Le ministère du commerce américain (U.S. Department of Commerce) publie en août 1995 un manuel destiné aux entreprises dans le cadre des restructurations économiques entraînées par la conversion du secteur de la défense aux Etats-Unis, y compris la conversion des industries d’armement et la fermeture des bases militaires.
Ce document de près de deux cents pages s’adresse tout autant aux entreprises affectées par la conversion qu’aux entrepreneurs privés cherchant à exploiter un nouveau créneau commercial. La forme et le style du document constituent un mélange bizarre de guide de Self-Help, comme on en trouve par milliers dans les librairies américaines, et de Field Manual que l’armée américaine publie régulièrement à l’usage de ses troupes. Sur le fond, le guide est bien documenté et fournit un certain nombre d’informations utiles pour les entreprises tout en résumant, même grossièrement, certains problèmes liés à la conversion du secteur de la défense.
Le document est dénué de toute connotation idéologique, morale ou politique. Le ton est plutôt optimiste car l’objectif est de présenter la conversion comme une opportunité pour certains de s’enrichir un peu ou beaucoup. La philosophie générale est claire : « La conversion du secteur de la défense au niveau des localités est avant tout un événement économique ». Et c’est en tant que tel que le manuel aborde le problème.
Au delà des questions pratiques auxquelles les auteurs de ce document tentent de répondre, il est intéressant de voir comment un gouvernement, en l’occurrence celui des Etats-Unis, tente de résoudre un problème complexe qui nécessite une planification globale réunissant diverses branches du secteur public. Tout d’abord, on notera que le manuel est confiné au seul domaine économique et qu’il y est à peine question de planification au niveau de l’Etat - une réalité dont il n’est pas toujours bon de faire la publicité dans un pays où chacun prétend être maître de ses décisions et de son avenir. Ce manuel reflète la manière dont les Américains abordent les problèmes et correspond à ce que chacun est en droit d’attendre :
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Chaque problème a une solution.
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Une transformation est un événement positif qu’il faut savoir exploiter.
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L’État guide l’individu mais il ne le dirige pas.
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L’individu est essentiellement livré à lui-même : plutôt que d’attendre une aide de l’Etat (qui lui reviendrait de droit), il s’organise et s’intègre à une association.
Le manuel propose une stratégie : Première étape, dans le cadre spécifique de la fermeture d’une base militaire, l’entrepreneur s’adresse au commandant de la base affectée qui lui fournit une liste des besoins créés par le processus de conversion (selon les directives gouvernementales). Deuxième étape, la formation d’une association réunissant les personnes affectées (Local Redevelopment Authority). Ensuite, c’est à l’entrepreneur d’exploiter les nouvelles opportunités qui s’ouvrent à lui et de recueillir des subventions auprès de l’Etat.
Il est intéressant de voir que le problème de la reconversion est envisagé ici comme une chance, comme un nouveau départ pour celui qui saura saisir la balle au bond mais pas comme un filet de sauvetage pour les victimes économiques du processus de conversion du secteur de défense.
Commentaire
Le fait d’envisager les problèmes, dans une perspective strictement économique, de manière positive et dans l’esprit de la libre entreprise est probablement un bon moyen, aux Etats-Unis, d’encourager les petites et moyennes entreprises à effectuer une transition parfois difficile. Néanmoins, à lire le manuel, il est évident que sans un effort concerté, de la part des divers organismes chargés de la conversion, pour aider les petites et moyennes entreprises, le chef d’entreprise risque de se sentir un peu isolé au terme de sa lecture. Ce document ne constitue en effet qu’un premier pas vers la reconversion. Toutefois ce premier pas risque fort de déterminer les succès, ou les échecs, initiaux dans ce domaine et d’affecter les décisions ultérieures du gouvernement concernant la fermeture de bases militaires, surtout en périodes électorales. On peut aussi se demander dans quelle direction peut aller la conversion, et si le « laissez faire » de la libre entreprise se traduit automatiquement par une conversion vers une économie de la paix. En effet, un chapitre entier du manuel est consacré à la reconversion vers le secteur de l’exportation, alternative qui aurait des effets pervers dès lors que certains produits à usage militaire sont acheminés vers des marchés extérieurs.