Fiche d’expérience Dossier : Les Cahiers de Modop, n°1

, Cameroun, juillet 2015

Communauté urbaine de Yaoundé et vendeurs à la sauvette : acteurs et causes d’un conflit au marché

Les affrontements entre les vendeurs à la sauvette et la Communauté Urbaine de Yaoundé (CUY) marquent l’actualité camerounaises depuis plusieurs années. Trois outils d’analyse sont mobilisés ici pour tenter de comprendre les causes profondes de ces conflits et de trouver une issue favorable.

Mots clefs : Travailler la compréhension des conflits | La responsabilité des autorités politiques à l'égard de la paix | Bonne gouvernance et paix | Cameroun

L’actualité sociale de la capitale camerounaise, Yaoundé, a été marquée ces dernières années par les affrontements entre les vendeurs à la sauvette localement appelés « sauveteurs » et la Communauté Urbaine de Yaoundé (CUY). Ces oppositions ont pour principale arène spatiale le marché Mokolo, l’un des plus importants du pays.

Marché MOLOKO

Situé au sein de la commune d’arrondissement de Yaoundé 2e (CAY 2) , ce marché aurait été créé en 1949, à l’initiative d’un groupe de femmes de diverses tribus habitant les quartiers voisins1. Il s’agissait à cette époque d’un petit marché de vivres frais et secs qui abritait déjà un poste de police afin d’assurer la sécurité des vendeurs. Les habitants de la zone louaient leurs vérandas à des vendeurs et des tailleurs. La première taxe à payer par chaque commerçant d’une valeur de 50 FCFA, avait été instaurée dès 1956.

L’extension du marché s’est faite dans les années 1980. Elle s’est caractérisée par l’expulsion des habitants du quartier afin d’agrandir le marché. Cette extension s’est accompagnée d’une modernisation des infrastructures avec la construction de hangars pour les commerçants. Toutefois, en dépit de ces dispositions, le marché a attiré d’autres acteurs qui, à défaut d’espace ou de moyens d’acquisition des hangars construits pour le commerce, ont envahi les voies publiques ou se sont lancés dans la vente ambulante ou à la sauvette.

Cette occupation anarchique des voies publiques a entraîné au fil du temps une réaction de la CUY, avec le soutien des forces de sécurité, et donné lieu à des confrontations parfois violentes avec les sauveteurs. Celles-ci se sont amplifiées dès les années 2000 à la faveur de l’intensification parallèle de l’occupation de la voie publique au sein du marché. Cependant, d’autres problématiques, plus structurelles, entretiennent cette confrontation. Leur compréhension est indispensable à la recherche d’issues à ces oppositions permanentes.

Trois principaux outils d’analyse seront ici mobilisés pour examiner les caractéristiques des acteurs concernés, les causes profondes à l’origine du conflit, les manifestations de la violence structurelle à l’œuvre et les leviers sur lesquels agir pour y trouver une issue : l’arbre à conflits, la cartographie des acteurs et l’outil PIN (Positions, Interests and Needs).

Cartographie des acteurs : entre hétérogénéité et complexité

Au-delà des protagonistes que sont les « sauveteurs » et la communauté urbaine de Yaoundé, de nombreux acteurs interviennent dans la construction et l’expression du conflit. Il s’agit notamment de la police, des autres commerçants du marché de Mokolo, de la commune d’arrondissement de Yaoundé 2, des autorités administratives locales - notamment le préfet et le sous-préfet - et des arnaqueurs. Ces acteurs, outre les contradictions qu’ils charrient, constituent difficilement des ensembles homogènes. Ils peuvent être regroupés en deux principales catégories, les acteurs primaires et les acteurs secondaires.

Les acteurs primaires

  • Les « sauveteurs » : localement, un sauveteur dans le marché Mokolo est un individu qui vend à la sauvette, en occupant notamment les voies publiques et présentant une bonne condition physique, indispensable pour faire face (par la fuite), aux agents chargés de les déguerpir de la voie publique.

  • La communauté urbaine de Yaoundé : La CUY est la collectivité territoriale décentralisée créée par le décret n°87-1365 du 24 septembre 1987. La CUY est en charge de l’aménagement du marché et de son administration (au plan fiscal notamment). Elle est responsable de la construction des infrastructures, entre les hangars et les boutiques, et de leur attribution. Son rôle s’étend également à la collecte de certaines taxes et quittances, allant au-delà de la seule location des espaces commerciaux. Elle s’occupe en outre du respect de la loi en matière d‘occupation de l’espace notamment, de la non-occupation des voies publiques afin de limiter les embouteillages.

  • La police intervient dans le cadre de la préservation de la sécurité dans le marché. Les agents de la police sont très souvent associés à la CUY dans la mesure où, elle l’accompagne dans le cadre des actions de déguerpissement des sauveteurs qui occupent les espaces non appropriés à la pratique du commerce.

Les acteurs secondaires

  • Les autres commerçants du marché Mokolo : la masse constituée des « autres commerçants » fait référence aux autres acteurs exerçant une activité commerciale dans le marché Mokolo, en se conformant aux dispositions réglementaires en la matière. Ils considèrent a priori les sauveteurs comme des concurrents déloyaux dans la mesure où ces derniers vendent très souvent les mêmes produits qu’eux à des prix très bas puisqu’ils ne sont pas soumis aux contraintes formelles telles que le paiement des taxes notamment.

  • La commune d’arrondissement de Yaoundé 2 : La CAY 2 a été créée en 1987, elle compte environ 18 quartiers et c’est qui elle abrite le marché Mokolo. L’action de l’institution communale se limite, dans la gouvernance du marché, à la collecte de taxes spécifiques auprès des commerçants.

  • Les autorités administratives (Préfet et sous-Préfet) : les autorités administratives notamment le Préfet du Mfoundi et le sous-Préfet de l’arrondissent de Yaoundé 2 sont, au niveau local, les représentants du pouvoir étatique et sont, de ce fait, les garants de la paix sociale à cette échelle.

  • Les arnaqueurs : cette catégorie d’acteurs renvoie à des individus qui, sous réserve d’une protection des sauveteurs et d’une sécurisation de leurs marchandises leur demandent, voire, leur imposent le paiement de « taxes ».

La nature des relations qui lient ces différents acteurs peut être de trois ordres : conflictuelle (d’opposition), collaborative et (parfois) indéterminée (donc aussi mixte).

L’aperçu visuel de ce faisceau de relations révèle la nette prédominance des rapports de type conflictuel entre les acteurs primaires. Les sauveteurs sont très souvent opposés à la CUY et à la Police. À l’exception d’une collaboration avec la CAY 2, d’un rapport assez ambigu avec les autres commerçants et d’une coopération avec les arnaqueurs selon des modalités faussées ou forcées. Comme cela a été précédemment évoqué, les sauveteurs semblent s’inscrire dans des rapports d’oppositions vis-à-vis des autres acteurs. Ces derniers entretiennent entre eux des rapports globalement coopératifs à l’exception des arnaqueurs auxquels sont opposées les institutions identifiées ici entre la CUY, la CAY 2 et la police.

Causes profondes et incompatibilités du conflit.

Le conflit qui oppose au marché Mokolo, sauveteurs et CUY bien que se structurant autour de l’occupation par les premiers d’emplacements jugés inappropriés par les seconds, puise dans des causes plus profondes. Celles-ci sont socio-économiques, politiques ou encore organisationnelles.

L’arbre à conflit

L’arbre à conflit est un outil qui permet d’analyser les causes immédiates et celles dites profondes d’un conflit. Ces causes profondes constituent les leviers sur lesquels agir pour transformer les conflits. L’outil s’appuie donc sur un travail analytique. Il s’agit d’opposer aux causes profondes déjà identifiées des options de réponses. Les résultats sont représentés dans le schéma ci-dessous.

Les options de réponses identifiées sont adaptées aux causes du conflit. Elles se caractérisent également par leur caractère tout aussi politique et organisationnel. Les réponses possibles concernent l’élaboration de politiques mieux ciblées afin de créer des emplois ou de susciter leur création, des actions plus concertées d’encadrement du secteur informel et de nouvelles formes, plus concertées, plus inclusives de gestion du marché. Une plus grande communication sur l’offre des boutiques dans le marché devrait, en outre, être faite afin de fournir une information fiable aux sauveteurs et autres commerçants. Il s’avère également nécessaire d’engager des réflexions, des concertations sur la recherche de nouveaux espaces pour les sauveteurs. Au final, ces réponses reposent sur au moins trois enjeux majeurs :

  • Une organisation des sauveteurs autour d’associations de défense de leurs droits qui soient crédibles et performantes dans leur capacité de dialogue.

  • Un changement des modes d’intervention de l’État dans une optique d’accroissement, de concertation et de dialogue constants.

  • Des modes de gouvernance à l’œuvre autour du marché Mokolo devraient être déjà revus et s’orienter vers une gouvernance plus inclusive.

Une expérience réussie visant la sédentarisation des marchands ambulants au Sénégal s’est appuyée sur des enjeux similaires.2 La résultante en est que, « à Dakar au niveau du site de Petersen, les marchands ambulants en collaboration avec la police municipale ont défini les zones où les commerçants ne doivent pas étaler leur marchandise. Les deux « polices » veillent strictement à l’application de la mesure. »3

PIN (Positions, Interests and Needs)

L’outil PIN est un modèle d’analyse reposant sur l’identification des positions, des intérêts et des besoins des acteurs. L’analyse de ces éléments caractéristiques de la posture des parties au conflit, permet de comprendre les dynamiques réelles d’une situation conflictuelle et d’en dégager les pistes possibles en vue d’une sortie de crise. L’application de l’outil à notre cas, a porté essentiellement sur quatre acteurs : les sauveteurs, la CUY, les autres commerçants et la CAY 2. L’analyse de leurs positions, intérêts et besoins est résumée dans le tableau suivant.

Positions, intérêts et besoins des principaux acteurs du conflit :

ActeursPositionIntérêtsBesoins
Les sauveteursReconnaissance de leur statut de commerçant.
Besoin d’exercer une activité commerciale reconnue.
Vente écoulement de leurs produits.Espaces afin d’écouler leurs produits.
La CUYCoordination, gestion du marché.Faire respecter les dispositions réglementaires d’occupation du marché.Tirer des ressources de l’exploitation du marché.
Les autres commerçantsOpposition aux sauveteurs jugés ne pas avoir les mêmes charges.
Solidarité passive vis-à-vis des sauveteurs.
Vente normale de leurs produits sans subir la concurrence jugée déloyale des sauveteurs.Règles concurrentielles équitables.
La CAY 2Collecte des taxes communales dans le marché.Mobilisation des ressources via les taxes communales perçues.
Conquête et préservation du pouvoir par l’exécutif communal.
Accroître leur emprise fiscale sur le marché.

Pour aller plus loin avec….. les outils d’analyse des conflits de modop

D’autres outils d’analyse des conflits, co-développés par modop et ses partenaires, sont présentés sur le site ressources porté par modop : Irénées. Vous les retrouverez sur la page :

www.irenees.net/rubrique13_fr.html

Notes

1Benjamin BIDJOH et Lisette TCHOMGUI, « Rapport monographique de douze marchés prioritaires du PNDRT antenne régionale d’Ebolowa », octobre 2006.

2Voir Kamara O., Etude de cas sur les marchands ambulants, Streetnet, juillet 2012.

3Ibidem.