Marie Mwira, Johannesburg, Mai 2007
Congo, expériences de réforme des rapports sociaux et des paradigmes culturels favorisant l’exploitation de la femme par l’homme
Le combat pour l’émancipation des femmes et la reconnaissance de leur rôle dans la construction de la paix dans la région du Sud-Est.
Exposé
La femme constitue toute une problématique au Congo. Cela fait 14 ans que je travaille avec les femmes : c’est une question qui a besoin de beaucoup d’inventivité et d’ingéniosité. Dans les années 60, les femmes étaient associées aux enfants et dépendaient de chaque ethnie. Au Congo, il y a 450 ethnies reconnues officiellement….
La femme est considérée comme un bien à protéger par rapport à l’Homme, mais elle n’a rien à décider, rien à faire. Elle est dépendante de l’Homme et les principes traditionnels en vigueur la placent dans une situation d’infériorité par rapport à celui-ci.
Notre objectif est :
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De promouvoir une société plus juste et harmonieuse par l’approche genre.
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D’intervenir dans toutes les activités stratégiques si possible d’intérêt local, national et international pour un environnement apaisé.
Depuis le mouvement féministe, les choses ont un peu évolué, mais cela n’a pas résolu le problème car le rôle de l’homme n’a, quant à lui, pas été redéfini. Il n’y a aucune reconnaissance de l’engagement et du rôle de la femme.
La problématique de la relation entre l’homme et la femme est centrale, et notamment :
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Le caractère hiérarchique qui marque cette relation.
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La discrimination continue des femmes par rapport aux hommes.
Etant donné que les us et coutumes pèsent encore largement sur les mentalités, les hommes considèrent que cette volonté d’émancipation et de reconnaissance n’est autre qu’un mouvement de pression des femmes qu’ils accusent par là-même de détruire l’équilibre du foyer familial. Généralement les femmes mariées ne participent pas à ces mouvements et celles qui y participent sont mal vues.
Actuellement, une campagne d’enquête est menée sur les coutumes favorables ou non à l’épanouissement de la femme. Ce travail est réalisé avec les chefs traditionnels. C’est une tâche difficile car les femmes constituent la majorité du pays et elles sont plus facilement manipulables par les autorités. Un gros travail est donc nécessaire au niveau de :
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L’alphabétisation des femmes.
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La « détraumatisation » par rapport aux situations rencontrées par la femme.
Avant, je n’arrivais pas à parler en public : j’ai d’abord dû me convaincre que ce que j’avais à dire était plus important que ma peur. Et c’est seulement quand je me suis fixée un objectif politique que je suis parvenue à m’adresser à une audience.
Par ailleurs, dans cette démocratie très fragile, la femme reste encore le « chat de bataille » des bandes armées (7 444 femmes violées sur une année seulement). La loi est là, mais elle n’est pas assez connue. De plus, la justice n’est nullement distributive et les tribunaux sont corrompus : du coup, la portée de nos actions reste faible. Malgré tout, des plaidoyers sont menés.
Cependant, beaucoup reste à faire : la société civile qui devrait mener ce plaidoyer à grande échelle est également largement convoitée par le pouvoir politique…. Comment contourner tous ces aspects pour identifier des leaders sociaux dans des quartiers, des villages, qui puissent s’occuper de monitoring, de sensibilisation, de vulgarisation ? Face à cette situation nous travaillons à la formation de para-juristes pour la lutte contre les violations des droits et les violences faites aux femmes et aux petites filles.
S’agissant du problème ethnique. Les gens veulent avoir beaucoup d’enfants pour que leur ethnie prenne de l’importance et joue un rôle décisif lors des élections… A l’époque coloniale, six ethnies étaient bien vues. Après l’indépendance ces ethnies ont perdu leurs privilèges et d’autres ont pris leur place. Les conflits ethniques sont actuellement en train de se développer au Nord-Kivu.
Pour nous, les différences ethniques en elles-mêmes ne sont pas facteurs de conflits. On est né dans une ethnie, ou dans une autre. C’est naturel. Des situations conflictuelles naissent cependant, au travers de la sphère politique qui utilise ces différences et les instrumentalise. Cette question est très délicate mais il ne fait aucun doute que ce sont bien trop souvent les astuces politiques qui divisent, et non pas les ethnies ! C’est pour cette raison que nous tenons également à réaliser un véritable travail pour la bonne gouvernance. En ce sens nous organisons une Grande conférence des ethnies le 15 juin 2007, avec les dirigeants des communautés ethniques les plus importantes et des membres du gouvernement.
Debats
John :
Je considère qu’il est possible de dépasser cette logique de dépendance pour ne plus continuer à se poser la question de savoir si nous sommes dépendants, ou « comment réussir à être indépendant ? ». Je ne pense pas que la réalisation de la femme se trouve dans son indépendance par rapport à l’homme, et viceversa. Il me semble plus réaliste d’accepter que nous sommes tous interdépendants, hommes et femmes les premiers.
Marie :
En ce sens, je pense qu’il est fondamental de renforcer le lien intercommunautaire pour ne pas focaliser sur les ethnies. Cette stratégie s’illustre notamment au travers de l’expérience des « chèvres pacificatrices », véritable « facteur de rapprochement » : des ONG donnent des chèvres à une communauté composée de différentes ethnies et les chèvres appartiennent alors à la communauté toute entière qui les élève ensemble.
Henri :
J’ai une question à poser, mais il me faut partir du principe selon lequel la paix n’est pas l’absence de conflit. La paix exige des capacités de gestion pacifique des conflits, voire de transformation de ces conflits. Un exemple : très souvent, lorsque dans une société, un groupe est l’objet d’une domination profonde de la part d’un autre - ce qui peut inclure le contrôle et la répression militaire - il n’y a apparemment pas de conflit, mais il n’y a pas de paix non plus ! Voici ma question : dans votre pays, où la femme est dans une situation de domination et que vous essayez de changer les choses, pouvons-nous dire que vous êtes un acteur social qui travaille pour la paix tout en étant provocateur de conflits ? Vu votre exposé, ceci me semble tout à faite légitime, même nécessaire !
Marie :
Pour ce qui est de la lutte en faveur l’émancipation des femmes, afin d’éviter la provocation, nous invitons les hommes à intervenir dans les ateliers que nous organisons. Beaucoup finissent alors par être convaincus ! Et le concept de provocation devient celui de transformation.
Simon :
La paix ne va pas toujours sans conflit. En effet, quand on tente de combattre l’injustice on s’attaque en réalité aux piliers qui supportent le système ; quand on essaye de négocier, il arrive que la non-violence ne fonctionne pas et que le dialogue ne soit pas entendu. Il faut alors utiliser une autre méthode, consistant à « aggraver » le conflit pour le rendre plus visible. C’est alors que pour mettre fin à des injustices on engendre d’autres injustices… Le rôle de l’acteur de paix qui crée ce conflit est de maîtriser la « violence » à laquelle il a recourt en gardant bien à l’esprit certaines limites à ne pas dépasser avant de reprendre le dialogue à nouveau. Car si la paix ne va pas toujours sans conflit, son maintien ne peut nullement se faire par la force.
Sur la question de la culture et de la tradition : étant donné que la tradition est très stricte au point d’opprimer les femmes, comment faites-vous pour mobiliser celles-ci afin qu’elles puissent jouer un rôle actif auprès, par exemple, des leaders de la communauté au niveau traditionnel ?
En Afrique du sud il existe une mobilisation très importante des femmes opprimées. Si on donnait un rôle primordial à la femme, celle-ci ramènerait sans doute la paix de façon positive. Les femmes constituent en effet d’importants acteurs de paix car leur tendresse favorise le rapprochement des gens. Un exemple : au Kenya, alors que des jeunes étaient cachés derrière des buissons prêts à combattre, des femmes se sont rendues à leur cachette, elles ont chanté des chansons et leur ont parlé en les encourageant à rentrer chez eux : finalement ils ont lâché leurs armes…
Marie :
La femme est médiatrice « naturellement » (dans le foyer familial) et autour d’elle la pacification se fait. Mais l’obstacle culturel les empêche de se dévoiler et de dire haut et fort ce qu’elles pensent tout bas.
La femme réalise au moins 24 activités par jour, qui ne sont pas comptabilisées ni reconnues par le mari : il est donc impératif de beaucoup travailler avec les gardiens des coutumes en posant des questions telles que :
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Comment la femme est-elle considérée ici ?
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Quels aspects coutumiers la considèrent positivement ?
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Quel rôle entendez-vous donner à la femme au sein de la société ?
La femme n’a pas beaucoup de ressources car elle est considérée comme étant le bien, la propriété, du mari. Et en même temps il faut la protéger, car c’est elle qui donne la vie.
C’est pour remédier à cette vision des choses qu’il est essentiel de constituer des espaces de dialogue. Et de créer des documents à distribuer aux femmes pour encore une fois vulgariser cette situation et le changement souhaité.
Claske :
En Occident, l’émancipation passe avant tout par une certaine volonté d’affirmation de soi, tandis qu’en Afrique elle passe par l’idée que la femme est « naturellement » orientée vers la paix. Or je ne suis pas sûre que la femme soit « naturellement » pacifique…
Marie :
En Afrique c’est naturel de par la maternité : la femme affronte mieux que l’homme certaines situations difficiles : jamais un homme ne supporterait de mettre un enfant au monde ! Nous sommes plus patientes que les hommes ; jamais vous ne verrez une femme initiatrice de violence. En revanche les hommes oui. Elles peuvent être éventuellement instigatrices de cette violence ; toute règle à une exception…
Par ailleurs, il est évident que les femmes ont un rôle extrêmement important à jouer dans la gestion des conflits à travers l’éducation des enfants. Ex : si une femme dit à son jeune fils, « un tel est ton ennemi », il grandira avec cette idée et les conséquences que cela est susceptible d’entraîner.
Jean-Pierre :
Selon un dicton rwandais, « La femme est le cœur du ménage »…
Jacqueline :
Au Rwanda, l’approche quant à la promotion de la femme a été différente. L’Etat est plus présent (le côté négatif étant l’oppression) et les femmes sont mieux éduquées. Elles ont fondé des « associations de promotion de la femme » qui ont participé aux changements de la loi. Aujourd’hui, l’égalité des genres est largement acceptée, pour preuve : chaque instance doit compter au moins 30 % de femmes (c’est une règle constitutionnelle). Or ce pourcentage est très fort même au regard de critères européens. Toutefois, il n’empêche que « naturellement » l’homme prend toujours le dessus. L’intervention de la femme au niveau politique n’a pas encore assez de poids comme on l’aurait voulu.
Notes
Problème du rôle et de l’émancipation de la femme : aucun reconnaissance. Rapport homme/femme à redéfinir. Problème du poids des us et coutumes : travail indispensable avec les chefs coutumiers. Femme naturellement médiatrice et pacificatrice. Problème de l’information, de la conscience de ses droits et de l’alphabétisation de la femme. Problème des ethnies : divisions ethniques largement exploitées par le pouvoir politique. Renforcer le lien intercommunautaire. Corruption de la justice.