Xavier Guigue, Bruxelles, janvier 2005
Arménie, Azerbaïdjan : diplomatie citoyenne pour retrouver les personnes disparues
Une action très concrète à but humanitaire et au service d’une paix difficile à trouver.
L’Azerbaïdjan et l’Arménie sont deux anciennes républiques frontalières de l’ex-URSS, situées dans le Caucase. Le Haut-Karabagh, peuplé principalement d’Arméniens, a été rattaché à la république azérie dans les années vingt, entraînant des revendications nationales durement réprimées. Commencé avant l’éclatement de l’URSS, la crise entre les deux républiques entraînent d’importants mouvements de populations, les Azéris fuyant l’Arménie tandis que les Arméniens quittent l’Azerbaïdjan. Pendant les premières années 90, les forces armées vont s’affronter jusqu’à une situation encore instable aujourd’hui où le Haut-Karabagh est sous contrôle arménien.
De part et d’autres, des familles ont perdu des êtres chers, décédés ou pire disparus. Cette recherche éperdue exerce une pression terrible sur chacune des familles concernées et par voie de conséquence sur toute la nation. En l’absence de volonté politique pour retrouver les soldats et les personnes disparus, les comités HCA (Helsinki Citizen’s Assembly, réseau international fondé à Prague en 1990) des deux pays ont conduit une opération de diplomatie citoyenne très instructive. Objectif de l’action : obtenir des informations ou la libération des personnes manquantes des deux cotés de la frontière, dans le but d’éliminer les pratiques de prise d’otage et d’obliger au traitement humain des prisonniers de guerre.
Plusieurs cas de figures peuvent se sont présenté : décès, prisonnier de guerre, prise d’otage en vue d’un échange ou bien pour troquer la marchandise humaine contre du pétrole, de l’argent…
Il a fallu dans un premier temps récolter le maximum d’information sur le nombre et le nom des disparus, les circonstances des disparitions… et cela du coté azéri comme du coté arménien. A défaut de moyen très sophistiqué, la participation très actives des familles, le bouche à oreilles, les rencontres multiples, la présence des deux cotés depuis plusieurs années de certaines personnes actives dans ce processus de réconciliation, le va et vient des informations pour éviter les erreurs, les visites de terrain pour vérifier les rumeurs ou démonter les mythes
Les participants se sont appuyés sur le témoignage d’un jeune militaire qui a vécu l’horreur de la captivité et qui demandait de faire connaître l’appel suivant : « S’il vous plait, soyez clément avec les prisonniers, ils ne sont pas seulement vos ennemis, ce sont aussi des pères, des maris, des frères irremplaçables dans leur famille et qui les attend tous les jours » .
Après avoir écouté les témoignages des familles et plus particulièrement des mères ou des épouses, les responsables du projet ont pris conscience que ces dernières étaient de véritables alliées pour donner toutes ses chances à la paix et pour s’opposer à la survivance des hostilités. Refusant tout sentiment de vengeance, elles voulaient établir des liens proches avec celles du « camp opposé » , parce qu’elles partageaient la même douleur, parce qu’elles étaient à même de comprendre cette douleur.
Le travail s’est concrétisé par l’écriture commune d’un livre, publié en 2002 et dont l’intérêt persistera jusqu’à ce que la situation de toutes les personnes disparues soit clarifiée, jusqu’à la preuve incontestable d’un décès ou le retour dans la famille, car l’espoir est là, toujours présent. Le document a mis en évidence la responsabilité politique et juridique des autorités, qu’ils s’agissent de l’Azerbaïdjan, de l’Arménie ou des responsables du Haut-Karabagh.
Il rassemble une cinquantaine de témoignages présentant la photo du disparu, les circonstances de sa disparition, la situation de sa famille, écriture intime des familles concernées, écriture personnelle marquant cette volonté de retrouver un parent, un fils, un neveu…
Commentaire
La question des disparus est une souffrance commune aux peuples qui ont vécu ce conflit, souffrance qu’ils doivent affronter ensemble parce que c’est la seule manière d’apporter une réponse aux familles. Cette action est la preuve que c’est possible. Elle est révélatrice des capacités à reconstruire la paix à partir d’engagements très concrets. Peut être conduirat-elle à construire un large mouvement des femmes contre la guerre, commun en Arménie et en Azerbaïdjan.
Notes
-
Source : « Loss… Hope, the problem of the missing soldiers of the karabakh war », Tbilisi-Georgia, 2002.