Experience file Dossier : Du désarmement à la sécurité collective

, Grenoble, France, October 1996

La sociologie à l’aide de la reconversion

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Dana Dunn, professeur de sociologie à l’université du Texas, considère la dimension sociologique du travail comme vitale pour le processus de reconversion des industries d’armement. Pour mieux définir les programmes de reconversion, il est impératif, selon elle, de bien comprendre ce que représente le travail pour l’individu qui va devoir être soumis à un changement professionnel important. C’est pourquoi la sociologie représente un outil indispensable à la reconversion.

Le travail, selon Dunn, définit l’individu dans la société moderne. Aujourd’hui, la question « Que faites-vous ? " signifie en réalité « Qui êtes-vous ? " Ceci implique qu’un changement d’activité professionnelle équivaut à beaucoup plus pour l’individu qu’un simple changement de travail. Ainsi, toute stratégie de reconversion doit poser le problème suivant : comment cette stratégie va-t-elle affecter le travailleur ? Pour qu’un programme de reconversion soit efficace, ses responsables doivent savoir motiver les travailleurs pour les rendre enthousiastes face à la transition qui s’effectue sous leur yeux et dont ils font partie intégrante.

Lorsqu’un programme de reconversion est mis sur pied, ses responsables doivent aussi s’assurer que toutes les personnes impliquées comprennent les bienfaits d’un tel programme, pour eux, pour leur entreprise, et aussi pour la société. En effet, un des aspects fondamentaux de la sociologie du travail a trait à l’estime que peut ressentir un travailleur pour lui-même. Ce respect de soi est souvent déterminé par la manière dont un individu contribue à la société.

Pour une entreprise spécialisée dans l’industrie d’armement, l’aspect financier est l’un des atouts principaux : les salaires sont supérieurs, à qualification égale, à ceux des entreprises commerciales où le problème des coûts de production est crucial. Selon Dunn, si l’aspect financier est un facteur de motivation pour le travailleur, il y en a d’autres qui le sont davantage. La créativité, la diversité, la nouveauté dans le travail quotidien représentent les caractéristiques les plus capables de motiver les employés d’une entreprise. La structure de l’entreprise - autoritaire, non-autoritaire; hiérarchisée ou non - affecte également le bien-être du travailleur.

De manière générale, les entreprises du secteur de l’armement ont une structure de travail plutôt autoritaire et hiérarchisée. Ses employés sont hyper-spécialisés, en particulier les ingénieurs. Or, la spécialisation à outrance a tendance, selon de nombreuses études, à provoquer l’ennui, le manque de motivation, et la baisse de la productivité. Le secret, qui entoure souvent les projets des industries d’armement, a tendance à cloisonner les entreprises et à isoler les travailleurs les uns par rapports aux autres, et par rapport à la société. Dans le cas des entreprises spécialisées dans les armes nucléaires, les « produits » sont, pour la plupart, finalement détruits. De plus, le potentiel de destruction des armes nucléaires engendre dans l’opinion publique un sentiment d’indignation sinon d’horreur - et de méfiance à l’égard de ceux qui participent à leur construction. Ce genre d’activité, décriée par l’environnement social, n’est guère propice à un regain de respect de soi. C’est pour cette raison que les industries d’armement provoquent une transformation psychosociale des employés qui sont souvent amenés à se persuader que leur travail est fondamental pour le bien-être et la sécurité de leur pays.

Toutefois, la transparence, qui touche désormais tous les secteurs de la société, y compris les industries d’armement, l’impact des médias, et la fin de la guerre froide font qu’il est de plus en plus difficile pour celui qui évolue au sein d’une entreprise de l’industrie militaire d’être isolé par rapport à une société de plus en plus réticente face aux activités des industries d’armement et de plus en plus concernée par la responsabilité sociale des entreprises et par les problèmes liés à l’environnement.

Tous ces éléments doivent être pris en considération et exploités par les stratèges de la reconversion. En évaluant à leur juste valeur les éléments sociologiques et psychologiques affectant les travailleurs des industries d’armement, ceux qui établissent les programmes de reconversion peuvent effectivement mettre en avant les aspects positifs d’un travail nouveau, plus en accord avec les besoins de la société, et qui s’accomplit au sein d’une organisation appliquant les principes fondamentaux de la démocratie.

Commentary

La sociologie appliquée à la reconversion des industries d’armement est un domaine nouveau, dans lequel le terrain reste largement à défricher. Dans cette introduction, Dana Dunn propose un certain nombre d’idées intéressantes et démontre qu’il est nécessaire, dans le cadre de la problématique de la conversion, d’adopter une approche pluridisciplinaire.

Il convient aussi de rester prudent. En spécialiste, Dunn a tendance à exagérer l’importance des facteurs sociologiques par rapport aux autres éléments. Il faut aussi noter que sa vision du travail, du travailleur, et de son rapport avec l’entreprise et la société, reflète surtout la réalité américaine. Un Français, un Russe ou un Argentin se définissent autrement par rapport à leur travail qu’un Américain. Ceci implique que l’approche sociologique doit prendre en compte les données culturelles de chaque pays et qu’il est difficile d’appliquer un schéma univoque à une réalité universelle.