Marly-le-Roi, octubre 2007
Retour d’expérience : une mission d’intervention civile de paix au Kosovo
Témoignage d’une volontaire de paix partie dans le contexte d’une intervention civile de paix (ICP) au Kosovo de 2002 à 2003 avec Equipes de paix dans les Balkans (EPB).
Keywords: Intervención civil de paz | Guerra de Kosovo | Resolución no violenta de los conflictos | Equipos de Paz en los Balcanes | Los Balcanes | Kosovo
I. Description de la mission d’Intervention Civile de Paix
Je suis partie en mission de juillet 2002 à juillet 2003 à Mitrovica, ville située au nord du Kosovo, ville frontière avec la Serbie. J’étais la deuxième volontaire à partir pour l’ONG Equipes de Paix dans les Balkans. J’ai eu une période de doublage d’un mois avec la volontaire précédente.
Il était prévu que je sois volontaire au sein d’un « Centre de ressources des ONG », créé par l’OSCE (il en a été créé une douzaine dans les Balkans, dans un objectif de démocratisation et de reconstruction de la société civile). Ces centres sont des lieux d’aide à la création d’ONG locales, des lieux de rencontres et d’échanges entre les ONG (mise à disposition de matériel informatique, d’accès Internet, d’une salle de réunion et de conseils en matière de conduite de projets).
Il y avait un de ces Centres au sud de la ville et un au nord. L’OSCE créé les Centres, les finance quelques années, puis se retire progressivement pour aller vers une autogestion locale. EPB avait d’abord pris contact avec le département Démocratisation de l’OSCE, qui avait proposé qu’un volontaire EPB aille travailler au sein du Centre du sud de la ville (le contact avec l’OSCE avait été établi lors d’une mission exploratoire d’EPB effectuée l’année précédente). Ce Centre était animé par une femme bosniaque, très dynamique et ouverte sur le dialogue intercommunautaire, qui avait accepté avec enthousiasme de recevoir une volontaire internationale. J’étais la seule étrangère au sein de cette association. Il y avait une ou deux personnes salariées travaillant dans ce Centre (cela pouvait varier d’un mois sur l’autre en fonction des possibilités financières de l’association MINGOS qui gérait le Centre du sud de Mitrovica).
II. Difficultés d’intégration auprès des partenaires locaux
Sur les documents présentant ma mission, l’OSCE avait réparti mon temps de travail en terme de pourcentages : une partie dédiée au travail administratif, une partie au montage de projet, une partie à la reconstruction des liens entre le Centre du nord de la ville et celui du sud.
Or, une fois sur place, j’ai réalisé que rien n’était défini. La manager de l’association MINGOS qui m’accueillait ne comprenait pas bien l’objectif de ma mission. Elle me laissait toute liberté et n’attendait rien de spécial de moi. Les personnes qui passaient et sollicitaient les services du centre des ressources étaient des albanais qui ne parlaient pas anglais pour la plupart, donc je ne pouvais ni répondre au téléphone, ni faire de l’accueil, ni faire de tâches administratives (la langue de travail au sein du Centre était l’albanais). Toutefois, je passais beaucoup de temps à parler avec la manager du Centre, qui se sentait assez isolée dans sa structure, d’autant plus que l’OSCE retirait de plus en plus son soutien et que le centre traversait une crise financière. J’ai participé aux rencontres organisées à Pristina (ville principale du Kosovo) entre des différents centres de ressources des ONG répartis dans tout le territoire kosovar. Les rencontres avaient lieu au QG de l’OSCE. Je ne me sentais pas spécialement utile dans ces réunions, puisqu’au quotidien à Mitrovica je n’apportais rien à MINGOS. Le responsable du département Démocratisation de l’OSCE (un expatrié international), que j’ai croisé lors de ces réunions à Pristina, ne comprenait pas du tout la spécificité d’une mission ICP. Je ne crois pas qu’il ait cherché à comprendre ni la notion d’ICP ni les objectifs d’EPB. Je pense qu’il me voyait plutôt comme de la main d’œuvre volontaire pour les missions de l’OSCE. Ces réunions se passaient en anglais, j’avais plutôt l’impression d’être un intervenant international de plus dans le système des Nations Unies (système dont fait partie l’OCSE) qui est en charge de gérer l’administration du Kosovo.
III. Rôle de la volontaire et activités menées sur place
Mon rôle auprès de l’association qui m’accueillait était celui de soutien moral et d’écoute. Je pense aussi que le fait d’avoir un volontaire international au sein du Centre était perçu en soi comme une plus value, une sorte de garant du sérieux de la structure aux yeux de la population locale comme des associations locales. J’étais très mal à l’aise avec cet aspect des choses, d’une part car cela n’a jamais été dit clairement, ni à moi-même ni à EPB, et d’autre part car l’idée que la présence d’un international donne du crédit à une structure ou à un projet allait selon moi à l’encontre de la notion d’intervention civile de paix.
Par ailleurs, une grande partie de ma mission, en tout cas l’aspect qui était le plus proche des aspirations d’EPB, était de renforcer les liens avec la structure homologue du nord de la ville, dirigée par un membre de la communauté serbe. Le directeur m’a très vite fait comprendre que je n’étais pas la bienvenue dans son centre, et que je n’étais d’aucune utilité non plus au Centre du sud de la ville.
Ce directeur me disait que ce n’était pas à moi de proposer un dialogue intercommunautaire, et que même les associations serbes qui fréquentaient son Centre ne le pouvaient pas car les serbes qui étaient en faveur de la reconstruction d’un dialogue avec les albanais étaient considérés comme des traîtres par les membres de leur propre communauté. J’ai été glacée et déstabilisée par l’accueil de ce directeur. J’ai réalisé que je ne pourrais pas travailler avec lui car je ne pouvais pas lui imposer ma présence ni les objectifs d’EPB. J’ai donc cherché une nouvelle direction à ma mission. Cette hostilité m’a fait beaucoup réfléchir sur la légitimité de ma présence et de ma mission, et sur les possibilités de faire de l’intervention civile de paix dans un contexte comme celui de Mitrovica.
J’ai passé les premiers mois à faire connaissance avec les structures institutionnelles et associatives de Mitrovica, et avec les partenaires qui avaient été ceux de la mission précédente d’EPB, en essayant de voir de quelle manière je pouvais me rendre utile et trouver une place en tant qu’intervenante civile de paix, car je n’arrivais pas à trouver cette place au sein du centre de ressources des ONG où j’avais été envoyée.
J’ai vécu ce début de mission comme une mission exploratoire, alors que j’étais partie pour une mission que je croyais relativement définie quant à son contenu.
Dans ce travail de tâtonnement, j’ai été épaulée par l’équipe d’EPB restée en France, sur le plan de la réflexion. Nous avons eu de nombreux échanges par mail où je les interpellais sur le flou total dans lequel j’étais par rapport à ma mission et d’une manière plus générale par rapport aux objectifs d’EPB. Je me demandais si la spécificité d’EPB était réelle et dans quelle mesure elle nécessitait l’existence d’une ONG à part entière. Qui plus est une ONG sans moyens, ni financiers ni humains, sans infrastructure : en gros, on n’avais pas de bureau, pas de générateur donc pas toujours d’électricité, pas de voiture, pas d’équipes, pas d’argent pour financer des projets, alors que les autres ONG, en tout cas les ONG internationales, bénéficiaient de tout cela.
Les membres d’EPB découvraient en même temps que moi les difficultés auxquelles j’étais confrontée, car eux non plus n’avaient pas mesuré, je pense, le décalage entre le projet tel qu’il avait été élaboré en France et la réalité du terrain qui était tout autre. C’était très difficile de leur faire partager mon quotidien, malgré leur soutien bienveillant. Et pourtant, les fondateurs d’EPB faisaient un passage à Mitrovica une à deux fois par an depuis une dizaine d’année. Le pire, c’est que mes journées étaient très remplies, puisque tout prend énormément de temps et que les associations locales, en tout cas albanaises, me sollicitaient beaucoup pour aller les rencontrer ou assister à tel ou tel événement. Ainsi, de pannes d’électricité en pannes de réseau téléphonique, mes quatre premiers mois de missions ont passé très vite.
J’ai aussi participé à des activités annexes. J’ai été observateur des élections municipales du Kosovo pour l’OSCE, en octobre 2002. Cela a été pour moi une expérience très enrichissante. J’ai découvert des villages albanais du Kosovo, cela m’a permis de garder en tête que la situation de Mitrovica était très particulière et pas forcément représentative du Kosovo puisque c’est la seule ville coupée en 2 et où la force militaire est aussi présente.
Par ailleurs, j’ai participé à une formation à la médiation pour des jeunes kosovars au Monténégro quelques semaines après mon arrivée. J’ai recruté des participants pour une seconde formation à la médiation qui a eu lieu l’été suivant au Monténégro. J’ai organisé le transport à partir du Kosovo pour la vingtaine de participants de cette session. Cette année là, contrairement à l’été précédent, les participants serbes et albanais ont accepté de voyager dans le même bus, ce qui a simplifié les choses en terme de logistique mais était quelque chose d’inédit depuis la guerre. Tous les participants avaient rendez-vous devant le bus garé en zone de confiance à coté du pont qui sépare la ville. Certains étaient indécis jusqu’au moment du départ. Quelques-uns ont annulé au dernier moment. Nous avons passé les frontières du Kosovo de nuit. Je me souviens qu’une des participantes est venue m’annoncer, au moment du contrôle par les douaniers, qu’en fait elle n’était pas majeure… Finalement tout s’est bien passé, et les participants étaient satisfaits de cette expérience. Je suis restée en lien avec un certain nombre d’entre eux. Ils avaient pour projet, à l’issue de la formation, de créer leur propre association locale de médiation. Ce projet a mûri et a abouti à la création de MCM (Mediation Center Mitrovica), qui est devenu partenaire d’EPB.
J’ai aussi participé à des projets qui n’ont pas abouti. Par exemple, il avait été envisagé de faire une projection de films français avec l’association Franco kosovo (au sud de la ville), à l’aide du matériel mis à disposition par l’Espace Culturel Français. Mais le projet n’a pas abouti pour différentes raisons : peu de personnes intéressées au sein de l’association Franco kosovo, des coupures d’électricité anarchiques qui nous obligeaient à interrompre ou annuler les projections.
D’autre part, l’OSCE de Mitrovica m’avait proposé d’être garant d’un projet qui serait mis en œuvre par une association locale. Il s’agissait de dispenser des cours de soutien scolaire pour des enfants de la communauté Ashkalis de Mitrovica sud (ce sont des membres de la communauté Rom qui sont restés au sud de la ville après la guerre, la majorité de la communauté Rom ayant migré au nord de la ville). Mon rôle devait être de contrôler l’usage qui était fait des fonds octroyés par l’OSCE à cette association locale. Cette façon de faire était perçue par l’association locale comme un manque de confiance de l’OSCE à leur égard. L’association locale ayant été dissoute, le projet a été annulé. Pourtant le matériel scolaire avait déjà été acheté…
De manière générale, je trouvais un grand soutien moral sur le terrain auprès d’une volontaire française d’une autre ONG (Sport Sans Frontière – SSF) arrivée en même temps que moi à Mitrovica et vivant dans les mêmes conditions matérielles. Nous avons pris un appartement en commun, où nous avons été rejointes par de nouveaux volontaires de SSF par la suite.
Mais ces échanges ne m’aidaient pas vraiment à y voir plus clair dans ma mission, car cette autre ONG fonctionnait sur un modèle plus classique d’ONG dont l’objectif est la réalisation d’actions en tant que telles.
En revanche, je pouvais parler du contenu et de l’objectif de ma mission avec un partenaire français d’EPB installé dans une ville du Kosovo, à Gjilan, depuis plusieurs années. Celui-ci avait été membre du MAN et avait créé l’ADL (Agence de la Démocratie Locale), structure locale de développement de la société civile. Il connaissait personnellement les fondateurs d’EPB.
Commentario
Il y une grande difficulté pour une petite association de mettre en place des missions d’intervention civile de paix, les raisons sont diverses : un manque de connaissance sur le thème de l’intervention civile et également un manque d’infrastructures qui rend plus difficile la mise en place des projets.
Notas
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Auteur de la fiche : Marie-Eve Rialland, volontaire de paix. Témoignage recueilli lors de la rencontre de volontaires de paix organisée par le Mouvement pour une Alternative Non-violente.