshall après la Seconde Guerre mondiale ou encore le processus de construction de l’Europe, ce dernier s’étendant sur plusieurs décennies. En pratique, c’est généralement une fois la paix “acquise” que le processus s’arrête. Les Nations Unies, par exemple, ont pour approche générale de mettre un terme à un conflit armé avant de s’engager ailleurs, sans qu’il y ait de véritable suivi de la situation. On en revient donc à la dichotomie classique entre paix positive et paix négative (absence de conflit) qui fait qu’un processus de paix “positif” tablant sur le long terme est radicalement différent d’un processus de paix “négatif” dont le but est simplement d’aboutir à un traité négocié.
Pour l’heure, notre connaissance intime de la paix n’est pas assez profonde pour que soient définis de véritables processus de paix “positifs” qui travaillent sur le chantier de la société dans son ensemble. Néanmoins, on peut espérer que dans un avenir plus ou moins proche, une meilleure compréhension du phénomène paix nous aidera à mieux en définir aussi tous les processus, et pas uniquement les processus diplomatiques. L’élargissement de notre champ mental vis-à-vis de tout ce qui touche à la paix et aux conflits et qu’illustre la notion de « sécurité humaine » qui remplace peu à peu celle de sécurité, y compris au sein des Nations Unies, est un signe que les choses vont, peut-être, dans le bon sens.