Fiche d’expérience

, Grenoble, août 2006

Les routes de la paix

La paix et la Mission 2000 en France.

Mots clefs : Elaboration et utilisation du symbolique | Culture de paix | Mémoire et paix | Elaborer ensemble la mémoire et l’histoire | Europe

Origines et description de la Mission 2000 en France

La Mission 2000 en France a été créée afin de mettre en œuvre les manifestations devant marquer et accompagner le passage à l’an 2000 et au nouveau millénaire. Elle a d’emblée fait un double choix, celui de la décentralisation et celui de la réflexion. Son programme intéressait en effet l’ensemble du territoire national : il s’attachait à cerner les enjeux et à faire apparaître les solutions que les uns et les autres dessineront quant à la figure du monde dans lequel vivront les prochaines générations. Ce programme regroupait plus d’une centaine de manifestations réparties dans toute la France, qui faisaient appel aux différentes formes d’expressions artistiques :

  • spectacles ;

  • expositions ;

  • arts plastiques ;

  • musique…

La définition d’une culture qui réponde à notre avenir...

Le point commun de ces manifestations était de chercher à prendre la mesure du monde global qui constitue désormais notre horizon, à travers le dialogue, l’échange et l’ouverture aux autres cultures. Dans sa volonté d’œuvrer à la définition d’une culture qui réponde à cet avenir, et après avoir d’abord exploré de nombreuses hypothèses de manifestations se référant à la paix - dans le cadre d’une ébauche budgétaire initiale très ambitieuse, le budget définitif ayant été ramené à des dimensions plus modestes - elle s’est naturellement reconnue dans la campagne « Cultivons la Paix », lancée par l’UNESCO pour l’année 2000, à laquelle elle a souhaité faire écho dans son programme. Pour ce faire, elle a fédéré différentes institutions consacrant leurs activités à la culture de la paix. Celles-ci, à travers le programme intitulé « Les Routes de la Paix », devaient s’unir tout au long de l’année pour proposer l’animation d’un cheminement symbolique qui relie les hommes, passage progressif de la culture de guerre à la culture de paix. Avec le Mur de la Paix proposé par le peintre Clara Halter sur une structure de base en verre et acier conçue par Jean-Michel Wilmotte, la Mission a lancé un appel au monde entier pour rejoindre ces Routes. Chaque visiteur du Mur de la paix recevait une gravure sur papier portant le mot « paix » inscrit dans différents alphabets, message qu’il pouvait déposer dans un interstice du Mur, emportant en contrepartie, celui laissé par une personne précédente. Parallèlement, s’inscrivaient sur des écrans des messages envoyés du monde entier par le réseau internet.

La matérialisation des "Routes de la Paix"

La matérialisation de ces « Routes de la Paix » a pris la forme d’une carte de France, au millionième, éditée à des dizaines de milliers d’exemplaires pour qu’ils soient distribués notamment dans les bureaux et offices de tourisme concernés. Sur la carte figuraient seize sites correspondant aux institutions que la Mission avait décidé de retenir, ce qui permettait de tracer un itinéraire passant par Paris, Saint-Omer, Souchez, Péronne, Compiègne, Caen, Verdun, Fougères, Nantes, Besançon, Maillé, Oradour-sur-Glane, Lyon, Izieu, Grenoble. Etait également reproduite la liste des manifestations les plus diverses et les plus originales qui devaient mettre en œuvre le mot d’ordre « Cultivons la Paix » tout au long de l’année 2000 : depuis des expositions (sur des « Images de guerre, Images de paix », l’Edit de Nantes, les cartes postales de la Grande Guerre, la transformation des tapis afghans, des polytechniciens dans la Résistance, etc.), jusqu’à l’organisation d’événements (accueils de jeunes de différents continents, marches, courses et festivals pour la paix, etc. ) en passant par des colloques, conférences et animations commémoratives. Au dos de la carte, chaque lieu faisait l’objet d’une description de sa vocation et de ses principales activités.

La route effectivement tracée sur le territoire français pour traduire le « cheminement » de la culture de la paix, constituait une sorte de photographie instantanée, un état des lieux des raisons d’agir dans ce contexte mêlant le souvenir et la préparation de l’avenir : sur 16 sites, 11 étaient dédiés à la mémoire ou à l’évocation des événements de la première ou de la seconde guerre mondiale, 5 étaient clairement orientés vers la prévention explicite des conflits, la promotion des droits de l’Homme, une éducation spécifique à la paix. Le premier groupe, le plus important, se rattachait plutôt au texte du ministère de la Défense, figurant sur la carte, et qui soulignait, notamment, l’importance du « devoir de transmission de la mémoire aux jeunes générations qui sont les bâtisseurs de la nation de demain » et la promotion « de la notion de citoyenneté et des valeurs républicaines ». Le second, les moins nombreux, se référait plutôt au texte de l’UNESCO, figurant aussi sur la carte, et qui présentait le « Manifeste 2000 » lancé dans le cadre de l’An 2000 proclamé « Année internationale de la culture de la paix » par les Nations Unies dans le but de favoriser une culture de la non-violence, de la tolérance et de la solidarité.

Un ensemble révélateur de la réflexion sur cette culture de la paix

Elle traduisait ainsi la nature du débat qui s’était tenu pour aboutir à ce tracé et l’ensemble s’est avéré très révélateur de l’état de la réflexion sur la perception et le développement de cette culture de la paix. Dès l’origine, lorsque la proposition a été faite d’établir une telle carte, les premières idées de site montrèrent que ce qui venait le plus directement à l’esprit se référait à l’histoire guerrière particulièrement dense de notre pays, notamment dans sa relation avec un ennemi extérieur ; ce qui focalisait l’attention sur les champs de bataille des frontières nord-est, ou vers les faits d’armes ou les drames de la Résistance. Il fut un peu plus difficile de faire admettre la présence sur un tel itinéraire d’institutions qui ne se réclamaient pas explicitement de cet héritage (cf. l’Ecole de la paix de Grenoble, la Maison des Citoyens du Monde de Nantes, etc.). Il le fut bien d’avantage lorsque les propositions tentèrent d’ouvrir plus largement l’éventail de la culture de la paix. C’est ainsi que la ville de Toulouse, que l’on suggérait de distinguer pour son image désormais fortement marquée par son activité aéronautique et son rôle dans le développement des transports aériens, des communications par conséquent, ne fut pas retenue. Pas davantage ne le fut la ville de Marseille que nous avions recommandée pour l’activité de son port favorisant depuis ses origines la rencontre des cultures et pour son caractère « d’escale du monde ». Dans les deux cas, il aurait fallu que, localement, une institution se mobilise tout spécialement pour promouvoir une telle image, mais il est juste de rappeler que la volonté de s’aventurer sur ce terrain était peu prononcée au niveau national de la Mission et que l’imaginaire au service de la paix n’y brillait pas particulièrement. Preuve en est la remarque que nous nous attirâmes, dans une réunion préparatoire à l’UNESCO, de la part du secrétaire général de cette mission gouvernementale, haut fonctionnaire de la République, à propos des contours d’un projet dessinant, en quelque sorte, celui de la paix : « Vous n’allez tout de même pas parler de chômage ! » Pour parodier une formule fameuse, nous avions perdu une bataille mais pas … la paix. Quelles qu’elles soient, ces routes de la paix devront être empruntées, prolongées, élargies et toujours mieux balisées pour que gagne finalement la culture de la paix.