Xavier Guigue, Bruxelles, avril 2005
Sud Soudan, une démarche participative pour régler un conflit inter-communautaire
Régler les tensions politiques au Soudan passe aussi par la recherche de solutions locales pouvant être mis en oeuvre par les populations elles-même comme cela a été le cas entre Nuers et Dinkas lors des accord de Wunlit en 1999.
Le Soudan est riche de 19 groupes ethniques parlant une centaine de langues et dialectes. Son sous-sol est aussi riche… en pétrole. Ces richesses font l’objet de tensions depuis de longue année ; avant même l’indépendance, des mouvements sécessionnistes existaient déjà au Sud. Depuis 1983, la guerre oppose le gouvernement de Khartoum et les factions rebelles du Sud. L’armée soudanaise s’en est prise aux populations civiles, utilisant même l’arme de la faim et des formes d’esclavage. Les indépendantistes ont enrôlé de force des civils y compris des enfants. Les autorités de Karthoum ont joué sur les différences entre ethnies du sud pour tirer profit plus facilement du pétrole, la guerre engendrant des déplacements de populations permettant de libérer des champs pétrolifères. Ainsi les divisions inter et intra-ethniques, essentiellement entre Nuers eux-mêmes et entre Nuers et Dinkas ont embrasé le Sud-Soudan dans une guerre que les populations ont caractérisé d’intellectuels.
Il est apparu alors clairement que réconcilier les différentes ethnies du Sud-Soudan était un préalable à la paix au Soudan, ces conflits sud-sud détériorant la situation politique et renversant les alliances des différentes factions en guerre.
En juillet 1998, avec l’appui du New Sudan Council of Churches (NSCC), 35 chefs coutumiers Dinka et Nuer ainsi que des membres de l’église se sont rencontrés au Kenya. Ils firent état des souffrances partagées par leurs peuples et de leurs torts réciproques dans ces guerres. Ils convinrent d’organiser une conférence pour la paix symboliquement située sur les deux rives du Nil et respectant une démarche impliquant la participation des populations (people to people peace process).
Des locaux furent construits afin de garantir la sécurité et le bon déroulement des rencontres (hébergement, espace de discussion…) pendant que les responsables Nuer et Dinka se rendaient mutuellement visite pour tester leur engagement réciproque en faveur du processus en cours. Les différentes contrés et provinces concernées choisirent trois délégués chacune, représentant les deux communautés. Etaient aussi prévu la présence des responsables territoriaux, des chefs coutumiers et des églises, des représentantes de la jeunesse, des femmes et des anciens, des représentants des mouvements indépendantistes, des membres des milices d’autodéfense et de la diaspora…
Le conseil des églises était le coordinateur principal, il avait entre autre pour mission la recherche de fond, les transports des délégations. Les mouvements indépendantistes devaient assurer la sécurité de tous dans les zones respectives qu’ils contrôlaient, les chefs locaux avaient pour charge l’hébergement et la nourriture…
Cela a donné 9 jours de travail côte à côte pour trouver des solutions allant dans le sens de la construction de la paix. Tradition et religion étaient associées à cette démarche : un bœuf blanc fut sacrifié pour symboliser tout ce sang inutilement répandu entre Nuer et Dinka. Une autre journée fut introduite par la parabole du bon Samaritain pour inviter les participants à prendre soin de son voisin quelles que soient son origine et ses convictions…
Les rencontres commencèrent par la possibilité donnée à chaque contrée de faire part de ses griefs et rancœurs. Si le temps était limité, personne n’avait le droit d’interrompre l’intervenant pendant son temps de parole. Chacun pouvait alors essayer d’entendre la blessure de l’autre et d’en comprendre les causes.
Les sujets névralgiques et très concrets comme les vols de bétail, principale richesse locale, ont été abordés pour réparer les préjudices. Les participants ont estimé nécessaire de reconstruire la centaine de villages détruits et de faciliter le retour des familles déplacées.
Il a été décidé que les membres de milices locales devaient rejoindre l’armée de leur secteur et enregistrer leurs armes auprès des services créés à cet effet pour ensuite être démobilisé s’ils le souhaitaient en livrant les armes dans un lieu de stockage sécurisé.
Des accords précis ont abouti concernant le retour des personnes enlevées ou détenues en captivité et qui devenaient libres de retrouver leur famille. Les différents cas ont été examinés et une protection particulière a été prévue en ce qui concerne les femmes prisonnières qui ont été mariées sans leur consentement : leur choix devra être respecté ainsi que les traditions concernant la dot.
D’autres questions ont trouvé leur réponse comme le respect de la libre circulation, la coopération inter ethniques dans les domaines des soins vétérinaires, la production et la commercialisation agricole, l’éducation pour les villages à proximité de ligne de front où le choix d’école interculturelle a été fait…
Les participants se sont mis d’accord pour se doter d’outils de mis en oeuvre comme la prise en compte des traditions Nuer et Dinka et des droits de l’Homme dans les juridictions applicables et la création de tribunaux pour régler les litiges liés à la zone de front, la composition pluraliste des forces de police affectées en particulier pour des conflits d’accès à la terre ou à la pêche, la création de poste de contrôle sur la ligne de front pour veiller au bon déroulement des accords dans les zones où la confrontation est possible et la création d’un conseil de surveillance des accords de paix représentant chaque contré et province par 3 personnes dont une femme au moins.
Commentaire
L’intérêt de la conférence réside surtout dans la volonté affichée des participants de mettre en œuvre ce qui a été décidé, dans la prise en charge par les populations elles-mêmes de cette volonté qui incitent les responsables politiques et militaires à faire de même, dans la volonté de diffuser le plus largement possible les résultats de la conférence à travers un appel aux différentes forces indépendantistes pour trouver les voies d’une solution négociée et pour organiser des processus similaires entre les ethnies en conflit.
Notes
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Source : southsudanfriends.org/wunlit/