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Transformation de conflit, de Karine Gatelier, Claske Dijkema et Herrick Mouafo

Aux Éditions Charles Léopold Mayer (ECLM)

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, Cameroun, décembre 2013

Bataille pour l’accès à la terre dans l’arrondissement de Galim

L’occupation des terres, et donc la question de la propriété foncière, au centre du conflit entre Bagam et Bamenyam, dans la région ouest du Cameroun.

Mots clefs : Elaborer des méthodes et des ressources pour la paix | Travailler la compréhension des conflits | Sensibilisation à la paix | Cameroun

Le conflit oppose d’une part Bagam à Bamenyam et d’autre part Bagam à Bamendjing. Les populations de ces villages se disputent la propriété foncière dans cette région qui représente un véritable vivier agricole, en raison de son sol arable et très fertile. Plusieurs fois, ces affrontements ont occasionné de nombreuses pertes en vies humaines et dégâts matériels chiffrés à des dizaines de millions.

L’arrondissement de Galim dans le département des Bamboutos, actuelle Région de l’Ouest Cameroun, a longtemps été le théâtre de conflits répétitifs entre trois des quatre villages qui le composent. D’une part, Bagam s’est régulièrement opposé à Bamenyam et d’autre part, Bagam s’est affronté à Bamendjing. “Ce conflit qui remonterait au début du siècle courant resurgit parfois à la faveur d’affrontements entre agriculteurs et éleveurs. Le dernier conflit qui date de mars 2001 a donné lieu à un bilan contradictoire (1).

Même si la région présente le climat d’une longue accalmie, rien n’exclut que le conflit renaisse sur les cendres de cette accalmie. Les protagonistes, pour la plupart des jardiniers et cultivateurs, peuvent à tout moment plonger dans des actes de violences qui dégénèrent en un conflit sanglant sans même que l’autorité administrative ne parvienne à établir clairement les responsabilités. Surtout que les chefs traditionnels de chacun des villages ont opté pour la protection et la défense de leurs administrés. Le chef supérieur Bagam M. Simo Tenkeu Jean-Marie reconnaissait en 1998 qu’il s’agit d’un vieux conflit entre deux peuples pourtant liés par « la géographie, le sang et l’histoire ». Selon le Chef Simo Tenkeu, le peuple Bagam avait accueilli un groupe d’hommes errants, chassé à l’époque du Noun. Ce groupe était constitué des Bamenyam ». Il indique d’ailleurs que c’est à partir du pic du rocher dit Mafongokpene où ils se sont installés que les Bamenyam cherchent à envahir leurs voisins.

Les déclarations du Chef Bamenyam,Sa majesté Moko Moko Pierre, sont totalement contraires aux propos de son homologue Bagam qu’il accuse avoir violé les « limites naturelles » existant entre les deux communautés. Dans ses multiples développements, le Chef Bamenyam évoque qu’en 1976, une commission est descendue sur le terrain pour délimiter chacun des territoires.

« Un arrêté provisoire du Préfet du département des Bamboutos donnait les limites provisoires aux différents territoires en attendant les limites définitives. Une fois de plus, ce sont les Bagam qui ont violé cette limite provisoire pour venir attaquer les Bamenyam » (2), affirmait le Chef Moko Moko Pierre.

L’occupation des terres et donc la question de la propriété foncière est au centre du conflit entre Bagam et Bamenyam. Chaque chef de village pointe du doigt son voisin qu’il soupçonne de vouloir étendre ses limites territoriales au point de l’envahir, au mépris des limites traditionnelles et même administratives. Il faut rappeler qu’au Cameroun, la gestion des terres se fait dans un système dual ou le droit positif côtoie le droit coutumier qui est aussi juridiquement applicable. Il y a donc une nécessité de mise en cohérence des cartes qui se trouveraient dans une situation de superposition, avec comme impact l’impossibilité de délimiter le territoire géographique de chacun des villages. Ce qui laisse une ouverture à toutes sortes d’hégémonies et de velléités d’envahissement.

Le conflit Bagam contre Bamenyam s’est généralement traduit par des agressions interpersonnelles. Tout est souvent parti des violences dans les champs entre des agriculteurs avant de s’étendre à des affrontements collectifs et inter-communautaires emprunts de vandalisme et de pyromanie de part et d’autre. En 1998, plus de 200 maisons ont été incendiées y compris une école, des plantations détruites ou brulées, de nombreux blessés et quelques pertes en vies humaines.

Le conflit Bagam – Bamenyam dans son épisode de 1998 intervient dans une période d’alternance dans la chefferie Bamenyam. Le Chef Moko Moko Pierre vient d’accéder au trône. Pour le Chef Bagam, « c’est l’arrivée au pouvoir du chef Moko Moko Pierre qui a déclenché les hostilités’’. D’un autre coté, l’administration coloniale aussi bien française et allemande - qui était intervenue dans les crises sanglantes successives dont celles de 1933, 1945, 1946 et 1956 - aurait procédé à une délimitation territoriale dont les cartes ne seraient pas respectées par l’une ou l’autre partie. L’administration serait d’ailleurs qualifiée de complaisante quant à son pouvoir de faire respecter ses décisions. Le conflit peut ainsi éclater chaque fois qu’une des parties estime que son intégrité territoriale est violée. Tel est le cas avec le conflit de 1998 qui éclate alors que des agriculteurs se disputent une source d’eau pour arroser leur jardin. Le chef Moko Moko dit à ce propos que : « le 27 Avril 1997, des planteurs BAMENYAM ont été agressés par des BAGAM. A la suite de cette agression il y a eu un mort.’’ Les Bagam se seraient organisés, armés de fusils, pour barrer la voie à tout passage de véhicule en partance de Mbouda le chef lieu du département pour Bamenyam. La route qui dessert Bamenyam passe par le territoire Bagam. Ce barrage a dévié le mouvement des populations de Bamenyam, obligées de contourner par la région du Nord Ouest à Ndop pour parvenir à destination.

Cette situation conflictuelle devenue chronique met en présence des intérêts difficiles à cerner. Si les premières victimes sont les populations notamment les cultivateurs des deux villages, il n’en demeure pas moins qu’elles constituent de véritables armées au service des deux chefs qui semblent reposer leur légitimité sur leur capacité à dominer les villages voisins. La préservation ou l’extension du territoire de l’un comme de l’autre devient un enjeu majeur pour la paix et la tranquillité dans la localité. Dans cette optique, les frères ennemis que sont désormais les populations ne peuvent plus entretenir des relations de confiance. Bamenyam et Bagam ne se fréquentent plus les marchés, les écoles et les hôpitaux. Les mariages intercommunautaires sont mis entre parenthèses. L’administration - à travers le ministère de l’administration territoriale dont le Sous préfet au niveau local et le préfet au niveau départemental assurent les missions d’ordre public et de préservation de la paix - a jusqu’alors tenté d’organiser des concertations en vue de la médiation de ce conflit.

D’autres acteurs civils comme le Service Œcuménique pour la Paix (SeP) ont aussi pris une part active dans la conciliation entre les deux parties. Le service de médiation assuré par le pasteur Luc Norbert Kenne s’est déployé en plusieurs navettes entre les principaux belligérants en les personnes des deux chefs de village. Le SeP est une organisation interreligieuse très concernée par la cohabitation pacifique entre les peuples. Elle intervient sur le terrain pour renforcer les capacités des parties en conflit à pouvoir résoudre leur conflit dans une approche non violente et de transformation constructive. Son intervention vient en situation post conflictuelle ou en prévention des conflits. Le caractère cyclique du conflit Bagam – Bamenyam lui donne donc de se trouver dans ces deux phases à la fois.

Mais il faut reconnaître que d’autres acteurs encore ont participé indirectement dans ce conflit, soit pour l’envenimer : cas des élites qui ont, semble-t-il, ravitaillé les populations en armes blanches (machettes), soit pour essayer d’apaiser les parties en conflit et secourir les victimes : cas de la croix rouge qui aurait effectué une descente sur les lieux du drame des incendies pour apporter du soutien aux sans abris. En 2003, une initiative dénommée camp des enfants pour la paix a regroupé dans une expédition baptisée tourisme alternatif pour la paix, une trentaine d’enfants pour sillonner les quatre chefferies de l’arrondissement de Galim et porter le message d’une cohabitation plus pacifique. Les enfants âgés de 9 à 15 ans avaient alors adressé un mémorandum à tous les chefs et à leurs populations les sommant de montrer aux enfants, de bons exemples de vie en communauté et de respect de toute vie humaine. Depuis lors, l’on n’a plus enregistré de conflits aussi violents que ceux de 1998 et 2001.

Au jour d’aujourd’hui, la tension a baissé entre les deux communautés Bagam et Bamenyam sans pour autant signifier que les relations entre le deux villages sont cordiales. Dès lors, deux préoccupations majeures sont à soulever relativement à ce conflit.

  • D’une part, l’administration doit pouvoir rendre effective les délimitations territoriales.

  • D’autre part, les chefs doivent être interpellés pour répondre de leur responsabilité en tant que instigateurs des attaques.

Au final, la situation d’accalmie n’est observable que depuis que le SeP a entrepris de capaciter les populations en méthodes et techniques de résolution non violente des conflits. En procédant à l’analyse du conflit, les populations ont pris conscience de l’intérêt pour la paix et la cohabitation pacifique.

Notes

  • (1) : Badjang Ba Nken ; Le conflit Bagam/Bamenyam dans les Bamboutos ; Cameroon Tribune du 4 janvier 1999 ; page spéciale « paix et démocratie ».

  • (2) : Idem.