Fiche d’expérience Dossier : Du désarmement à la sécurité collective

, Grenoble, France, janvier 1997

Une reconversion inattendue ou comment des missiles soviétiques propulsent des vélos américains

Mots clefs : Gouvernement des Etats-Unis | Reconvertir les armements | Etats-Unis

Les transformations qui ont secoué l’univers géopolitique de la guerre froide produisent parfois des résultats surprenants. Tel est le cas de ce petit industriel américain qui fabrique des vélos avec des matériaux développés par les Soviétiques pour la construction de missiles.

L’industrie du cycle connaît une révolution depuis une quinzaine d’année, révolution provoquée en grande partie par les Californiens qui lancèrent la mode du « Mountain Bike » ou vélo tout terrain (VTT). Avec les VTT, c’est toute l’industrie qui s’est transformée. Les vélos de compétition, pour le tout terrain ou pour la route, ont considérablement évolué au cours des dernières années avec de nouvelles inventions comme les pédales automatiques, les roues à bâtons ou les fourches à suspensions que l’ont a pu observer dans l’épreuve classique Paris-Roubaix. Avec les nouvelles recherches dans le domaine de l’aérodynamique la forme des vélos a elle aussi énormément changé (pour les épreuves chronométrées). Cette évolution a entraîné avec elle un progrès sensible au niveau des matériaux utilisés, particulièrement pour les cadres et les roues. Aussi bien en Europe qu’aux États-Unis les fabricants ont fait des recherches très poussées dans ce domaine et les cadres traditionnels en aciers font désormais place aux cadres en aluminium, fibre de carbone, titane et autres alliages qui permettent de réaliser un excellent rapport rigidité/légèreté.

Les fabricants américains ont très bien su exploiter la technologie militaire et aérospatiale pour s’implanter sur un marché dominé auparavant par les Européens, en particulier Italiens, comme le légendaire Ernesto Colnago. La société Kestrel a été fondée par un ancien ingénieur de Lockheed qui utilise des matériaux qu’il employait auparavant pour construire les avions B-2. Specialized, l’un des géants de l’industrie du cycle américaine, exploite la technologie militaire pour fabriquer ses cadres en aluminium.

L’un des derniers fabricants de cycles à s’être tourné vers la technologie militaire est Chris Hinshaw, fondateur de Beyond Beryllium Fabrications. Hinshaw utilise un alliage dont le secret était jalousement gardé et servait exclusivement à la construction de missiles et d’avions militaires. Avec cet alliage, Hinshaw fabrique des vélos de compétition tout terrain destinés aux coureurs professionnels et à ceux qui veulent bénéficier du même équipement. Chers, ses vélos sont à la fois légers et extrêmement solides. Hinshaw importe sa matière première d’une usine de Kaliningrad (Königsberg) en Russie. L’usine, qui végétait depuis quelques années, reporte tout ses espoirs sur cette reconversion inattendue et plusieurs dizaines de scientifiques dépendent de la réussite des VTT américains.

Lorsque Hinshaw, ancien triathlète, décide de monter son entreprise de VTT, il recherche un alliage dans des revues spécialisées et décide d’opter pour le Béryllium, métal d’une grande densité mais léger. Une compagnie américaine travaille avec ce métal et a même fabriqué un vélo prototype mais celui-ci serait commercialisé à un prix prohibitif ($25 000 soit cinq fois le prix des vélos les plus onéreux). De toute manière, l’unique exemplaire de ce vélo est volé. Hinshaw trouve une seule autre usine, en Russie, qui travaille avec ce métal. Les Russes, qui fabriquent un alliage de béryllium et d’aluminium et qui cherchent à se reconvertir, sont tout de suite partants. Grâce à l’expérience des ingénieurs russes, Hinshaw et son associé Larry Grant commencent la fabrication de leurs vélos de course dont les cadres sont fabriqués à 40% béryllium, 55% aluminium et 4% magnésium, les tubes étant raccordés à l’aide d’une colle spéciale développée pour l’industrie aérospatiale. Etant donné le marché de niche que tentent de d’investir la société, la production est limitée et ne devrait pas dépasser les quelques milliers d’exemplaires par an.

Commentaire

La réussite de ce projet devrait inciter d’autres industriels à exploiter ce matériau pour la construction de cycles ou d’autres produits - on parle déjà de raquettes de tennis ou de club de golf - mais aussi à rechercher d’autres applications pour des technologies développées pendant la guerre froide. Dans ce domaine, le processus de reconversion dépasse le cadre des simples frontières étatiques et permet à des individus inventifs de trouver de nouvelles applications dans des secteurs en pleine expansion comme celui des loisirs et des sports.