Irenees
un site de ressources pour la paix

Irénées.net est un site de ressources documentaires destiné à favoriser l’échange de connaissances et de savoir faire au service de la construction d’un art de la paix.
Ce site est porté par l’association
Modus Operandi


En librairie

Transformation de conflit, de Karine Gatelier, Claske Dijkema et Herrick Mouafo

Aux Éditions Charles Léopold Mayer (ECLM)

Print

Fiche d’expérience Dossier : Du désarmement à la sécurité collective

, Grenoble, mars 1996

Activités militaires et expériences de diversification dans la région brestoise.

Mots clefs : Autorités et Gouvernements locaux | Reconvertir les armements | Europe

La vocation militaire de Brest remonte au 17e siècle. Aujourd’hui, elle reste la principale base navale française, avec une double dimension d’industrie d’armement et de service de défense qui en fait la composante majeure de la vie économique de la région. Elle est confrontée à deux logiques : celle de la rentabilité industrielles et celle du développement régional.

La Bretagne est la région de France la plus dépendante des activités militaires avec un pourcentage d’emplois directs de défense s’élevant à 6 % de l’emploi de la région, et dont 40 à 45 % se concentrent sur la zone d’emploi de Brest. Les activités militaires de la région brestoise comprennent : la base navale (SNLE, 20000 salariés à 90 % militaires en 1992), l’arsenal (DCN, 6000 salariés essentiellement civils ouvriers de l’Etat et 1000 travailleurs sous contrat privé), la poudrerie (SNPE, 316 salariés en 1993) dont l’activité militaire ne représente plus que 20 % au profit de la poudre de chasse (40 % du marché européen), le pôle électronique de défense (autour de Thomson-CSF, 1800 emplois). En rajoutant les emplois indirects (travaux et fournitures) et induits (services), on atteint 35000 emplois représentant près de 30 % de l’activité économique de la région brestoise (estimation basse) !

Ces dernières années, on note une baisse sensible des activités militaires :  - 10 % des effectifs entre 1988 et 1992 pour la base navale, - 11 % entre 1990 et 1994 pour l’arsenal, 238 salariés prévus pour la poudrerie fin 1995, - 30 % entre 1985 et 1993 pour l’électronique. Cette contraction est amenée à s’accentuer encore avec le nouvel environnement actuel (incertitude économique, contraction des marchés, exacerbation de la concurrence internationale, changement de la nature des besoins militaires).

Le recours à la diversification, voire à la conversion d’activité, peut être une solution. Mais on constate que cette stratégie n’est pas nécessairement souhaitée, ni toujours à la portée de toutes les entreprises (contraintes de créneau, histoire, liens avec l’Etat...). Une constante est la tendance au recentrage sur le métier pour conserver une cohérence stratégique. La cohérence implique l’existence d’un degré de proximité élevé entre les activités de l’entreprise ; et le métier se définit comme la capacité de l’entreprise à combiner les savoir-faire (ensemble de compétences). Evidemment, cette stratégie n’est possible que si l’entreprise est capable de conserver les compétences (les salariés) voire de les renouveler... et si une véritable coordination s’instaure entre les trois niveaux que sont la direction centrale (siège social, maison mère), l’établissement, et les collectivités locales (entreprises, salariés, syndicats, université...).

L’analyse des faits locaux montre que certains établissements peuvent être de réelles forces de propositions au sein des groupes : pêche intelligente (sonar), système anti-collision (aviation), coussins amortisseurs (airbag), prétentionneurs de ceintures de sécurité. La SNPE et la DCN ne disposent que de peu d’autonomie stratégique (capacité à saisir et à développer des opportunités). Leur structure hiérarchique, le faible niveau de qualification des salariés et l’absence de recherche - développement sur ces sites expliquent le peu d’initiatives de diversification (surtout pour la DCN). A l’inverse, les établissements du groupe Thomson-CSF disposent d’autres atouts susceptibles de déboucher sur une véritable stratégie locale de diversification tels qu’une part importante d’ingénieurs dans les effectifs, une recherche - développement décentralisée, des compétences technologiques spécialisées par établissement, des sites mêlant conception - fabrication - commercialisation. A noter, au sein de Thomson-Sintra, l’importance de la section syndicale CGT comme force de contre-proposition locale qui a pour objectif de promouvoir la diversification vers les activités civiles.

Il existe une réelle communauté d’intérêts entre établissements industriels et collectivités locales qui permet d’envisager l’émergence d’un district industriel articulé autour d’une activité dominante (construction et réparation navale, métallurgie et mécanique générale) structurante (compétences technologiques). Si l’existence d’un tel réseau d’entreprises est la première condition de réussite d’un district industriel, il faut aussi que les relations interentreprises ne soient pas trop déséquilibrées (domination de la DCN), permettant ainsi aux différents acteurs de mettre plus systématiquement ensemble leurs compétences technologiques au service de projets industriels civils d’envergure initiés par des maîtres d’œuvre locaux. Il ne faudra pas non plus négliger le rôle du technopole Brest-Iroise dans la dynamique du district industriel local...

Le déclin des activités industrielles n’implique pas nécessairement le rétrécissement de la base industrielle locale comme en témoignent d’une part les ressources stratégiques de certains acteurs locaux, et d’autre part la possibilité de développer un district industriel organisé autour de compétences technologiques appuyées sur des expériences de diversification, voire de conversion.

Commentaire

Cette situation a fait l’objet d’une communication à l’occasion du colloque international sur "la crise des industries de l’armement et le développement régional" organisé par l’Université de Bretagne Occidentale, avec le concours scientifique de l’association des Economistes contre la Course aux Armements (ECCAR) et du Centre d’Economie Sociale.

L’essentiel ne fut pas tant que le colloque se soit tenu "a proximité du principal sanctuaire de la force de dissuasion française", mais qu’il ait fait ressortir la nécessité d’une mise en commun des efforts et des initiatives de tous les acteurs locaux.

L’analyse économique très fine permettant d’identifier les résistances au changement de plus en plus nécessaire, et plus particulièrement du problème de la construction militaire à Brest, a été vivement conseillée par un universitaire étranger spécialiste du management. Les universitaires brestois semblent l’avoir compris qui ont créé un groupe de recherche pluridisciplinaire à dominante navale et maritime, l’Equipe E3D (Défense et Développement Durable) dont ils ont souligné la prétention scientifique.

L’information est indispensable pour les responsables politiques auxquels reviendront les décisions finales. Lors de la discussion générale qui conclut la rencontre, un député le rappela en estimant qu’il faut "réfléchir davantage aux rigidités liées aux caractéristiques des activités militaires si on veut pouvoir s’orienter vers le développement d’activités civiles confiées aux établissements militaires". Il faisait ainsi écho au spécialiste du droit qui avait ouvert le colloque en soulignant combien la problématique de la conversion est soumise à "la tension nécessaire entre l’éthique de conviction et l’éthique de responsabilité".