Ficha de experiencia Dossier : Principes et pratiques de l’action non violente

Alternatives non-violentes, Rouen, septiembre 2004

La marche du sel

Le 6 avril 1030, Gandhi, au bord de la mer, recueille un peu de sel dans sa main. Pourquoi ce geste de désobéissance civile a-t-il eu une portée décisive dans le processus de la libération de l’Inde ?

Keywords: Teoría de la no violencia | Educación a la acción no violenta | Resolución no violenta de los conflictos | Gandhi

Après 15 années de luttes non-violentes contre la discrimination raciale en Afrique du Sud, Mohandas Gandhi, auréolé de son succès, revient en Inde en janvier 1915. Il fait le tour de son pays, fonde un ashram, prend la rédaction de deux journaux et entreprend des luttes pour la dignité et contre l’aliénation des Indiens :

  • Hartâl (grève générale d’un jour) contre la législation répressive du Rowlatt Act en 1919 ;

  • Campagne de non-coopération et notamment boycott des tissus étrangers ;

  • Organisation du filage et du tissage à la main en 1920 ;

  • Campagne de refus de payer l’impôt aux Britanniques en 1922 ;

  • Jeûne de 21 jours pour la réconciliation des hindous et des musulmans ;

  • Lancement en 1929 d’un programme constructif (reconstruction des villages, justice dans les rapports sociaux, amélioration du statut de la femme, prohibition de l’alcool et de l’opium).

Le 15 février 1930, Gandhi annonce à ses compagnons du Congrès, le parti indépendantiste, qu’il a choisi comme objectif de la campagne de désobéissance civile l’abrogation de la loi qui les contraint à payer un impôt sur le sel. C’était alors un délit de fabriquer du sel, d’en posséder, de le vendre, de l’acheter, de le colporter, et même d’emporter du sel naturel déposé sur une plage. Le sel étant une denrée vitale, à la fois condiment du pauvre, aliment du bétail, ingrédient en culture et dans de nombreuses fabrications, conservateur d’aliments, cet impôt est « la taxe la plus inhumaine que l’ingéniosité de l’homme puisse imaginer ».

Gandhi donne 19 consignes précises et rigoureuses de discipline aux militants, en tant qu’individus, en tant que prisonniers, en tant que membres d’un groupe, et dans les relations entre communautés hindoues et musulmanes. Le 2 mars, il adresse une lettre d’ultimatum au vice-roi, Lord Irwin, dans laquelle il écrit notamment « Face à des arguments convaincants ou pas, la Grande Bretagne défendra son commerce et ses intérêts en utilisant toutes les forces dont elle dispose. L’Inde, par conséquent, doit accumuler une force suffisante pour qu’elle puisse se libérer elle-même de l’étreinte de la mort. »

Le choix de Gandhi est particulièrement judicieux, car cette action est agressive, simple, tentante (saler gratuitement le repas du paysan), elle est un geste de défi à la mesure de millions de pauvres, un geste qu’un sens du merveilleux et de la politique change en épopée. Le 11 mars, « Bapu » adresse une harangue à ses compagnons : « Nous ne cesserons pas notre lutte jusqu’à ce que l’indépendance soit établie en Inde. »

Le 12 mars 1930 au matin, Gandhi, âgé de 61 ans, quitte la ville d’Ahmedabad à la tête de 79 compagnons. Ils se proposent d’atteindre à pied le village de Dandi situé au bord de l’Océan Indien, à 380 kilomètres de distance. La presse internationale couvre l’événement. Tout au long de cette marche, « le Mahatma » (la grande âme) prêche aux Indiens le devoir de déloyauté à l’égard du régime colonial qui asservit leur nation. Le 6 avril, après 25 jours de marche et de meetings, Gandhi ramasse sur la plage un peu de sel oublié par les vagues. À partir de cet instant, il devient un rebelle à l’empire britannique. Il lance alors le mot d’ordre de la désobéissance civile à tous les Indiens. Le 9 avril, il affirme dans un message à la nation : « Aujourd’hui, tout l’honneur de l’Inde est symbolisé par une poignée de sel dans la main des résistants non-violents. Le poing qui tient ce sel pourra être brisé, mais ce sel ne sera pas rendu volontairement. »

C’est le signal attendu d’une véritable insurrection pacifique qui va subvertir l’Inde toute entière. Des millions d’Indiens font bouillir de l’eau salée. Nehru, Président du Congrès, est condamné à six mois de prison pour infraction à la loi sur le sel. Gandhi organise parallèlement le boycott des magasins d’alcool ou de tissus étrangers. Le 4 mai, il écrit au vice-roi son intention de s’approprier les usines et dépôts de sel de Dharasana, mais il est arrêté la nuit suivante et incarcéré à la prison de Yeravda. Cette arrestation destinée à briser le mouvement de résistance ne fait évidemment que le renforcer… Des raids, brutalement réprimés, sont organisés contre les dépôts de sel de Wadala et de Dharasana. Des milliers d’Indiens descendent dans la rue, affrontent les charges policières, subissent la confiscation de leurs biens. Les prisons sont bientôt surpeuplées de plus de 60 000 rebelles. En octobre 1930, le Congrès décide la grève des impôts.

Le 17 février 1931, alors qu’il vient d’être libéré après une incarcération de plus de huit mois, Gandhi rencontre le Vice-roi pour négocier avec lui l’arrêt de la campagne et les droits des Indiens. Churchill, à sa manière, ne se trompe pas sur la portée historique de l’événement : « C’est un spectacle effrayant et nauséabond de voir Monsieur Gandhi, cet avocat séditieux qui joue maintenant au fakir, gravir à moitié nu les marches du palais du vice-roi pour parlementer d’égal à égal avec le représentant de l’empereur, alors qu’il continue à nous défier en organisant et en conduisant une campagne de désobéissance civile. » Dès ce jour, la reconnaissance de l’Indépendance de l’Inde est inscrite dans l’histoire. Le pacte de Delhi est signé le 5 mars 1931, après une campagne de lutte de douze mois, mais l’ampleur des concessions auxquelles a consenti Gandhi réduit la portée de sa victoire.

La lutte reprendra en 1932 après le voyage de Gandhi en Europe et sa participation à Londres à la Conférence de la Table Ronde, où il n’a rien cédé, mais rien obtenu. Il faudra encore de longues années de lutte pour que l’indépendance soit définitivement acquise le 15 août 1947. Durant cette période et jusqu’à son assassinat le 30 janvier 1948, le Mahatma luttera et jeûnera à mort à plusieurs reprises contre l’intouchabilité et contre le fanatisme religieux qui a entraîné la partition de l’Inde et du Pakistan.

La marche du sel nous fait comprendre quels sont les enjeux à la fois spirituels et politiques de la non-violence qui inspira toute la vie de Gandhi. La non-violence, enracinée dans les traditions spirituelles de l’Inde et dans celles d’autres peuples, nous apparaît alors non plus comme une utopie, mais comme une voie de sagesse et une méthode d’action politique qui pourrait permettre aux hommes de relever les défis de notre temps.

Comme l’écrit Jean-Marie Muller, « il y a sans doute un avant et un après Gandhi, à la fois dans la réflexion philosophique sur l’exigence de non-violence qui fonde l’humanité de l’homme et dans l’expérimentation de la stratégie de l’action non-violente qui permet la résolution pacifique des conflits ».

Étienne GODINOT (*)

Commentario

A travers l’exemple de la marche du sel nous pouvons comprendre quels sont les enjeux à la fois spirituels et politiques de la non-violence qui ont inspiré toute la vie de Gandhi et qui sont devenus aujourd’hui un modèle pour la pratique de la non-violence face aux défis de notre temps.

Notas

  • Pour connaître en détail l’histoire et l’analyse de cette campagne, se reporter :

    • au livre de Dominique Lapierre et Larry Collins, Cette nuit la liberté, Éd. Robert Laffont, 1975;

    • au livre de Jean-Marie Muller, Gandhi l’insurgé. L’épopée de la marche du sel. Préface de Bernard Clavel. Éd. Albin Michel, 1997.

    • au film de Richard Attenborough, Gandhi, 1983.

  • (*) Membre de l’Institut de recherche sur la Résolution Non-violente des Conflits (IRNC).