Richard Pétris, Grenoble, avril 1994
Des outils théologiques pour la conversion des industries d’armement
Mots clefs : Utilisation de la religion pour la guerre, utilisation de la religion pour la paix | Reconvertir les armements
Le mot « conversion » résonne d’une manière particulière aux oreilles des Chrétiens. A propos de la transformation d’une installation à usage militaire en une installation à usage civil on pourrait en effet vouloir montrer des similitudes avec le brusque changement d’attitude de Paul sur le chemin de Damas, avec sa soudaine adhésion à une foi qu’il combattait jusque là. Le personnage a été érigé en exemple et l’image peut être utile. Mais les choses sont plus complexes et c’est tout un comportement à la fois spirituel, éthique et social qui est en cause à propos de l’armement et des problèmes qu’il pose à ceux qui se réclament de l’Evangile du Christ. L’attitude des individus et des institutions face à cette problématique de la conversion des industries d’armement et, plus largement, d’une économie davantage orientée vers la paix, fait notamment l’objet d’une réflexion soutenue par la Conférence des Eglises d’Europe et par le Conseil des conférences épiscopales d’Europe.
Pour Malcolm Brown, de la William Temple Foundation (Manchester), qui s’appuie sur son expérience pastorale dans des régions industrielles en Angleterre, les bouleversements géopolitiques récents, les développements du marché, la nature plurielle de nos sociétés rendent encore plus difficile la tâche des églises dans la société. Il ne suffit pas de s’affirmer, parce que Chrétiens, « hommes et femmes de bonne volonté », il faut être capable de montrer « où nous conduisent nos croyances en termes d’action ». En même temps, il est important de constater que le problème de la conversion se prête à de nouvelles et multiples alliances : des engagements témoignent de ce qui a été possible avec les syndicats ouvriers en Angleterre, avec le Mouvement de la paix en Suède, avec les autorités locales en Ecosse, etc. Et pour des croyants s’estimant en charge de l’humanité et responsables de l’Histoire, si la contestation du marché triomphant s’impose en priorité, l’idée qu’ils se font de leur responsabilité sociale ne doit-elle pas être précisée (la responsabilité à l’égard des causes, mais aussi dans la réparation des erreurs), la nécessité du compromis (essentiel dans une démarche de « conversion ») ne doit-elle pas être mieux comprise, ainsi que ce que peut signifier le pardon dans une telle situation (dans une région qui a été polluée par la fabrication d’explosifs par exemple, les regrets et les excuses ne seront pas suffisants, des actes seront nécessaires) ? Lorsque des populations sont touchées par des changements industriels, l’Eglise se trouvant parmi elles doit également partager leurs difficultés, mais contrairement à ce qui devrait se passer, les communautés chrétiennes ne sont que rarement le lieu de débats sur ces questions.
Pour ces raisons, M. Brown estime que deux instruments d’un travail théologique sont particulièrement utiles :
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Le « Cycle Pastoral », ou « Cercle Herméneutique », inspiré des théologies de la libération en Amérique latine, et qui partant de « l’expérience », conduit à « l’analyse sociale », puis à « la réflexion théologique » pour déboucher enfin sur « la pratique pastorale ». Il doit impérativement prendre en compte les questions et critiques que soulève chacune des quatre étapes avec comme objectif constant de souligner « qui gagne » et « qui perd » dans une telle situation.
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La « Grille Théologique » mise au point par des membres de la « British Industrial Mission » afin d’aider à envisager toute la gamme des réponses qui peuvent être liées à un problème particulier. Trois types de questions doivent être posées : « Que dire ? « , « Qui a besoin de soutien ?" et « Quelles propositions faire ?". Et chacune des réponses doit être recherchée au triple niveau « Personnel », « Institutionnel » et « National/Global ». Ce tableau à neuf cases met en évidence les interrelations et le fait que, à moins de prendre en considération les différents niveaux ou modes opératoires, notre réponse à un problème donné ne pourra être appropriée. « Les témoignages données au cours de cette rencontre montrent que nous sommes complémentaires les uns des autres ; les églises ont besoin de ministères et de missions variés pour être d’efficaces agents du changement ». Dans un rapport précédent : « Vers l’économie de paix », la conversion était étudiée aux cinq niveaux suivants : la macro-économie, l’entreprise, l’usine, la communauté locale concernée et la politique en général. C’est à chacun de ces niveaux que les églises ont un rôle à jouer.
En définitive s’il est ainsi question d’une alliance entre la morale, l’économie et la théologie c’est compte tenu, en particulier, de l’importance de l’enjeu de société que représente la problématique de la conversion et de potentialités mal ou non exploitées chez les Chrétiens, alors que ceux-ci doivent envisager ce défi avec leur conviction que le changement peut être « créateur » et que c’est, en tout état de cause, d’un long travail d’adaptation qu’il s’agit et non de la venue du Messie pour demain !
Commentaire
Cette confrontation d’engagements de terrain avec une réflexion théologique à propos de la conversion des industries d’armement conduit à insister sur l’importance du débat et sur la responsabilité conjointe des fidèles et des institutions qui constituent les Eglises. Comment cette impérieuse nécessité du dialogue et de la confrontation d’idées va-t-elle s’imposer aux deux ? Des rapports d’experts et de commissions existent mais des lieux de vulgarisation restent à organiser et le problème de la conversion des industries d’armement n’est pas le seul à souffrir d’improvisation. Plus largement, on peut considérer que la communauté des Chrétiens n’est pas le seul « géant endormi » (« sleeping giant ») décrit par Malcolm Brown !
Notes
Cette réflexion a été présentée au cours d’une rencontre organisée à Hambourg, en septembre 1995, dans le cadre d’un programme d’étude et d’action lancé en mars 1992 conjointement par la Conférence des Eglises d’Europe et par le Conseil des conférences épiscopales d’Europe, dans la continuité de la première Assemblée Oecuménique Européenne de Bâle en 1989. La William Temple Foundation a pris en charge l’organisation de ce programme qui a impliqué des partenaires dans sept pays, dont l’Allemagne, la France, la Roumanie, le Royaume Uni et la Suède, et un rapport reflétant la diversité des pratiques et présentant des perspectives d’action a été publié en allemand, en anglais et en français (Dossier à fenêtre n°76 : « L’économie de la paix et les Eglises », FPH.