Fiche d’expérience Dossier : Principes et pratiques de l’action non violente

Alternatives Non-violentes, Rouen, juillet 2007

En France, des actions en recrudescence, mais un débat encore timide

La désobéissance civile est de plus en plus employée dans des rapports de force politiques. Le rappel de ces luttes passés et présentes montre un réel intérêt pour cette dynamique non-violente, qui ne saurait être cependant une simple recette de cuisine.

Mots clefs : | |

Malgré l’émergence de nouvelles formes de contestation dans les récents mouvements sociaux, incluant des actions illégales, le débat sur la désobéissance civile demeure limité en France. Dans la presse nationale, quelques articles ou tribunes mettent parfois le projecteur sur cette notion à l’occasion d’événements médiatiques. C’est ainsi qu’en septembre 2004, Le Monde a consacré une page entière à ce thème, sous le titre : « Actions anti-OGM, mariage gay : le retour de la désobéissance civile ». L’historienne Danielle Tartakowsky admet dans un entretien que cette forme d’action politique « est susceptible d’améliorer la santé de la démocratie ». Elle ajoute que « ces formes de contestation traduisent une crise actuelle de la démocratie représentative et une plus forte demande de démocratie participative ou délibérative ». Depuis dix ans en France, la désobéissance civile sort progressivement de l’ombre et devient une « arme » démocratique pour combattre les injustices sociales. Tour d’horizon de ces événements qui ont marqué cette histoire récente.

Précurseur dans les actions de désobéissance civile sur le terrain social, le mouvement « Droit Au Logement » (DAL). Créé en 1990, après le campement à Paris, place de La Réunion, de quarante-sept familles expulsées d’un immeuble du XXème arrondissement, ce mouvement est soutenu par plusieurs personnalités telles Albert Jacquard. Depuis sa création, il a organisé de nombreuses occupations illégales d’immeubles vides afin de réclamer des logements décents pour les familles mal logées ou expulsées. Le mouvement qui se réclame de « l’action directe non-violente » s’est étendu dans toute la France à travers de nombreux comités locaux. A la fin de l’année 2006, cette question revient à la une de l’actualité : l’association Les Enfants de Don Quichotte installe près de 200 tentes pour les SDF le long du canal St Martin à Paris afin de susciter « l’indignation citoyenne ». Cette action illégale, mais populaire, qui s’est développée dans d’autres villes, a obligé les politiques à prendre à bras le corps la question du mal-logement dans la perspective des élections présidentielles. Et le 1er janvier 2007, le DAL s’engouffrait dans la brèche médiatique en « réquisitionnant », en plein Paris, un immeuble appartenant à la Lyonnaise des Banques, aussitôt rebaptisé « Ministère de la Crise du logement »

I. État d’urgence démocratique

Le 4 février 1997, le tribunal de Lille condamne une femme qui a hébergé un étranger en situation irrégulière. Quelques jours plus tard, l’extrême droite remporte la mairie de Vitrolles. La conjonction des ceux événements crée un choc, comme si la France, lentement, mais sûrement, tournait le dos aux valeurs fondamentales de la République. Le 11 février, plusieurs dizaines de réalisateurs de cinéma lancent un appel à la désobéissance civile face au projet de loi Debré sur l’immigration. Pour lutter contre « l’immigration illégale », l’une des dispositions de la loi prévoit que chaque hébergeant d’un étranger signale son départ à la mairie, après lui avoir demandé l’autorisation de l’accueillir. Dans un avis confidentiel, le Conseil d’Etat a contesté ce dispositif considéré comme « une atteinte à la liberté individuelle et à la vie privée de l’hébergeant ». Le gouvernement est passé outre l’avis de la haute juridiction. Dans leur appel du 11 février, les cinéastes déclarent être coupables d’avoir hébergé récemment des étrangers en situation irrégulière et de ne pas les avoir dénoncés. Ils demandent à être mis en examen conformément à la loi Pasqua de 1993 et appellent les citoyens « à désobéir pour ne pas se soumettre à des lois inhumaines ».

Le débat sur la désobéissance civile à la suite de l’appel des cinéastes prend une tournure publique et polémique, notamment à la suite de l’article du professeur de philosophie Étienne Balibar, paru dans Le Monde du 19 février 1997, sous le titre « Etat d’urgence démocratique ». Dans ce texte, Etienne Balibar invite ses concitoyens à ne pas respecter la principale disposition de la loi Debré, si celle-ci devait être votée. Mais surtout, il développe des arguments pour justifier l’éventuel recours à la « désobéissance civique », expression qu’il préfère à « désobéissance civile ». La dimension pédagogique de l’appel de Balibar est incontestable. Il précise les conditions pour que la désobéissance civique soit « une action politiquement responsable » :

  • Etre « dans une situation d’urgence » vis-à-vis de la menace des valeurs démocratiques ;

  • Offrir la possibilité d’une « action collective » qui crée un rapport de forces ;

  • Assumer les risques judiciaires et politiques de cette action.

Le texte de Balibar sera largement diffusé et commenté. Pour la première fois, depuis le Larzac, un débat public s’amorce sur la légitimité éthique, juridique et politique de la désobéissance civile/civique.

L’appel des cinéastes à la désobéissance civile suscite « l’insurrection des consciences ». Il est suivi par la publication dans la presse nationale de nombreuses pétitions d’avocats, de médecins, d’artistes reprenant les termes de l’appel. La multiplication de tous ces appels publiés quotidiennement suffisent à convaincre (à contraindre ?) le gouvernement de renoncer à aller plus loin. La principale disposition contestée dans l’article 1 du projet de loi est retirée. Il est remarquable que c’est la menace d’une désobéissance civile généralisée qui a eu un véritable effet dissuasif sur le gouvernement. Dans un pays où les conflits sociaux, généralement contrôlés par les grandes centrales syndicales, restent cantonnés dans le cadre de la légalité, cela mérite d’être souligné. Quant au débat sur la désobéissance civile, il est aussitôt retombé.

II. Une occasion manquée : le procès Papon

Le 7 octobre 1997, s’ouvre le procès de Maurice Papon, ancien secrétaire général de la Préfecture de Gironde. Il durera jusqu’au 2 avril 1998. Condamné à dix ans de réclusion criminelle et à la privation de ses droits civiques, Maurice Papon est l’exemple type du haut fonctionnaire qui exécute les ordres de ses supérieurs. La responsabilité de ses actes a été reconnue, ce qui aurait du soulever la brûlante question de l’obéissance et de la désobéissance des fonctionnaires à des ordres illégitimes ou/et criminels. Quelques années auparavant, le livre de Jean-Marie Muller Désobéir à Vichy présentait la résistance civile de sept fonctionnaires de police de Nancy qui avaient sauvé des centaines de familles juives des rafles durant l’été 1942. Jean-Marie Muller estime, en conclusion de cette étude historique, qu’« il convient que les pouvoirs publics élaborent des instructions officielles sur les obligations des fonctionnaires lorsqu’ils se trouvent confrontés à un ordre illégitime. Ces instructions doivent souligner que les administrations publiques ont un rôle stratégique majeur dans la défense de l’État de droit en privant tout pouvoir usurpateur de ses moyens d’exécution (1).» L’acte héroïque des policiers de Nancy fut reconnu lorsqu’ils reçurent la Médaille des Justes, lors de deux cérémonies en 1989 et 1991. Dans le même esprit, en mars 2006, un téléfilm, Le temps de la désobéissance, est diffusé à la télévision française en hommage aux policiers de Nancy. Mais tout se passe comme si les hommages successifs occultaient l’indispensable réflexion…

Dans une tribune au Journal Le Monde, quelques semaines avant le procès Papon, Jacques Sémelin exposait les termes du débat que cette affaire aurait du soulever : « Jusqu’où obéir ? », s’interrogeait-il. Considérant l’esprit de discipline qui fonde la culture de la fonction publique, il souligne que le gouvernement de Vichy n’a cessé de rappeler aux fonctionnaires leur devoir d’obéissance. Mais exemples à l’appui, il montre, qu’à cette époque, des fonctionnaires ont désobéi à des ordres criminels, au nom de leur conscience et du principe d’humanité. Et de poser la question : « Quelles leçons avons-nous tiré en France de cette tragédie, du point de vue d’un droit de désobéissance des fonctionnaires ? ». Aucune, semble-t-il. Pourtant, un sondage réalisé par l’IFOP et le l’EDJ en septembre 1997 indiquait que 68 % des Français estimaient que « dans des circonstances aussi exceptionnelles que l’occupation allemande et l’installation du régime de Vichy, il était du devoir des hauts fonctionnaires en place en France de désobéir aux directives qui n’étaient pas conformes aux droits de l’homme. » contre 26 % qui pensaient que « les hauts fonctionnaires en place en France pendant la Seconde Guerre mondiale étaient tenus d’exécuter les directives qui leur étaient adressées ». Deux ans plus tard, en mars 1999, sortait sur les écrans français le film « Un spécialiste », du réalisateur israélien Eyal Sivan. Réalisé à partir des archives filmées du procès d’Adolph Eichmann à Jérusalem en 1961, sur lequel Hannah Arendt a écrit des pages percutantes sur la banalité du mal et la soumission à l’autorité dans son fameux ouvrage Eichmann à Jérusalem (2), ce film n’a pas suscité des débats à la hauteur d’une question encore taboue dans notre pays.

III. Le démontage du Mac Do de Millau

Le 12 août 1999 est assurément une date importante (3) dans ce panorama de la désobéissance civile en France. Il a suffi d’une action illégale, non-violente et assumée au grand jour pour susciter un véritable « raz de marée médiatique» (4), selon les mots de Léon Maillé, éleveur de brebis sur le plateau du Larzac. Ce jour-là, plusieurs dizaines de militants de la Confédération paysanne, dont José Bové, investissent le chantier du Mac Donald en construction à Millau, démontent cloisons, portes et fenêtres et les déchargent devant les grilles de la sous-préfecture. L’affaire fait la une des médias, après qu’une dépêche de l’AFP ait évoqué l’action en parlant de « saccage » du restaurant. La médiatisation du conflit devient particulièrement intense après la mise en examen de plusieurs participants et l’incarcération de José Bové qui se livre lui-même à la justice le 19 août.

Si le débat autour du « saccage » ou du « démontage » du Mac Doc a occulté quelques temps l’objet de l’action, il n’en reste pas moins que la démarche de José Bové a largement contribué à sensibiliser l’opinion aux dangers de la « mal-bouffe » et à l’emprise de l’OMC. En refusant de sortir de prison, même en versant une caution, le leader syndicaliste applique à la lettre la philosophie de Thoreau et de Gandhi, ses inspirateurs : assumer pleinement les conséquences de son acte illégal. « Si la lutte contre l’OMC, si la lutte pour une nourriture saine et une agriculture propre nécessitent que des paysans soient en prison, déclare-t-il au journal Le Monde, alors je reste en prison ». Le défi de José Bové, brandissant ses poings menottés au sortir du palais de justice, va augmenter sa popularité et par conséquent la cause qu’il défend. Sa démarche, qui a su trouver les gestes, les symboles et les mots qui parlent à l’opinion a incontestablement popularisé l’action non-violente et la désobéissance civile. Quelques semaines plus tard, Seattle devenait le symbole de l’autre Amérique qui résiste, par des actions directes non-violentes et la désobéissance civile, aux puissants du libéralisme économique. Mais déjà, aux Etats-Unis comme en France, la logique de la « criminalisation » de la désobéissance collective par le pouvoir et les médias était en marche…

IV. Démocratie pour le Pays Basque

Durant l’année 2000, un nouveau mouvement fait irruption sur la scène politique du Pays Basque. Démocratie pour le Pays Basque dont les membres s’appellent les Démo propose une autre voie que la violence pour porter les revendications politiques de la société du Pays Basque Nord. La non-violence active est leur credo ; leurs modèles sont Gandhi, Martin Luther King, César Chavez, mais aussi la Confédération Paysanne et Greenpeace et toutes les luttes non-violentes sectorielles pour la langue basque, l’agriculture paysanne, l’écologie ou l’insoumission au service militaire. Très vite, ce mouvement va initier de nombreuses actions spectaculaires non-violentes incluant des actions illégales pour sensibiliser l’opinion et faire pression sur le pouvoir politique sur quatre points :

  • La revendication d’une politique linguistique efficace pour développer l’enseignement ;

  • L’usage de la langue basque ;

  • La création d’un département Pays Basque ;

  • Le respect des droits des prisonniers politiques.

La désobéissance civile par l’action directe est au cœur de leur démarche. Le 14 mars 2000, vingt-six militants Démo pénètrent dans le Conseil Général des Pyrénées Atlantiques à Pau et en ressortent avec les 21 sièges des conseillers généraux du Pays Basque. Quelques jours plus tard, les fauteuils sont déposés en grande cérémonie sur une place de Bayonne face au chantier de construction d’une antenne du Conseil Général, en présence de trois cent personnes. Une première étape, selon les Démo, vers la création d’un Conseil général du Pays Basque ! D’autres actions spectaculaires jalonneront l’histoire de ce mouvement, particulièrement celles pour le développement de la langue basque dans les services publics. Le 22 avril 2001, cinquante militants Démo rendent bilingue la signalétique des cinq plus importantes gares du Pays Basque, en collant une centaine de grands autocollants en langue basque à côté des inscriptions en français. La désobéissance civile, selon les Démo, c’est réaliser l’idéal, ici et maintenant, montrant qu’il n’est pas si inaccessible que cela… Ces nombreuses actions ont donné lieu à un procès retentissant le 17 décembre 2002, où la police n’a pas hésité à faire usage de violence contre le public présent à l’audience. Mais ce mouvement prometteur n’a semble-t-il pas pu enclencher une dynamique de mobilisation collective dans la société civile basque.

V. Les Faucheurs volontaires

Depuis 2004, c’est l’action des Faucheurs volontaires qui occupe le devant de la scène de la désobéissance civile. Lancée à l’initiative de Jean-Baptiste Libouban lors du rassemblement du Larzac contre l’OMC en août 2003, cette action a connu un rapide développement avec l’engagement de plusieurs milliers de personnes signataires de la Charte. La première action de fauchage d’un champ d’OGM a lieu le 25 juillet 2004 à Menville, en Haute-Garonne. Elle rassemble plus de mille personnes qui arrachent chacune un épi de maïs, sous le regard passif des forces de gendarmerie. Depuis cette action massive et largement médiatisée, plusieurs dizaines d’actions de fauchage ont effectivement eu lieu ou ont été tentées, dans plusieurs régions. La répression policière n’a pas tardé, entraînant parfois des confrontations avec les forces de l’ordre qui protégeaient les champs. La répression judiciaire, également, avec la publication d’une circulaire du Ministre de la Justice, Dominique Perben, demandant aux procureurs la comparution immédiate des faucheurs en action devant les tribunaux.

Les procès, autant que les actions, donnent l’occasion aux faucheurs de médiatiser leur action. Des « comparants volontaires » se manifestent pendant les procès dénonçant le caractère sélectif des inculpations, alors que chaque action rassemble plusieurs dizaines ou centaines de faucheurs. Revendiquer l’action, demander à être jugé comme les autres, constitue un point fort de la démarche des faucheurs qui montrent ainsi que leur désobéissance n’est pas « délinquante », mais hautement civique. Pourtant, l’image renvoyée par les faucheurs semble brouillée dans l’opinion publique. Si celle-ci est majoritairement opposée aux OGM, elle n’approuve pas pour autant les actions de fauchage. La dimension pédagogique de l’action ne saute pas aux yeux, d’autant que le pouvoir n’a de cesse de la « criminaliser ». Si la médiatisation des actions et des procès, tout particulièrement ceux où José Bové est concerné, permet de sensibiliser l’opinion et d’organiser une pression forte sur les pouvoirs publics, il apparaît que la légitimité de la désobéissance civile dans l’action des Faucheurs ne semble pas partagée dans l’opinion. Deux raisons à cela, selon nous :

  • L’action de désobéissance ne répond pas à une injustice directe caractérisée, comme ce fut souvent le cas dans l’histoire des luttes non-violentes, mais davantage à un danger environnemental potentiel.

  • L’action de fauchage n’est pas toujours perçue comme « non-violente », même parmi les sympathisants du mouvement. Face à la répression du pouvoir, le manque d’affichage de la non-violence dans l’action, le défaut d’organisation dans certaines d’entre elles et l’absence de formation des participants se sont parfois retournés contre les faucheurs dans la bataille de l’opinion publique.

VI. Les Déboulonneurs de pub

Depuis la fin de l’année 2005, un nouveau réseau de lutte contre l’envahissement publicitaire s’est organisé dans plusieurs villes de France à l’initiative de quelques militants issus de la mouvance antipub et de la mouvance non-violente. Les « déboulonneurs » veulent faire tomber la publicité de son piédestal et organisent chaque mois des actions spectaculaires de barbouillage des panneaux publicitaires. « Face à l’agression publicitaire, face à l’inertie des autorités, la désobéissance civile est une légitime réponse », proclament-ils dans leur document de campagne (5). Celui-ci s’inscrit dans la tradition des luttes non-violentes. Il conjugue information–sensibilisation, suggestions d’actions directes et propositions constructives. Ces militants réclament une autre loi sur l’affichage publicitaire qui respecte l’environnement et les esprits. Ils agissent au grand jour, de façon responsable, revendiquent leurs actes, cherchent a être arrêtés afin de porter leur message devant la justice.

Cette campagne de désobéissance civile monte actuellement en puissance. Les médias locaux se font l’écho de chacune de leurs actions qui rencontrent la sympathie du public. Cependant, cette initiative n’est pas encore en mesure de créer un véritable rapport de force. Elle doit s’inscrire dans la durée en s’organisant de façon à multiplier les actions illégales de barbouillage. Les premiers procès de l’année 2007 contribueront certainement à amplifier la mobilisation et l’écho dans l’opinion publique. La force de cette action est qu’elle nécessite peu de personnes (un ou deux barbouilleurs), mais un nombre conséquent de « spectateurs » sympathisants. Avec le risque cependant, comme le souligne Paul Ariès, de réserver l’action de désobéissance à des « minorités agissantes » et de contribuer à la « professionnalisation » de la vie militante. « Il ne s’agit pas de commettre un acte illégal pour la beauté du geste, écrit-il, mais pour sa capacité à pratiquer un dissensus pédagogique (6) ». Le débouché cohérent et dynamique de l’action des déboulonneurs, dans une stratégie de désobéissance civile, pourrait être de mobiliser un grand nombre de citoyens dans des actions phares, à la portée de tous, afin d’enrayer la machine publicitaire, et plus largement celle de la consommation.

VII. L’émergence de nouvelles radicalités citoyennes ?

Ces dernières années ont vu l’émergence dans la société française de mouvements n’hésitant pas à organiser des actions illégales pour appuyer leurs revendications et créer des rapports de force avec les pouvoirs publics. Ces mouvements, à la différence des Faucheurs Volontaires et du Collectif des Déboulonneurs, ne sont pas forcément issus de la mouvance non-violente. Depuis 2002, « à la faveur » d’un gouvernement de droite qui a fait de la sécurité son cheval de bataille, des mouvements plus ou moins sporadiques et organisés se sont créés pour « résister » de façon citoyenne à des projets de loi, particulièrement ceux dirigés contre les immigrés et les sans papiers.

Ainsi, le 27 mai 2003, le GISTI (Groupe d’information et de soutien aux immigrés) lançait le « Manifeste des Délinquants de la Solidarité » qui appelait à la désobéissance civile face à la criminalisation de ceux et celles qui luttent en solidarité avec les immigrés et les étrangers. « De même que nous réclamons un changement radical des politiques à l’égard des immigrés et des étrangers, nous réclamons le droit à la solidarité, contre la logique des Etats. Si la solidarité est un délit, je demande à être poursuivi(e) pour ce délit », proclame cet appel. Cette initiative, qui n’est pas sans rappeler le mouvement de 1997, motivée par le projet de révision de l’ordonnance de 1945 et l’augmentation des condamnations de personnes et d’associations pour aide au séjour irrégulier, a recueilli le soutien de nombreuses associations et la signature de plusieurs milliers de personnes. Plus récemment, le projet de loi de prévention de la délinquance, initié par le ministre de l’intérieur Nicolas Sarkozy, a suscité des réactions associatives fortes. Des Collectifs de résistance à la délation se sont créés localement. Certains maires, comme Noël Mamère, ont annoncé qu’ils n’appliqueraient pas cette loi « liberticide » qui favorise davantage la répression au détriment de la prévention. Ce mouvement pourrait s’amplifier avec l’adoption de la loi par le Parlement. Tout éducateur, tout enseignant, tout médecin sera tenu, selon cette loi, de signaler au maire de sa commune des enfants, des jeunes qui seraient en difficulté sociale, scolaire, financière, médicale et qui donc seraient considérés comme source de danger pour la société…

Au sein de l’Éducation nationale, des appels à la désobéissance ont aussi vu le jour ces dernières années pour s’opposer à certaines mesures ministérielles. C’est ainsi qu’en septembre 2006, des enseignants du second degré du syndicat SUD lançaient une lettre à signer au Ministre dans laquelle ils déclaraient qu’ils étaient prêts à désobéir à tout ordre de remplacement d’un collègue absent et à assumer solidairement les conséquences de ce refus. Des initiatives plus ou moins isolées, mais souvent collectives, ont également émergé pour refuser l’application de la note de vie scolaire introduite dans les établissements secondaires à la rentrée 2006, mais aussi sur l’imposition de la méthode de lecture syllabique ou l’apprentissage obligatoire de La Marseillaise dans les écoles primaires. Ces initiatives d’enseignants, pas toujours relayées par les grands syndicats, n’ont jamais abouti à la structuration de mouvements susceptibles de créer un véritable rapport de forces avec l’autorité gouvernementale.

Le printemps de l’année 2006 a été marqué en France par la contestation anti-CPE qui s’est caractérisée par un nombre impressionnant d’actes illégaux de résistance à ce projet de loi (7), tout particulièrement de la part de la jeunesse lycéenne et étudiante. Mais l’année 2006 a également vu le développement d’un mouvement qui a su mobiliser bien au-delà des cercles militants traditionnels. Le Réseau Education sans frontières, créé dès juin 2004 pour venir en aide aux familles de sans papiers menacées d’expulsion a su, au printemps 2006, susciter un mouvement d’opinion tout à fait remarquable et inédit. En quelques semaines, 130 000 personnes ont signé la pétition « Nous les prenons sous notre protection », relayée par plus de 2 000 sites internet. Le mouvement a touché des enseignants, des lycéens, des parents, des habitants de quartier qui se sont spontanément retrouvés dans une démarche de « désobéissance », sans forcément la dénommer comme telle. Des reconduites à la frontière ont parfois été empêchées par les mobilisations (dans les centres de rétention ou dans les aéroports). Les parrainages « républicains » ont été très nombreux dans certaines mairies, assurant une visibilité et un soutien aux familles concernées par l’expulsion.

Dans les milieux militants, les débats, les forums et les colloques consacrés à la désobéissance civique/civile, parfois rebaptisée « {désobéissance citoyenne » se multiplient (8). C’est le signe positif de l’appropriation de cette démarche d’action par des réseaux, des mouvements, des organisations qui cherchent de nouvelles façons d’agir, loin du militantisme traditionnel.

Commentaire

L’action non-violente semble susciter un regain d’intérêt et des formations sur ce thème se développent. Un Manifeste des Désobéissants (9) a même été lancé à la fin de l’année 2006 pour tenter de fédérer les différentes initiatives de luttes non-violentes, sur les terrains de l’environnement (nucléaire, publicité), de l’alter-mondialisme (faucheurs) et du social (sans papiers, logement). Les débats publics sur la désobéissance civile, notamment avec la multiplication des actions et des procès, pourraient connaître une nouvelle vigueur dans les prochaines années.

Notes

  • Auteur de la fiche : Alain REFALO, président du Centre de ressources sur la non-violence de Midi-Pyrénées www.non-violence-mp.org

  • (1) : Jean-Marie Muller, Désobéir à Vichy, la résistance civile de fonctionnaires de police, Presses Universitaires de Nancy, 1994, p. 133-134.

  • (2) : Hannah Arendt, Eichmann à Jérusalem, Rapport sur la banalité du mal. (1963). En 1999, Eyal Sivan et Rony Brauman publiaient Eloge de la désobéissance proposant une réflexion sur l’obéissance, les usages de la mémoire et l’image.

  • (3) : Elle figure sur l’affiche des « 100 dates de la non-violence au XXème siècle » diffusée par ANV.

  • (4) : Lire l’article de Christian Brunier, Le défi anti-OMC de José Bové, in Alternatives Non Violentes, n° 113, Hiver 1999/2000, p. 71-79

  • (5) : Lire « Manifeste », sur le site www.deboulonneurs.org

  • (6) : Paul Ariès, Désobéir pour défendre la loi, in La Décroissance, n° 33, septembre 2006.

  • (7) : Voir notre article La contestation anti-CPE, l’émergence d’une nouvelle radicalité ?, in Alternatives Non-Violentes, n° 139, 2ème trimestre 2006.

  • (8) : Un colloque sur la désobéissance civile s’est tenu à Lyon les 17 et 18 mars 2006. Voir le site : www.desobeissancecivile.org

  • (9) : www.desobeir.net