Claske DIJKEMA, Johannesburg, Mai 2007
Construction de l’Etat dans les pays émergents et fondements théoriques
Point de départ : le cas de l’Afrique du Sud.
Exposé
I. Bref retour sur les défis lors de la transition et la situation actuelle :
Comment la transition s’est elle opérée en Afrique du sud ? Comment reconstruire une société ayant vécu une expérience traumatique ?
La Communauté internationale a exercé une pression très forte sur l’Afrique du sud pour que des solutions soient proposées.
Une solution unitaire était impossible, trop de questions devaient être résolues, et notamment :
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Comment bâtir un équilibre social dans une société démantelée ?
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Quelle forme adéquate de gouvernement et d’institutions ?
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Comment appliquer la règle de droit dans une société où différents systèmes juridiques, issus de la tradition, coexistent ? Comment les articuler ?
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Comment procéder à l’organisation d’élections réellement démocratiques ?
Aujourd’hui, l’une des difficultés rencontrées en Afrique du sud tient au fait que la population ne s’identifie pas comme une seule et même nation.
Par ailleurs, la société est encore très hiérarchisée, il existe un respect très fort envers les personnes âgées et plus généralement l’autorité. Il en découle un certain sentiment d’irresponsabilité individuelle. Or la démocratie prône l’individualité du choix - qui contient en elle-même la dimension de responsabilité - et incite à la confrontation directe entre les gens, pour rechercher le moyen de parvenir à la réconciliation.
II. Présentation théorique des différents modèles étatiques envisageables : une typologie liée au degré de développement et d’efficacité de l’Etat.
1. Etat nation (Identité collective) :
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Identification nationale : le sentiment d’appartenance à un groupe, la nation.
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Légitimation : légitimité au niveau des leaders et des institutions.
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Différentiation politique/société civile.
La première dimension de l’Etat est sa capacité à cristalliser une identité collective, le plus souvent sous la forme d’une identité nationale. Ses formes fonctionnelles reposent sur les légitimités politique (légitimité des dirigeants aux yeux de la population) et institutionnelle (légitimité des institutions aux yeux de la population). Un Etat nation fonctionnel est un Etat qui sait tisser des liens entre la population sur des valeurs positives, par opposition aux valeurs négatives basées sur la distinction d’une communauté à l’égard d’une autre : l’Etat doit s’adresser à l’ensemble de la population. Il doit se poser en arbitre au-dessus des appartenances et des litiges entre communautés. C’est de lui que doit émerger le modèle de la valorisation et la préservation de l’intérêt commun.
2. Etat régalien (Souveraineté) :
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Reconnaissance : souveraineté interne et externe.
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Monopolisation : monopole de la violence légitime.
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Centralisation monétaire : souveraineté monétaire.
Régalien, du latin rex, regis, roi, définit ce qui est attaché à la souveraineté. La définition classique de souverainté est le droit exclusif d’exercer l’autorité politique (législative, judiciaire et/ou exécutive) sur une zone géographique ou un groupe de peuples. Dans les Etats souverains, ce droit tient à un accord entre la population et ses dirigeants : le contrat social, un contrat entre le peuple et l’Etat, rendant l’Etat souverain d’un point de vue intérieur également.
La souveraineté interne est alors la légitimité de l’Etat aux yeux de la population quand il tient à accomplir des « fonctions régaliennes », lesquelles ne peuvent faire l’objet d’aucune délégation. Les compétences minimales sont la sécurité du territoire, assurée par la constitution d’une armée ; la sûreté de ses habitants, assurée par la constitution d’une police et dans certains cas comme la France également une armée ; le rôle d’arbitre s’appuyant sur le droit, assuré par la justice ; la mise à disposition d’une monnaie commune à tous les agents économiques ; et enfin la conduite des relations internationales. Les fonctions régaliennes peuvent comprendre d’autres compétences d’ordre social notamment.
3. Etat fiscal-redistributeur (Fiscalisation) :
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Monopole fiscal.
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Equipement : pourvoyeur de biens publics.
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Protection : Etat providence.
Il est une dimension de l’Etat proprement économique : la fiscalisation ou l’exercice du monopole fiscal. Il s’agit de la possibilité pour l’Etat de fixer, seul, le montant des impôts et de les prélever. La fiscalisation concerne également le développement de l’Etat dans la mesure où elle peut être plus ou moins étendue. Les formes fonctionnelles de cette dimension concernent l’utilisation des recettes fiscales pour équiper le pays et assurer un Etat-providence, qui transfère des revenus entre catégories sociales, entre générations et entre régions.
4. Etat de droit (Autonomisation) :
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Séparation des pouvoirs (législatif, exécutif et judiciaire) : institutions stables.
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Juridicisation, Institutionnalisation : primauté du droit.
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Différenciation structurelle. Diffusion de la rationalité de l’Etat : bureaucratie rationnelle légale.
L’idéal type au niveau fonctionnel revient à l’Etat de droit dont l’essence de la dimension est l’autonomisation réciproque de l’Etat et d’une société civile, qui passe par la séparation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire inscrite dans des institutions stables. Le principe de séparation des pouvoirs est là pour garantir le plus grand respect possible des droits de l’Homme par les institutions étatiques elles-mêmes.
Les formes fonctionnelles de l’Etat de droit sont la primauté du droit (appelé en anglais « rule of law », le règne de la loi) et l’existence d’une bureaucratie rationnelle-légale.
Autrement dit, la construction de l’Etat de droit, c’est à la fois un processus de modernisation politique à travers l’instauration de pouvoirs indépendants et d’institutions stables garantes de la démocratie, la création d’une bureaucratie légale rationnelle et des institutions publiques légitimes cautions de l’intérêt général et de l’égalité de tous.
Pour que ces différentes formes d’Etat soient efficaces, et garantissent à la fois équilibre et stabilité, il est absolument indispensable que toutes les dimensions soient présentes et respectées.
Debats
Lungile :
Il n’empêche que ces modèles ne sont pas applicables dans les sociétés africaines, ou tout du moins, ils ne sont pas applicables à toutes les sociétés. Ils peuvent être utilisés au profit de certains, instrumentalisés, détournés…
John :
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Le Brésil, par exemple, évolue dans le sens d’une démocratie participative. En revanche ce modèle de démocratie est difficilement applicable dans le monde.
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Le Venezuela quant à lui, fait en sorte de tout centraliser au niveau de l’Etat.
Il n’est en fait pas possible de prétendre pouvoir appliquer un certain modèle dans n’importe quel pays. Un modèle peut ne pas marcher parce que les structures de base sont trop faibles ou simplement parce qu’il est en contradiction avec certaines traditions de gouvernance. (Ex : la Somalie)
Salomao :
Ces modèles ne marchent pas partout parce que la population n’en connaît pas les tenants et les aboutissants, elle ne connaît pas ses droits vis-à-vis du Gouvernement ni en matière de résolution des conflits. Dès lors, plusieurs questions s’imposent :
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Comment mobiliser la société civile pour le changement ?
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Comment informer les personnes pour les inciter à participer à la vie politique ?
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Comment faire en sorte qu’elles interpellent elles-mêmes les Etats pour y parvenir ?
La notion de responsabilité fait souvent défaut : les dirigeants politiques n’ont pas peur d’être pénalisés parce qu’ils ne procureraient pas certains services.
John :
Je pense par ailleurs, que nous devrions d’une certaine façon nous « éloigner » de la notion d’Etat, considérer le facteur économique sur un plan régional plus étendu et traiter à un moindre niveau le facteur culturel.
Lungile :
Il est vrai qu’en réalité, le principal défi n’est pas celui du type de modèle étatique mais celui de la redistribution des ressources. Prenons l’exemple de la Chine qui a réussi sa transition économique. L’Afrique, au contraire, dispose de beaucoup de ressources mais doit faire face à énormément de pauvreté.
Simon :
En Afrique du Sud, la question de la redistribution des ressources a trait au type de ressources en cause.
Marie :
Dans la Région des Grands lacs un projet intégrateur constituerait une façon de remédier à la pauvreté. La Région des Grands Lacs est une région où cohabitent des pays pauvres et des pays riches : or la redistribution des ressources, et donc un programme intégrateur, permettrait sans aucun doute de stabiliser la région.
John :
Une société peut traverser plusieurs variétés de conflits : pour chaque situation il convient de se poser les bonnes questions et d’analyser quelles sont les solutions possibles, les stratégies envisageables…. Nous allons écouter différents exemples, et voir alors quelles étapes ont été suivies et quelles perspectives sont envisageables dans chaque cas.
Notes
Impossible d’appliquer un modèle type de gouvernement dans n’importe quel pays. Importance de la redistribution des ressources, pour remédier à la pauvreté et permettre la stabilité. Importance de la participation de la population aux décisions gouvernementales.