Fiche d’expérience Dossier : Principes et pratiques de l’action non violente

Alternatives on-violentes, Rouen2007-03

Faucheurs volontaires et désobéissance civile

Où en sont les Faucheurs volontaires ? Comment considèrent-ils la désobéissance civile en non-violence ? L’auteur répond ici avec clarté et perspicacité.

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Engagée dans la Communauté de l’Arche de Lanza del Vasto depuis 30 ans, coordinatrice de la CANVA (Coordination de l’Action Non-Violente de l’Arche) depuis sept ans, je vis depuis quelque temps, avec beaucoup de passion, l’aventure des « Faucheurs volontaires ». Car il s’agit bien d’une aventure, démarrée au rassemblement d’été 2003 sur le Larzac « Un autre monde est possible », et poursuivie tenacement jusqu’à aujourd’hui par 6.000 personnes environ, opposées aux cultures de plantes génétiquement modifiées en plein champ, cultures qui mettent en sérieux danger les autres types de cultures (traditionnelle et biologique), le droit des paysans à l’appropriation de leur récolte pour les semailles, et notre santé : arrogance et désir illimité de pouvoir de la part d’une poignée de multinationales qui deviendraient, au nom du « progrès » et de la « recherche », les maîtres des ressources agricoles et de notre subsistance. L’action des Faucheurs se poursuit, elle est loin d’être terminée.

Aucun d’entre nous ne peut dire où cette aventure nous mènera. Mais ce qui est sûr, c’est que plusieurs d’entre nous ont déjà connu les gardes à vues, les interrogatoires, les tribunaux, les condamnations et tout le grand jeu..

La lutte des Faucheurs volontaires est une campagne de désobéissance civile/civique et, en tant que telle, collective, à visage découvert et non-violente. Ah !…voilà lâché le mot : « non-violente ». Combien de fois ai-je vu surgir un petit sourire sarcastique et un haussement de sourcils sur le visage des gendarmes qui m’ont interrogée, du juge qui m’a auditionnée, des personnes avec qui j’ai l’occasion de partager ce que je vis, ce en quoi je crois, au son même du mot « non-violence » : « Vous croyez qu’arracher du maïs chez des paysans est un acte non-violent ? Pénétrer sur une propriété privée, détruire le travail d’un autre, empêcher le droit de faire ce qu’on veut chez soi, c’est de la non-violence ? » Heureux les purs de cœur… qui s’imaginent encore aujourd’hui en 2007 que « non-violence » signifie ne rien faire, ne rien dire, et laisser que ça se passe, en rêvant à des temps meilleurs. L’action non-violente exige le recours à des moyens constructifs et défensifs, ainsi qu’une bonne dose d’une bonne de combativité. Et d’ailleurs, dans cette histoire, où se situe la violence première ?

I. L’objectif de l’action

Si l’action non-violente vise au changement de conscience chez l’adversaire sans porter atteinte à sa dignité, son intégrité ni à ses biens, il s’agit quand même de le contraindre en le privant des moyens dont il a besoin pour mener à bien son projet. Gandhi était très clair à ce sujet, lequel n’hésita pas à brûler les tissus anglais pendant la campagne en faveur du « kadhi » indien.

Quand les arguments ne sont pas entendus, quand il y a un vide juridique, quand il y a absence de recours démocratique, quand la loi n’est pas ajustée à l’injustice, quand le bien de quelques-uns écrase le bien commun, oui, nous avons le droit de résister et de « contraindre ». Et c’est certainement grâce aussi aux Faucheurs volontaires, à leurs actions et aux nombreux procès qu’ils vivent, qu’une bonne partie de la population française dit « non ! » aux OGM dans les champs et dans les assiettes.

Les Faucheurs volontaires, par leur action, veulent ainsi interpeller la conscience des dirigeants et des concitoyens, attirer la conscience des législateurs sur les besoins impératifs d’un changement de la loi, leur dire « Halte là ! La légalité n’est plus légitime ! ». Ils n’en tirent aucun bénéfice personnel, aucun profit, ils se limitent à « neutraliser » l’objet au centre du conflit en se situant en « état de nécessité », ils acceptent les risques, les conséquences et les peines, montrant qu’ils reconnaissent la valeur de la loi.

II. Les différences : richesse ou difficultés ?

Le mouvement des Faucheurs volontaires est composé par des personnes de tout âge, de tout milieu, par des élus, des étudiants, des enseignants, des ouvriers, des retraités… et des paysans qui se battent pour la survie de leurs terres. Toutes ces personnes ont répondu à l’appel avec une grande générosité, beaucoup de courage et un maximum de bonne volonté, profondément convaincues du bien fondé de la cause, se rendant disponibles en tout temps aux actions, aux procès, au soutien, se sentant solidaires les unes des autres d’une façon qu il n’est pas souvent donné à voir aujourd’hui. Tout au long des rencontres sur le terrain, on se reconnaît, des liens se tissent, on rentre un petit peu plus dans l’histoire de l’autre ; des messages ou des lettres s’échangent, une confiance s’installe, les réunions et retrouvailles se transforment parfois en fêtes.

Réunir tant de gens différents pour un même objectif tient un peu du défi. Et d’ailleurs, dans la préparation d’actions non-violentes dans d’autres cadres, la question « on reste entre nous ou on ouvre ? » revient souvent, avec nos préoccupations sur la mise en place d’une bonne stratégie pour le bon déroulement des évènements. La peur d’être débordé, la peur de l’inconnu, la peur de ceux qui ne sont pas comme nous, la peur des réactions de l’autre… créent des résistances qui nous empêchent parfois, bien que fondamentalement tendus vers le même objectif, d’unir nos forces. En démarrant l’action des Faucheurs volontaires, ensemble, nous avons relevé ce défit.

Oui, bien sûr, les images à la télé d’un champ complètement ravagé, comme après une tornade, ne sont pas du plus bel effet. Oui, bien sûr, les actions n’ont pas toujours été parfaitement préparées, l’enthousiasme, l’élan, la rage au ventre et les peurs ont pris quelques fois le dessus sur les règles de la stratégie non-violente… Oui, bien sûr, bien qu’ayant souscrit un engagement de se maintenir dans la cadre d’une action non-violente, il n’est pas donné à tout le monde d’être au courant des critères fondamentaux de la non-violence : dissocier l’objet du conflit des personnes impliquées, respecter l’adversaire, refuser de le diaboliser, rechercher le dialogue… et donc de mettre tout cela en pratique.

Oui, bien sûr, il y a eu des fauchages de nuit non-revendiqués, des fauchages lancés à la hâte, des attitudes et des jugements qui n’ont pas lieu d’être, d’inadéquates réponses aux provocations, des manques, des dérapages. Et parfois le souci de l’efficacité l’a emporté sur le temps de la réflexion. Oui, bien sûr, quelques fois des actions été une pagaille.

Nous devons nous poser la question : la stratégie choisie est-elle toujours la bonne ? Suivons-nous le bon chemin ? Nous devons prendre le temps d’un examen, d’un bilan, vérifier si d’autres stratégies sont possibles. Le mouvement des Faucheurs volontaires n’a pas refusé d’inter-agir avec la justice, d’utiliser les armes légales pour faire condamner Monsanto et Meristem Thérapeutique pour des essais d’OGM illégaux. D’autres actions sont probablement possibles.

Et il y a eu aussi beaucoup de courage face aux coups, aux lacrymogènes, aux grenades offensives et assourdissantes dans les champs, face aux pressions et aux intimidations, face aux tribunaux, face aux gendarmes en gilet pare-balles qui viennent vous chercher à 6 heures du matin et auxquels vous offrez un café…

IV. La non-violence : chose simple mais subtile

« La non-violence, disait Lanza del Vasto, est chose simple mais subtile. S’il est si difficile de l’appliquer, même de la saisir, c’est qu’elle est tout à fait étrangère aux habitudes communes. » Et Aldo Capitini, fondateur du Mouvement Non-Violent en Italie d’affirmer que « La non-violence est une manière de faire qui découle d’une manière d’être. » La subtilité va ainsi de pair avec l’être. La non-violence est un art de vivre. Et, comme pour la vie, elle a un point de départ et, si on lui en donne la possibilité, elle grandit et s’épanouit au long du temps, des connaissances, des souffrances, des expériences. Ne lui rognons pas les ailes…. Personne ne peut s’en définir le maître et le propriétaire.

Oui, effectivement, le mouvement des Faucheurs prend des risques : une auto-organisation, pas de chef, pas de référent, surtout pas « d’idéologie non-violente ». Personne n’en veut. Mais, au fil du temps, les Faucheurs découvrent avec un immense intérêt ce que Gandhi appelait « l’arme des pauvres », l’action non-violente, et ils sont en preneurs ! Ils veulent s’y former. Ils veulent comprendre comment marche cette arme citoyenne qui leur donne la possibilité de dire « non ! » dans une société qui les prive de plus en plus de moyens d’exprimer leur désaccord. Les Faucheurs savent qu’ils sont en train de ramer à contre-courant, mais ils veulent apprendre, dans les formations comme sur le terrain, pour s’approprier la non-violence active pour en faire le moyen privilégié de leur lutte. Ils sont conscients que cette découverte n’est pas banale et, qu’à travers elle, ils récupèrent un pouvoir pour la gouvernance de leur vie. N’y voyez-vous pas une certaine ressemblance avec ce qui s’est passé sur le Larzac dans les années 70-80 ?

Déjà des prises de conscience importantes se sont faites depuis le début de ces trois années de lutte : des formations à l’action non-violente ont été demandées et ont eu lieu, et il y en aura d’autres. Des dédommagements aux paysans chez qui nous avons fauché ont été proposés et mis en pratique ; des réflexions sur différents types d’actions sont en cours, peut-être pouvons-nous aussi espérer l’acceptation d’une amorce de dialogue avec des paysans convaincus des bienfaits des OGM.}} Ma « Lettre aux paysans » a été publiée dans « Campagnes Solidaires », mensuel de la Confédération Paysanne. Petit à petit perce une vue plus « globale » de la non-violence.

« Vous devez vous préparer à la non-violence, disait souvent Lanza del Vasto. Tout le monde sait que, pour faire la guerre, il faut des années de préparation. Et de plus, une préparation à cette préparation, depuis l’enfance, dans la famille et dans l’école. Double travail : il faut non seulement apprendre une nouvelle manière, mais désapprendre l’ancienne qui nous a été inculquée et dont le modèle s’impose chaque jour par tout ce qui nous entoure. Il faut s’y exercer assidûment, sans épargner sa fatigue. » (Lanza del Vasto dans Techniques de la non-violence)

Soyons attentifs, persévérants, confiants. Et réjouissons-nous !

Lettre ouverte aux paysans chez qui j’ai fauché du maïs génétiquement modifié cet été.

Anna MASSINA

Chers ami(e)s,

Je vous appelle mes ami(e)s car vous n’êtes pas mes ennemi(e)s, je ne vous ai jamais considérés comme tels même si je désapprouve le fait que vous cultiviez sur vos terres des organismes génétiquement modifiés.

Je désapprouve vos cultures génétiquement modifiées sans pour autant condamner votre travail, vos efforts de tous les jours, l’amour que vous portez à votre terre, vos soucis économiques et familiaux.

Je ne me sens pas de juger les raisons qui font que vous ayez choisi de mettre au service d’une multinationale agrochimique vos champs, vos forces, votre intelligence.. Je ne suis pas contre vous. Je vous respecte.

Et je continue d’apprécier et d’admirer le métier de paysan, qui est l’un des plus beaux du monde, qui est celui qui a la charge de nourrir le monde, qui, entre tous les métiers, a la charge de prendre soin de la Création.

Vous avez fait vos choix, en semant et en cultivant des OGM, et moi j’ai fait les miens.

Cet été je suis venue chez vous, sans être invitée, je le reconnais. Je suis venue chez vous, j’ai pénétré avec d’autres dans vos champs, j’ai piétiné votre terre et j’ai arraché votre maïs, qui était déjà bien haut et bien avancé.

En l’arrachant j’ai pensé à vous, aux soins que vous lui avez apportés, aux heures de labeur… Jamais mais à aucun moment de ces journées là, je n’étais contre vous. Je pensais à vous et je me demandais : « Pourquoi ils ne sont pas là ? Est-ce qu’ils nous voient ? Est-ce qu’ils ont peur de nous ? Qu’est-ce qu’ils vont penser de nous ? ». Je vous voyais revenir sur le champ après notre passage pour constater le désastre. Quels sentiments aviez-vous à notre égard, à ce moment là ? Avons-nous été à vos yeux une horde de sauvages assoiffés de vengeance ? Des irresponsables ? Avez-vous ressenti l’injustice de l’acte gratuit, du vandalisme, du viol de votre terre ?

J’ai eu mal pour vous. Je me suis demandé si vous pourrez, un jour, nous pardonner.

Mais les raisons qui m’ont poussé à arracher votre maïs OGM étaient plus fortes que mes considérations : dans cette question qui m’oppose à vous, les plants OGM en plein champs bien sûr, il y a quelque chose qui touche à la vie et à la mort, à la vie et à la mort des cultures traditionnelles et biologiques, de la biodiversité, à la vie et à la mort dans notre nourriture et pour notre santé, à la vie et à la mort de milliers de paysans, surtout les plus pauvres, dépendants des semences et des semenciers, à la vie et à la mort par l’appropriation du vivant au moyen de brevets par des groupes commerciaux qui deviendraient « les maîtres de la semence et de la vie organique ». La vie et la mort entre les mains d’un seul pouvoir. Quelle arrogance insupportable ! Quel poids pour ma conscience, si je baissais les bras !

Vous n’êtes pas mes ennemis, et je crois dans la vie. Je me bats pour que la vie gagne, toujours. J’ai des enfants et des petits enfants, je me bats pour leur vie, aussi. Et, pour le moment, les plants OGM dans vos champs, sembleraient plutôt nous pousser vers une certaine mort. Je me dois de me battre, je vous dois de me battre.

Je sais avoir enfreint la loi, j’en assume la responsabilité. J’assume aussi la responsabilité d’être arrivée chez vous comme une voleuse. Mais si c’était à refaire, je le referais. Cependant, je pense depuis longtemps vous écrire ces quelques mots pour lancer un pont entre vous et moi.

Veuillez croire à ma sincérité.

Commentaire

Le défi interne principal auquel font face les faucheurs est d’agir tout en respectant des principes de non-violence. L’hétérogénéité du groupe et le fauchage en soi rendent difficile la canalisation du mouvement et le contrôle de la totalité de leurs actions. Mais ces difficultés n’annulent pas la volonté des faucheurs d’établir un dialogue.

Notes

  • Auteur de la fiche : Anna Massina fait partie du Collectif « Faucheurs volontaires »

  • Coordonnées : Collectif des Faucheurs volontaires, 4 place Lucien Grégoire, 12100 Millau ; Tel. 05.65.59.14.36 ; Site Internet : www.monde-solidaire.org