Fiche d’expérience Dossier : Bâtir un réseau de citoyens soutenant des initiatives locales de construction de paix.

, Bruxelles, janvier 2005

INZIRA Y’ AMAHORO, une exposition pédagogique d’éducation à la paix

L’association rwandaise UMUSEKE fait le pari de l’avenir en participant à la prévention des conflits au moyen d’activités pédagogiques s’adressant aux 10/20 ans.

Mots clefs : Elaboration d'outils pédagogiques d'éducation à la paix | Education à la paix dans des écoles | Société Civile Locale | Citoyens rwandais pour la paix | Prévenir des conflits | Déconstruire les discours identitaires | Apprendre une culture de paix | Région des Grands lacs | Rwanda

Le contexte

La région des Grands lacs, en Afrique centrale, est le théâtre de conflits qui se nourrissent des questions ethniques, alors que bien souvent les enjeux sont des questions de pouvoir, de non- respect des droits humains, de contrôle territorial ou des appétits de richesses.

En à peine 3 mois, en 1994, le Rwanda a connu un des pires massacres du siècle dernier : 800 000 à 1 million depersonnes assassinées parmi la minorité Tutsi et les Hutus qui s’opposaient à ce génocide. Dans un contexte où les conséquences sont encore présentes et les responsabilités internes et externes loin d’être élucidées, s’est créée l’association Rwandaise UMUSEKE qui signifie « aurore » et « espoir » . Soutenue par le CCFD (Comité catholique contre la faim et pour le développement), UMUSEKE est convaincue qu’il est possible de ne pas se résigner à constater les germes de tension, de guerre et d’injustice, et qu’il est en pouvoir de chacun de s’engager, avec les enfants et les jeunes, pour prévenir la violence et aller vers une société plus juste.

Un outil pédagogique au service de la prévention des conflits

La paix étant une pratique à mettre sans cesse en œuvre, dans laquelle l’apprentissage est essentiel, UMUSEKE a choisi une exposition-jeu comme outil de prévention et moyen novateur d’éducation à la paix. UMUSEKE s’est inspiré du travail réalisé par l’Ecole de la paix de Grenoble pour aborder rumeurs, préjugés faciles, discriminations entre les personnes ou les groupes, désignation de bouc émissaire, interprétation des faits… que nous en soyons, consciemment ou non, les auteurs.

L’exposition-jeu s’intitule INZIRA Y’ AMAHORO (Le Sentier de la Paix). Elle est destinée aux enfants et jeunes de 10 à 20 ans. Elle tourne dans les écoles et les centres de jeunes. UMUSEKE espère toucher chaque année environ 5000 jeunes dans les 3 pays concernés : Rwanda, Burundi et République Démocratique du Congo à travers plusieurs copies ou adaptation de l’exposition. Certaines sont installées à poste fixe tandis que d’autres sont itinérantes.

Brève évaluation

Le questionnement de l’exposition, qui est accompagné d’un carnet pour chaque enfant, amène les 10/13 ans à avoir un regard différend entre garçons et filles. Les 14/15 ans sont plus sensibles aux conséquences que peuvent entraîner les généralisations abusives, les rumeurs non vérifiées, les suspicions infondées, les préjugés et stéréotypes… Ils sont invités à vérifier avant d’agir. Les enfants des rues prennent conscience d’être souvent « bouc émissaire » , ce qui les poussent aussi à commettre des injustices.

Ces interventions en milieu scolaire donnent la possibilité aux enfants de s’exprimer, ce qui n’est pas souvent le cas du fait de la contrainte des programmes, des habitudes culturelles et du grand nombre d’élèves par classe. Les animateurs, qui ont été formés à l’utilisation de l’outil pédagogique, sont là pour favoriser le questionnement des enfants qui montrent de l’intérêt à bien comprendre les sujets abordés. La participation active des enseignants contribue aussi au succès de l’exposition.

Les réponses à certaines questions comme celle visant l’engagement personnel de chacun sont intéressantes à explorer. Une évaluation portant sur 1200 enfants a montré que pas loin de 20% des enfants modifiaient leur réponse à la question « j’y vais, j’y vais pas » , question qui nous interroge sur « ce que l’on doit faire » face à une situation donnée. Ainsi les enfants utilisaient les concepts précédents de l’exposition qui invitent à vérifier les faits, qui posent la question de la responsabilité, qui relativisent l’exemplarité de l’adulte pour se forger eux-mêmes leur propre opinion et faire leur propre choix.

La très grande majorité des enfants déclarent qu’ils vont relire les questions et les réponses qu’ils ont consignées dans leur carnet. Les enseignants eux même reconnaissent que les enfants ont été très intéressés, utilisent leur carnet et font référence à l’exposition.. Cette marque d’intérêt permet de prolonger les thèmes abordés par l’outil pédagogique. Prolongement d’autant plus riche qu’il mobilise aussi amis, parents, enseignants, voisins… Prolongement nécessaire et que les enfants ont bien compris car ils se rendent compte que ce qu’ils ont appris est insuffisant pour résoudre les conflits : un bon tiers demande que soient abordé les pratiques non-violentes, d’autres demandent d’aborder les questions de justice et d’autres la solidarité. Ils font ainsi preuve de réalisme en découvrant que construire la paix est à la fois un choix individuel et un engagement collectif car on ne peut pas grand chose isolément. Ils sont très majoritairement persuadés que la paix s’apprend mais sont très partagés sur la manière : une moitié pense qu’il faut mettre en avant les expériences réussies tandis que l’autre moitié penche pour mettre en évidence les obstacles à la paix.

Des perspectives d’évolution

Les sujets abordés concernent aussi les adultes. Formations et débats ont été proposées à des groupes de femmes : Marie est une participante, elle a un petit commerce au marché à Kigali. Après le thème des généralisations, elle prend la parole pour parler des Abashi qui sont ses voisins au marché. Elle les trouvait méchants et malhonnêtes et depuis qu’elle les connaissait, elle ne parlait jamais à un Mushi pensant qu’ils sont tous pareils. Elle déclare qu’elle va changer de comportement pour juger chacun à sa juste valeur. Et pour exemple, elle constate que dans le groupe il y a une Mushi qu’elle ne connaissait pas qui a bien sympathisé avec elle.

Contribuer à la paix est une dynamique, l’action d’UMUSEKE évolue en fonction des apports des enseignants, des partenaires et de sa propre expérience. Des pistes nouvelles sont explorées comme le fait d’associer beaucoup plus les enseignants dans les explications des thèmes et dans l’approfondissement de l’exposition. Des émissions radiodiffusées, d’autres supports pédagogiques comme des fascicules de proverbes, de dictons, de devinettes, poèmes… sur la paix peuvent accompagner « le sentier de la paix » .

Commentaire

Cet outil pédagogique est une des premières initiatives concrètes au Rwanda. Ne se limitant pas au déclaration d’intention de trop nombreuses rencontres sur la paix, il apporte matière à réfléchir et à agir, sans pour autant pouvoir tout résoudre.

« La paix, cela ne se mange pas, c’est seulement des discours… alors que nous mourrons de faim. » Telle a été une des réactions à la venue de l’exposition. Réaction tout à fait compréhensible quand dans certaines écoles les enfants n’ont même pas de quoi manger à l’école à midi. Manger, avoir un toit, se faire soigner sont des priorités qui demandent un partenariat accru pour favoriser les revenus agricoles ou artisanaux… Cela fait aussi partie des préoccupations d’UMUSEKE : participer à l’achat des livres ou des uniformes scolaires, prévoir une collation à l’école pourraient être une des réponses appropriées et réalisables.

Notes

  • Source : UMUSEKE

  • Ecole de la paix, 7 rue très cloîtres, 38000 Grenoble