Xavier Guigue, Bruxelles, mars 2005
Programme de développement et paix au Magdalena Medio, Colombie
Une approche concrète du développement local pour engendrer des changements profonds de la société colombienne et faire cesser l’usage de la violence.
Terre de contraste
Le Magdalena Medio est une région du centre-nord de la Colombie, riche en pétrole. Pourtant, 70% de la population du Magdalena Medio vit en dessous du seuil de pauvreté. Elle subit une intense violence, liée à la lutte pour le contrôle du territoire : massacres, déplacements forcés, disparitions. Dans ce contexte, le Centre de recherche et d’éducation populaire (CINEP) et le Diocèse de Barrancaberrmeja ont lancé, au milieu des années 1990, le Programme de Développement et de Paix du Magdalena Medio (PDPMM). Ce programme couvre 29 « municipios » qui rassemblent 800 000 habitants. Pour Francisco de Roux, directeur du programme, il s’agit de se donner les moyens d’une coexistence entre citoyens dans une culture de paix où il n’y a pas d’exclus, de mettre en œuvre un développement économique durable, visant à améliorer la qualité de vie pour tous, avec la participation et le contrôle des habitants, en appuyant les initiatives prises les organisations, les paysans, les entrepreneurs de la région et en cherchant à favoriser la coopération entre citoyens, institutions publiques et ONG.
Le développement local au service de la paix
Depuis 1995, l’essentiel du travail a consisté à favoriser les rencontres et les échanges au sein de la population, pour que tous s’informent mutuellement sur la situation de la région mais aussi pour qu’émergent des projets qui soient l’affaire de tous, dans un esprit participatif. Il fallait trouver des solutions concrètes face à deux constats : le pays est riche et la pauvreté est énorme ; le pays est plein de vie et la mort rode dans ce qu’il y a de pire : les assassinats. C’est sur ces bases qu’a commencé la réalisation concrète des projets éducatifs, agricoles, industriels, miniers, commerciaux, environnementaux… qui ont émergé un peu partout dans la région. A travers ces projets les acteurs veulent non seulement renforcer leur maîtrise économique dans la région, mais aussi transformer la violence et faire taire les armes. Et cela au prix d’un engagement très fort qui a coûté la vie à de nombreux défenseurs de ce projet. Cette expérience est un « laboratoire de paix » qui prouve qu’une Colombie vivant en paix est possible. Elle veut influencer la guérilla en montrant qu’il n’y a pas besoin d’une révolution sanglante pour construire une société plus juste : cela passe par le maintien de la discussion avec une des composantes armées (l’ELN), par les progrès tangibles réalisés par les communautés et dont elles bénéficient. Cela passe aussi par la capacité du programme à transformer la société, transformation en profondeur par une redistribution des terres aux paysans, la lutte contre la corruption, la fin de la connivence entre police et milices paramilitaires pour une réelle protection des habitants, la substitution de la culture de la coca par d’autres productions capables de subvenir aux besoins des familles…
Alternatives à la coca
Ce dernier point est crucial : les paysans se sont mobilisés en affirmant : « Non à a coca, oui à la dignité » . Ils savent que la coca leur a apporté de l’argent comme aucun autre produit n’aurait pu le faire. Mais ils savent aussi que la coca a détruit leur mode de production traditionnel, leur famille, leurs coutumes et leur cadre de vie… Ils se sont retrouvés de fait au cœur du conflit. Favoriser les alternatives à la coca, c’est gripper cet engrenage vers la violence. C’est empêcher que le commerce de la coca n’enrichisse les milices paramilitaires d’extrême droite et les FARC (groupe armé révolutionnaire marxiste). C’est pour cela que la solidarité, et plus particulièrement la présence de mission étrangère accompagnant les acteurs de la société civile est indispensable. Des jumelages entre municipalités et la pression de citoyens américains ou européens pour que les crimes ne restent pas impunis consolident l’action des colombiens pour la paix. Trouver des alternatives à la coca implique une démarche progressive qui associe organisation des paysans, organisation de la commercialisation, sécurisation des transports… à l’opposé des programmes de fumigation financés par les USA qui réduisent à néant ces efforts.
Commentaire
Les porteurs du projet ont fait le pari que le développement local peut réussir à combattre la violence et à transformer en profondeur la société colombienne. Ils s’organisent par eux-mêmes, mais ils savent aussi qu’il leur faut des soutiens extérieurs, soutiens matériels, soutiens par une présence physique et soutiens politiques pour faire reconnaître le bien fondé de leur démarche.
Notes
source : www.colombiasupport.net/deroux.html