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Modus Operandi


En librairie

Transformation de conflit, de Karine Gatelier, Claske Dijkema et Herrick Mouafo

Aux Éditions Charles Léopold Mayer (ECLM)

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, Grenoble, mars 2008

Entretien avec Mme Karine GATELIER

Propos recueillis par Henri Bauer et Nathalie Delcamp (Irenees).

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Irenees :

Pourriez-vous vous présenter s’il vous plaît ?

Karine Gatelier :

Karine Gatelier, co-directrice de Modus Operandi, Institut de recherche indépendant. Mes activités de recherches et d’enseignement sont le prolongement de mes études et recherches antérieures en relations internationales et anthropologie sociale, spécialisées dans la région post-soviétique de l’Asie centrale.

Irenees :

Quelles ont été les raisons décisives de votre engagement pour la paix ?

Karine Gatelier :

Voici la raison aujourd’hui de mon travail :

La conviction que l’anthropologie a une contribution importante à apporter à la construction de la paix : une meilleure connaissance des rouages des sociétés locales permet de mieux comprendre les dynamiques à l’œuvre et de mieux adapter des systèmes politiques. Cette démarche commence à être prise en compte mais c’est un phénomène très récent. Elle aurait, je pense, permis d’éviter des écueils et des échecs si elle avait été intégrée antérieurement. Elle demande à être encore développée.

Mais en réalité lorsque j’ai commencé à travailler sur ces programmes, je n’avais pas conscience d’apporter une contribution à la construction de la paix mais plutôt d’apporter mes compétences à une meilleure compréhension de situations politiques données dans la perspective de comprendre les échecs et éventuellement de trouver de meilleures solutions. La construction de la paix était pour moi un « objet » très flou. Mon domaine de travail en représente une facette, et rend dès lors cet « objet » plus concret.

Irenees :

En tant que chercheur et intellectuelle, quelle importance accordez-vous à l’analyse, à la recherche et à l’élaboration d’outils et de ressources pour la compréhension des conflits et la construction de la paix ?

Karine Gatelier :

Cette importance est capitale. La connaissance des dynamiques du conflit doit constituer la base de la recherche de solutions à la construction de la paix. Dans un second temps la diffusion de ces analyses doit être aussi large que possible pour que cette démarche se généralise.

Irenees :

Co-directrice de Modus Operandi, pouvez-vous nous dire quelles sont les activités développées par cette association ?

Karine Gatelier :

L’institut développe à la fois la recherche et l’enseignement sur la transformation des conflits dans plusieurs domaines :

  • L’analyse de conflits et leur transformation dans la dynamique des transitions politiques et de la construction de l’Etat en sortie de crise (crise politique et conflit violent). Il s’agit d’analyses comparatives à partir de régions de spécialité (Afrique australe, Corne de l’Afrique, Asie centrale, Balkans, Proche Orient). Ces recherches sont menées au sein de différentes équipes pluridisciplinaires.

  • La responsabilité sociale des entreprises dans sa dimension de politique internationale : comment le commerce peut nourrir voire déclencher le conflit ? Comment peut-il contribuer à trouver une sortie ?

Irenees :

Quelles sont les actions auxquelles vous participez ou que vous mettez en œuvre pour la construction de la paix ?

Karine Gatelier :

Principalement la sensibilisation à une méthode, diffusée dans les enseignements que Modus Operandi dispense. Il s’agit de la prise en compte de spécificités et de particularismes. L’analyse du conflit se construit sur les dynamiques propres à la société étudiée. C’est une prise de conscience essentielle qui s’oppose à certaines expériences déjà menées qui consistait à transposer des modèles occidentaux avec un mince souci de leur adaptation.

Irenees :

Titulaire d’un doctorat en anthropologie sociale, vous avez conduit des recherches en Ouzbékistan, Tadjikistan et Kirghizstan, autour notamment du problème des identités collectives : quels sont, selon vous, les facteurs les plus importants des conflits actuels en Asie centrale ? La pauvreté ? Les ressources naturelles ? Les intérêts étrangers…?

Karine Gatelier :

Mon analyse est que le potentiel conflictuel est à la fois grand, dans cette région, et pourtant les populations démontrent une grande capacité à supporter des conditions qui deviennent extrêmement dures ; ce qui réduit ce potentiel conflictuel. Cela ne s’explique pas seulement par la nature des populations mais aussi par leur capacité d’adaptation.

Le potentiel conflictuel repose sur la concurrence excessive pour l’accès aux ressources économiques et la mauvaise gestion du bien commun qui est bien souvent accaparé pour les tenants du pouvoir. Ces ressources ne sont pas seulement les ressources naturelles mais elles constituent les ressources symboliques du pouvoir et surtout toute ressource économique : investissements étrangers et aide au développement en particulier. En découle une grande dépendance vis-à-vis des organisations internationales.

Irenees :

Quels sont, d’après vous, les principaux défis pour la construction de la paix dans des situations de transitions politiques et de sortie de crise ?

Karine Gatelier :

Eliminer les causes profondes du conflit.

Irenees :

Dans quelle mesure l’encadrement des Etats faillis, par la communauté internationale, contribue à la construction de la paix ?

Karine Gatelier :

Pour le moment, cet encadrement n’existe pas en tant que tel. Des actions ont lieu, dans le cadre national, dictées par les intérêts stratégiques des Etats qui les initient. Pour cette raison, précisément, l’intervention est rarement stabilisatrice sur le long terme.

Irenees :

Selon vous, comment s’articulent « légitimité du pouvoir » et construction de la paix dans un Etat en transition ?

Karine Gatelier :

La paix ne peut s’installer durablement si le pouvoir n’est pas légitime. Cette question est bien souvent une cause profonde du conflit. La difficulté est bien de faire émerger un pouvoir légitime. Les légitimités ne sont construisent pas, elles existent déjà au sein des sociétés. La question est donc celle de savoir comment capitaliser la légitimité des dynamiques et des constructions présentes pour construire un Etat. Le dilemme repose sur le fait que les légitimités traditionnelles ne sont pas démocratiques. C’est pourquoi je suis convaincue que la nature de la relation à l’autorité (« Qui reconnaît-on spontanément comme détenteur de pouvoir ? ») est la clé pour comprendre les mécanismes de la légitimité politique.

Irenees :

D’après vous, la culture peut-elle avoir une influence sur la représentation du pouvoir dans un Etat donné et par conséquent sur le comportement politique des citoyens ? Dans quelle mesure ?

Karine Gatelier :

De toute évidence, oui. Comme je l’ai dit plus haut, le dilemme réside dans le fait que le pouvoir légitime peut reposer sur des processus non démocratiques. Le pouvoir d’un individu est reconnu parce qu’il s’inscrit dans une certaine filiation, parce que son charisme lui a permis de prendre ce pouvoir, parce qu’il a accès à certaines ressources etc. La population ne remettra pas en cause son pouvoir. Il arrive que, parallèlement à ces phénomènes, le pouvoir institutionnalisé, démocratiquement élu, soit discrédité. Je ne parle pas ici des démocraties de façade qui porte un discrédit important aux processus électoraux.

Irenees :

Qu’est ce que la paix pour vous ?

Karine Gatelier :

La gestion harmonieuse des rapports politiques au sein d’un Etat. Cette gestion n’est généralement pas exempte de conflits car ils sont inévitables. Mais ces conflits doivent être circonscrits au domaine politique : le système politique doit être capable de les analyser correctement pour les résoudre. Les réajustements sont permanents. Lorsque le système n’est plus capable de résoudre ces conflits politiques, la paix est alors menacée.