Ficha de testimonio Dossier : Témoignages de Paix / Testimonios de paz / As Said by Artisans of Peace

, Guatemala, abril 2008

Entretien avec le Général Julio BALCONI

Propos recueillis par Henri Bauer et Nathalie Delcamp (Irenees).

Keywords: La responsabilidad de las autoridades políticas con respecto a la paz | Favorecer el diálogo entre los beligerantes | Respeto de los derechos humanos | Resistencia a los grupos guerrilleros | Profesionalización del ejército | Seguridad y paz | Acuerdo de paz | | Ciudadanos guatemaltecos por la paz | Militares | Gobierno guatemalteco | Conducir negociaciones políticas para buscar la paz | Guatemala

Irenees :

Pouvez-vous vous présenter s’il vous plaît ?

General Julio Balconi :

Général de Division retraité Julio Balconi, membre de l’Armée du Guatemala de 1963 à 1997.

Irenees :

Quelles sont les principales raisons de votre engagement pour la paix ?

General Julio Balconi :

Au cours de mes années de services dans l’armée, j’ai pu me rendre compte du fait que certaines méthodes utilisées par cette dernière pour la mise en oeuvre des opérations militaires, ne prenait pas en compte la sécurité des personnes vivant dans les lieux affectés par la présence insurgée, et qu’elles ont très souvent été affectées par l’action démesurée des troupes qui, dans leur recherche d’informations sur les activités de la guérilla, faisaient pression sur les habitants pour les faire dénoncer. L’insurrection, de son côté, agissait de la même façon, menaçant les habitants pour qu’ils lui fournissent des aliments et des informations sur la présence militaire. Ces attitudes de la part des deux belligérants furent utilisées pratiquement tout au long de la guerre, provoquant des mouvements massifs de populations vers d’autres zones du territoire national ou vers le Mexique, principalement. Je n’ai jamais été d’accord avec cette manière d’agir. En discutant de cela avec mes camarades, je me suis rendu compte que je n’étais pas le seul à penser qu’il était nécessaire d’agir dans les limites des canons légaux établis. C’est ainsi qu’a surgi un courant orienté vers le changement des procédures traditionnelles d’une armée qui agissait avec une marge très élevée d’autonomie vis à vis du reste des institutions de l’Etat. Ce courant de pensée à l’intérieur de l’armée auquel je m’identifiais a occupé avec le temps des positions de commandement importantes, à partir desquelles on pouvait avoir l’influence nécessaire pour réaliser les changements urgents et nécessaires pour remplacer ces vieilles pratiques.

J’ai eu la chance d’être sélectionné pour intégrer la commission de paix du gouvernement, qui assuma la représentation du gouvernement pour négocier avec la guérilla les termes d’un accord de paix qui mettrait fin au conflit armé interne. Depuis cette position, ces désirs de changement purent commencer à prendre corps et finalement, en tant que ministre de la défense, j’ai pu contribuer, avec nombreux de mes collègues, à faire que l’institution armée s’oriente vers une transformation professionnelle et technique adaptée aux temps de paix que vit le pays.

Irenees :

Au Guatemala, certains courants militaires affirmaient que l’armée devait tout être pour le militaire. D’autres disaient que l’armée était un instrument de réalisation professionnelle qui n’occupait pas la vie entière du militaire, et que cette dernière trouvait son sens dans d’autres domaines. Les premiers étaient possédés par l’armée ; les seconds, tout en étant d’excellents militaires, étaient libres. Les premiers furent davantage attirés par la violence, les seconds firent la paix. Qu’est-ce qui vous a permis de demeurer libre et de ne pas perdre de vue la paix ?

General Julio Balconi :

Les faits décrits plus haut furent dans une large mesure ce qui me motiva à toujours penser que la guerre n’avait pas de sens, car si nous luttions pour surmonter les injustices, la marginalisation et la pauvreté en général, quel sens avait la violence générée par la guerre ? L’insurrection manifesta très souvent dans ses communiqués que sa lutte avait pour but de venir à bout de l’exclusion sociale et d’obtenir sa participation politique dans un cadre démocratique large. Nous avions des pensées coïncidentes, mais les moyens employés pour y parvenir étaient ce qui nous différenciait. L’option de la guerre populaire pour atteindre ses objectifs marqua nos grandes différences. Pour autant, si nos efforts suivaient des chemins parallèles, il fallait simplement les faire coïncider dans un cadre de détente militaire et de dialogue franc et sincère. La possibilité d’avoir recours à une table de négociations nous facilita les choses. Avec l’idée de la paix en tête, nous avons créé les conditions pour que la détente militaire devienne une réalité, et une fois cela fait, le reste fut beaucoup moins difficile que beaucoup ne se le sont imaginé.

Irenees :

Ex-ministre de la défense guatémaltèque, engagé comme délégué du plus haut rang militaire dans les négociations de paix avec la guérilla de ce pays, pourquoi, si la guérilla était “l’ennemi numéro un” de l’armée, s’asseoir pour dialoguer avec ses représentants ? Pourquoi serrer la main d’un commandant guérillero comme le fut monsieur Rodrigo Asturias, plus connu sous le nom de Gaspar Illom ?

General Julio Balconi :

Effectivement, nous considérions la guérilla comme l’ennemi numéro un jusqu’à ce que nous eûmes l’opportunité de nous voir personnellement dans un autre cadre. Le processus de négociation entre le gouvernement et l’insurrection est apparu comme une opportunité non prévue. Ce ne fut pas le fruit d’initiatives nationales. Ce fut le produit d’un effort régional, qui par chance coïncida avec des évènements internationaux tels que la chute du mur de Berlin et plus tard la dissolution de l’Union Soviétique, faits qui contribuèrent à affaiblir les actions militaires et politico-stratégiques de la guérilla. Lorsque chaque pays centraméricain définit son propre processus à l’intérieur du cadre d’Esquipulas II, la guérilla guatémaltèque n’eut pas d’autre solution que de répondre à l’invitation de la Commission Nationale de Réconciliation à définir les termes du processus de dialogue, pour rechercher la paix au moyen d’une négociation politique.

Ce qui se passa ensuite fut une succession d’évènements qui finalement, à l’étape finale du processus, permirent à l’URNG et au gouvernement, dans un espace de temps d’environ six ans, d’aborder un large ordre du jour de thèmes qui aboutit à la signature d’un accord de paix solide et durable.

La commission de paix du gouvernement, sur la décision du Président de la République, fut constituée par des civils et des militaires, de telle sorte que, bien que les membres de l’institution armée ne soient pas d’accord pour avoir des représentants dans cette délégation, ils furent contraints d’accepter, avec un certain scepticisme, les ordres supérieurs.

Il est évident que d’aller dialoguer ne fut pas du goût des militaires désignés, et je m’inclus dedans. L’expérience accumulée après tant d’années de lutte armée ne nous permettait pas d’apprécier la possibilité que nous offrait ce nouveau cadre, qui nous semblait inutile, car nous pensions que la guérilla l’utiliserait comme moyen de continuer la guerre, ou si dans un cas peu probable nous arrivions à un quelconque accord, qu’elle ne serait pas disposée à le respecter.

La méfiance était l’obstacle le plus grand qui se dressait entre les deux délégations quand nous avons initié le processus de dialogue. Personnellement, et après avoir échangé quelques saluts avec les membres de l’URNG, il me semblait qu’il était important de rechercher un rapprochement avec chacun d’entre eux pour explorer les possibilités d’aborder les thèmes de l’ordre du jour sérieusement et avec l’intention de trouver des points de coïncidence susceptibles de mettre au jour des accords qui soient réalisables.

Rodrigo Asturias, dès le début des rencontres, fut celui des quatre représentants de la guérilla qui se montra le plus accessible. J’eus l’impression qu’il était la personne que je devais aborder pour vérifier s’il était possible de parler avec lui de mes préoccupations. A ma grande surprise, non seulement il se montra consentant, mais lui aussi voulait enquêter sur les intentions véritables de l’armée. Si nous étions disposés à respecter les engagements issus des négociations et quel degré de crédibilité nous avions, nous les délégués de l’institution, face à nos collègues.

Ce ne fut pas difficile de nouer une bonne relation entre nous deux, car les questions que nous nous sommes posées mutuellement furent discutées tout au long des rencontres programmées par la Commission Nationale de Réconciliation, dans les temps que le travail des deux délégations avait déterminés. Nous le fîmes à titre personnel, car nous ne comptions pas sur le consentement de nos compagnons respectifs de commission.

Finalement ces rencontres furent suivies par des réunions avec les autres membres de l’URNG et plus tard s’étendirent aux cadres de commandement de l’armée, jusqu’à ce que nous soyons parvenus à contenir l’affrontement armé, par une espèce de pacte entre hommes d’honneur, car la négociation n’était pas terminée. Rodrigo a joué un rôle très important dans tout ce processus, car sans son intervention, il n’aurait pas été possible de parvenir à la suspension des opérations militaires insurgées comme un apport significatif à la paix tant désirée par le peuple du Guatemala.

Au milieu de toute cette série d’évènements, nous avons consolidé une amitié vraie qui s’est étendue jusqu’à nos familles.

Irenees :

Comment expliquez-vous le conflit armé guatémaltèque et ses stratégies tout à fait dramatiques ? Par une division entre riches et pauvres ? Par des facteurs idéologiques ? Par la guerre froide au Guatemala ?

General Julio Balconi :

L’affrontement armé au Guatemala a commencé par un soulèvement militaire organisé par des officiers de l’armée en désaccord avec le gouvernement dirigé par un général que l’on accusait de corruption. L’émeute échoua et les leaders durent fuir au Mexique et au Honduras, où ils furent abordés par les dirigeants du parti communiste guatémaltèque, qui étaient alors en exil. Cette rencontre entre de jeunes militaires frustrés de ne pas avoir su convaincre leurs collègues pour qu’ils les soutiennent dans ce qu’ils considéraient être une action patriotique et les vieux intellectuels qui croyaient avec ferveur en les postulats du communisme international, consolida une alliance politico-militaire qui se traduit par le premier jaillissement guérillero dans le pays. On pourrait dire des motivations qu’elles furent idéologiques, dans le cadre de ce qui était reconnu comme la guerre froide.

Plus tard, et pour des raisons stratégiques, les groupes guérilleros changèrent leurs objectifs politico-militaires, qu’ils orientèrent vers la revendication des droits des pauvres, lesquels représentent au Guatemala 70% de la population. C’est à partir de là que, dans la deuxième phase de la guerre qui a démarré au début des années 70, sont nés deux groupes guérilleros dont les noms correspondent aux objectifs : “Organisation du Peuple en Armes” et “Armée de la Guérilla des Pauvres”.

Indubitablement, l’intention de l’insurrection de capitaliser le mécontentement de la population à cause des conditions de pauvreté dans lesquelles elle vivait à cette époque, a eu certains résultats, puisqu’à la fin de cette décennie, la guerre s’était étendue à la quasi-totalité du territoire national, situation qui dépassa les capacités de l’armée à assurer toute la sécurité nécessaire. C’est ainsi que sont nées les patrouilles d’autodéfense civile, comme un complément aux effectifs militaires, lesquelles furent déterminantes pour neutraliser les actions insurgées qui se multipliaient dans le pays. Cette période fut la plus violente, et provoqua la plus grande quantité de morts, blessés, veuves et orphelins.

Dans une autocritique réalisée par les dirigeants de l’UNRG en 1984, ces derniers concluent qu’atteindre les objectifs qu’ils s’étaient fixés était pratiquement impossible, raison pour laquelle ils préparaient leur réorganisation et attendaient des conditions internationales plus favorables pour poursuivre la lutte armée.

Cependant, les faits qui se produisirent par la suite culminèrent avec la dissolution de l’Union Soviétique et la fin de la guerre froide. Cuba entra dans une crise interne très grave, ce qui lui interdit de continuer à être le soutien logistique des groupes insurgés. Lorsque apparut la possibilité de rechercher la solution des conflits centraméricains par la voie du dialogue et de la négociation, l’UNRG se trouvait dans une situation très complexe, spécialement avec les groupes armés à l’intérieur du pays.

Irenees :

Nous savons que pour qu’un affrontement armé ait lieu, il faut que deux groupes différents se considèrent opposés et que chacun élabore l’image de l’autre comme étant son ennemi mortel. Comment les membres de l’armée et de la guérilla, issus en grande partie des mêmes milieux socio-économiques et culturels dans un pays aussi petit que le Guatemala, parvinrent-ils à se considérer mutuellement comme des ennemis mortels ?

General Julio Balconi :

Dans le schéma stratégique de la guérilla, l’armée était simplement un obstacle dans ses desseins de prendre le pouvoir et d’implanter son propre système. Evidemment, c’était l’obstacle le plus grand, et pour cette raison, l’un des principaux objectifs de la guerre que la guérilla déclara à l’Etat guatémaltèque était précisément d’affaiblir l’armée, de la neutraliser, ou dans le meilleur des cas, de la faire disparaître en tant qu’institution de l’Etat.

Au cours des premières années, la guérilla prit soin de ne pas avoir d’affrontements directs avec l’armée, probablement parce que ses leaders avaient été membres de l’institution armée et ne voulaient pas affronter leur propres collègues avec lesquels ils avaient encore certains liens d’amitié.

Mais en 1966 eut lieu le premier affrontement, au cours duquel moururent 14 membres d’une patrouille, dont le capitaine qui les commandait. Le groupe d’insurgés responsable de cette action était dirigé par Luís Turcios, camarade de promotion du capitaine décédé. Ce fait marqua le début de la lutte armée, qui traversa des phases très violentes, comme entre 1979 et 1983, où l’armée perdit environ 3000 membres, officiers, spécialistes et soldats. On parle beaucoup des actions de l’armée contre des objectifs non militaires, mais on ne mentionne pas celles que, très fréquemment commettait l’insurrection contre des personnes et des populations qui ne voulaient pas collaborer avec elle, les accusant d’être des délateurs, ce qui signifiait leur élimination physique.

Tous ces faits regrettables firent qu’autant les membres de l’institution armée que ceux de l’insurrection se voyaient comme des ennemis irréconciliables.

Irenees :

Une branche de l’armée, incluant quelques officiers, s’opposa aux dialogues avec la guérilla, parce qu’ils n’acceptaient pas qu’on puisse les considérer comme des interlocuteurs légitimes. D’un autre côté, d’autres secteurs s’opposaient à ces négociations, par exemple l’élite économique traditionnelle, qui avait beaucoup de pouvoir au Guatemala. Comment avez-vous réussi à instaurer ce dialogue dans un contexte de forte opposition, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’armée ?

General Julio Balconi :

Une fois défini le schéma dans lequel on aborderait la négociation du côté du gouvernement, l’armée engagea parmi ses membres une étape de prise de conscience, qui devait servir, dans un premier temps, à connaître, dans les différentes échelles hiérarchiques, l’opinion de chacun sur une possible négociation avec la guérilla pour mettre fin au conflit armé interne. Cette première approche du thème révéla le haut degré de méfiance et de scepticisme chez la majeure partie des membres de l’institution armée. Plus de 90% considéra qu’il n’était pas convenable de s’asseoir et de dialoguer avec des groupes armés en marge de la loi, car il leur semblait qu’aucun accord signé par eux ne serait respecté.

Avec ce panorama, et en prenant en compte le fait que la possibilité d’aller à la table de négociations était une décision politique et pas militaire, le commandement de l’armée se vit dans l’obligation de commencer une sorte de campagne interne pour le dialogue et la négociation comme l’unique voie pour mettre fin au conflit.

Par chance, les ministres de la défense nommés à partir du début du processus de négociation furent membres de la commission de paix du gouvernement, ce qui permit d’approfondir cette campagne pour la paix dans les rangs de l’institution. La campagne en question s’est renforcée au fur et à mesure que les résultats du dialogue autour de la table se sont transformés en accords réalisables, et le pourcentage de ceux qui étaient contre le processus s’est ainsi inversé. Alors que j’assumais le ministère de la défense, les réunions secrètes avec l’insurrection commentées plus haut ont fini de convaincre les quelques personnes en désaccord qui restaient encore dans les rangs de l’institution armée, ce qui facilita l’étape finale de la négociation. Les quelques militaires qui résistaient à accepter le cours des évènements se trouvaient en dehors de l’armée et leurs manifestations de désaccord n’eurent pas d’incidence et n’affectèrent pas la pleine disposition de l’institution à soutenir les accords politiques qui mirent fin à la guerre dans le pays. Comme on peut s’en rendre compte, le dialogue interne fut un effort engagé par le commandement militaire. Je ne peux pas pour autant m’attribuer le mérite d’avoir su convaincre la majorité de mes collègues d’appuyer institutionnellement la négociation politique pour la recherche de la paix.

Dans le milieu des secteurs économiquement puissants, aucun effort n’eut de bons résultats, car leur décision de participer aux dialogues ne fut possible que lorsqu’ils s’aperçurent que leurs intérêts étaient en péril. Après avoir signé l’accord socio-économique, la paix ne fut plus une priorité pour eux.

Irenees :

Quels sont, d’après vous les éléments les plus importants pour qu’une négociation de paix aboutisse à l’instauration d’accords entre les parties ?

General Julio Balconi :

En premier lieu, il faut que les membres de chacune des parties soient véritablement des représentants de leurs secteurs respectifs, et qu’ils aient la capacité d’assumer la responsabilité d’accepter les compromis issus de la négociation quand se concrétise un accord, sans avoir à interrompre les discussions pour consulter des instances supérieures. En deuxième lieu, qu’il y ait un minimum de confiance entre les négociateurs, pour que les discussions puissent avoir lieu le plus sérieusement possible, et éviter ainsi les actions dilatoires pour prolonger les délibérations quand en réalité ce qui est recherché est d’éviter les accords.

Irenees :

Après un conflit armé survient normalement un débat entre deux tendances, celle qui réclame la “justice” et celle qui prône la “réconciliation”. Ce débat a-t-il eu lieu au Guatemala ?

General Julio Balconi :

Après la signature de la paix, on a entamé une étape de débats entre les secteurs organisés de la société et les représentants du gouvernement et de l’armée. Ces rencontres, qui dans les premières années suivant le conflit furent très fréquentes, générèrent une série d’exposés sur la pertinence de promouvoir la recherche de justice comme base pour accéder à la réconciliation. Cependant, il devint évident que l’intention de certains groupes était d’utiliser cet argument pour déguiser une sorte de vengeance, en essayant de condamner l’armée en tant qu’institution, laissant de côté l’individualisation des cas pour retrouver les véritables responsables de violations des droits de l’homme et tous ceux qui, quel que soit le camp pour lequel ils agissaient pendant la guerre, avaient commis des actes à l’encontre de la loi. La volonté authentique de maintenir le dialogue ouvert pour vaincre la haine et les conflits produits par les longues années de guerre s’est évanouie peu à peu, à tel point qu’aujourd’hui les groupes sociaux organisés rechignent à répondre aux appels du gouvernement à se joindre aux tables de dialogue pour traiter des thèmes d’intérêt national, car l’expérience a montré que ces forums sont utiliser pour s’affronter et pas pour chercher des solutions.

Irenees :

Vous avez écrit un livre : “Vers la réconciliation : Guatemala 1960-1996”. Pourquoi ce livre?

General Julio Balconi :

Le processus de négociation guatémaltèque a connu des expériences très singulières, qui le différencient des autres processus ayant eu lieu au Salvador et au Nicaragua. Mon intention en écrivant ce livre était de commenter, de mon propre point de vue, ce qui a donné lieu à ces singularités, qui peuvent être d’une grande utilité pour d’autres pays qui cheminent vers la solution de conflits similaires au nôtre.

Irenees :

Quel est, selon vous, le sens de la signature des accords de paix de 1996 ?

General Julio Balconi :

Les accords de paix sont un précis de propositions viables dans tous les domaines de la vie nationale, élaborés avec l’effort de nombreux secteurs qui directement ou indirectement ont participé au processus de négociation. La signature de l’accord de paix final comporte le désir des protagonistes de voir son contenu se matérialiser en faits concrets qui permettront de transformer le pays pour qu’il soit plus solidaire, plus équitable et plus démocratique, conditions de base pour son développement.

Irenees :

Qui sont les acteurs, nationaux et internationaux, qui ont le plus favorisé les négociations de paix ?

General Julio Balconi :

Parmi les acteurs nationaux que l’on peut mentionner, il y a l’Eglise Catholique, le gouvernement, l’armée ; parmi les internationaux, le gouvernement du Mexique, l’ONU, la Fédération Luthérienne Mondiale, le Groupe des Pays Amis du Processus de Paix, composé par le Mexique, la Norvège, les Etats-Unis, la Colombie et le Venezuela.

Irenees :

Que pensez-vous des rapports sur le conflit armé au Guatemala élaborés par les Nations Unies d’une part, et par le bureau des droits de l’homme du diocèse du Guatemala d’autre part, qui accusent les acteurs de la violence de violations des droits de l’homme ?

General Julio Balconi :

Ce sont des rapports partiels, qui ne recueillent pas tous les faits ayant eu lieu durant les 36 années d’affrontement armé interne. Ils ont été élaborés dans le cadre d’un conflit idéologique, et la majorité des équipes de chercheurs qui ont participé à la collecte de l’information ont mis en évidence leur filiation idéologique en refusant d’enquêter sur les cas liés à des violations des droits de l’homme de la part des groupes guérilleros ; pour privilégier ceux qui étaient en lien avec les forces armées et les patrouilleurs civils.

Quand ces rapports ont été publiés publiquement, ils ont généré une série de commentaires de la part de secteurs et de personnes qui n’étaient pas d’accord avec leur contenu, les jugeant partiels ou biaisés. Le résultat fut qu’ils n’obtinrent pas l’accueil qu’on attendait, car ils ne contribuaient pas à consolider la paix et à promouvoir la réconciliation.

Irenees :

Certains intellectuels affirment que ce qui s’est produit au Guatemala ne doit pas être appelé “conflit armé interne” ni “guerre civile”, mais “guerre contre la société civile”, car autant la guérilla que l’armée s’affrontaient en laissant au milieu la population civile innocente, qui fut l’une des grandes victimes de ce conflit. Qu’en pensez-vous ?

General Julio Balconi :

La vérité de tout cela est que la guérilla avait un dessein fondamental pour lequel elle a lutté durant toutes ces années : la prise du pouvoir pour transformer le Guatemala en pays socialiste. Pour y arriver, elle a utilisé diverses stratégies tant politiques que militaires. L’une d’elles fut d’impliquer la population rurale pour appuyer ses activités insurgées. Cela eut un certain succès car elle réussit à incorporer à ses différentes structures un nombre considérable de personnes de l’altiplano du pays. Cela a dérivé vers une lutte violente qui affecta beaucoup de populations, surtout les Indiens. Les actions militaires furent également appuyées par les patrouilleurs civils. Le résultat fut déplorable ; il y eut beaucoup de coups bas de la part de la guérilla et de l’armée, mais ceux qui furent le plus affectés furent les habitants qui, n’étant pas une population impliquée, ont souffert de la répression des deux parties, ce qui provoqua d’énormes mobilisations, internes et en direction du Mexique, pour essayer de fuir la violence débridée de la guerre.

Irenees :

Quelle est, selon vous, la responsabilité des militaires dans la construction de la paix ?

General Julio Balconi :

L’armée en tant qu’institution, et la majorité de ses membres de façon individuelle, se sont engagés à appuyer la recherche de la paix au moyen de la négociation politique. Le processus de détente militaire qu’il y eut entre l’armée et la guérilla avant la signature de la paix, et la démobilisation des patrouilleurs civils presque un an avant la fin officielle du conflit armé interne, sont un exemple clair de cet engagement. Ces faits interprétés comme démonstration de la bonne volonté et de la confiance mutuelle des deux parties, ont permis qu’après la signature finale des accords de paix, il n’y ait aucun incident entre militaires et ex-guérilleros.

Irenees :

Vous avez l’habitude de vous présenter comme un “général retraité”, associant les deux mots comme si vous vouliez articuler le militaire et le civil. En situation de guerre, il est très difficile pour les personnes impliquées d’entrevoir la paix, de l’imaginer, de la penser, bien que cela soit nécessaire. Cela fut-il votre cas ? Et aujourd’hui, en situation de paix, comment considérez-vous la guerre ? Et la paix ?

General Julio Balconi :

Le fracas de la guerre ne nous permettait pas même de concevoir le moindre espace pour la paix. C’était quelque chose que nous tous, ou tout au moins la majeure partie d’entre nous, désirions, mais l’imaginer était très difficile. Les blessés et les morts nous rappelaient qu’il fallait lutter pour survivre. Pour cette raison, quand est apparue la possibilité d’initier un processus de dialogue entre les parties pour rechercher la paix par des moyens politiques, il nous a semblé que c’était davantage une trêve pour l’insurrection, qui lui permettrait de se réorganiser et de se renforcer logistiquement pour continuer la lutte armée.

Cependant, aujourd’hui il me semble plus facile de regarder la guerre depuis la paix ; j’ai pris une certaine distance, qui me permet de regarder avec attention certaines choses que dans ces moments difficiles on perd de vue. Par exemple, je profite beaucoup de mes petits-enfants, je passe plus de temps avec mes filles, j’apprécie les repas, les voyages, la lecture. La paix est un bien inestimable que beaucoup au Guatemala ne savent pas encore apprécier.

Notas

  • Propos traduits de l’espagnol par l’équipe de traducteurs du réseau de Sembradores de Paz.

Traduccion