Paris, octobre 2006
Guatemala : le contexte d’intervention de PBI
Entretien avec Carlos Morales, dirigeant d’une organisation paysanne Guatemaltèque.
Peace Brigades International (PBI) a été créé à l’occasion d’une conférence mondiale pour la Paix en 1981 et célèbre son 25ème anniversaire en 2006. PBI propose la présence protectrice de volontaires internationaux à la demande d’organisations locales dans les zones de conflit. Cette présence permet aux défenseurs des droits humains de conserver l’espace politique qui leur est nécessaire pour continuer à s’exprimer et à agir. Les organisations accompagnées sont légales et leur travail est légitimé par la société civile. Elles oeuvrent de façon non-violente.
PBI a ouvert son premier projet au Guatemala en 1983. PBI a participé au retour des réfugiés dans l’Ixcan, a accompagné le Prix Nobel Rigoberta Menchú durant les négociations de paix et a assisté à des travaux d’exhumation des cimetières clandestins. En 1999, trois ans après la signature des accords de paix, PBI a décidé de fermer le projet au Guatemala parce que les organisations avaient retrouvé un espace de liberté.
En 2001, lors d’une mission d’évaluation, PBI a pu constaté une importante détérioration de la situation des droits humains et une recrudescence des demandes d’accompagnement. La réouverture du projet PBI Guatemala a été effective en avril 2003. Actuellement une équipe de 9 volontaires accompagne un total de 14 organisations. L’accompagnement international non-violent revêt plusieurs formes : escorte d’une personne, présence au siège d’une association, présence internationale lors d’élections ou de manifestations, visites et permanences auprès de personnalités menacées… Il s’agit donc d’assurer une présence physique non-violente auprès des défenseurs des droits de l’homme menacés mais suivant un principe de non-ingérence dans les affaires des organisations accompagnées et de neutralité entre les parties au conflit. A cet accompagnement physique s’ajoute l’accompagnement politique : PBI s’attache à faire connaître sa présence, son mandat et ses activités auprès des autorités civiles et militaires locales. Enfin, son travail s’appuie sur un vaste réseau international d’organisations et de citoyens solidaires prêts à se mobiliser en cas d’alerte sur le terrain.
Au Guatemala les thématiques prioritaires sont l’impunité, l’accès à la terre, la recherche de la dignité, la lutte contre les effets de la globalisation sur les droits de l’homme. Parmi ces derniers, notons les conséquences de l’ouverture commerciale (signature du TLC avec les USA en 2005) sur les droits historiques des populations indigènes sur leurs terres, à savoir un processus d’exploitation croissante des ressources naturelles du pays : concessions minières, constructions de barrages hydroélectriques, implantations d’usines de montage (« maquiladoras » ). C’est justement dans les zones les plus concernées par ces phénomènes de spoliation (départements de Sololá, Verapaz, Zacapa, Retahuleu et Huehuetenengo) que s’est réorienté l’accompagnement protecteur, tout en conservant son action à Guatemala Ciudad.
Carlos Morales est l’un des défenseurs accompagnés par PBI Guatemala. Carlos est fortement opposé aux lois néo-libérales (Accord de Libre Echange, concessions, barrages et monocultures) et a consacré sa vie à défendre les paysans, hommes et femmes, indigènes (Quechies, Pocom, Achies) et « ladinos » (métisses) contre la violation de leurs droits à la terre, la santé, l’éducation, le travail et l’alimentation. Dirigeant d’une coopérative, il est le fondateur et le coordinateur de l’UVOC (Union des organisations paysannes du Verapaz). L’UVOC est présente dans 4 départements et 22 communes englobant 250 communautés indigènes et concentrant 70 % des problèmes agraires du pays. L’UVOC développe un avant-projet de réforme agraire, développement rural intégral et sécurité alimentaire, le tout dans un état de droit. Les persécutions contre l’UVOC ont toujours été très fortes. En mai 2005 les choses ont pris un tour tragique. Carlos Morales a été averti que plusieurs personnes armées se dirigeaient vers son bureau pour l’assassiner. Il a dû s’enfuir et se cacher un mois. Il a fait alors appel à PBI, qui depuis l’accompagne 24h/24. Carlos Morales considère que sans cet accompagnement « il n’aurait pas pu continuer son travail et qu’il aurait peut-être même été assassiné ».
Dans l’entrevue qui suit, Carlos Morales nous livre son point de vue sur les expulsions des paysans indigènes de leurs terres contre lesquelles il se mobilise. Sa parole nous permet de connaître les menaces qui pèsent sur les communautés qui veulent faire respecter leurs droits. Et l’on comprend à travers elle les enjeux d’une présence internationale non-violente.
Qui sont les victimes d’une expulsion ?
Les victimes des expulsions sont les paysan(ne)s et les indigènes qui, historiquement, ont défendu leurs terres depuis les temps de la colonie jusqu’à nos jours.
Que signifie pour vous une expulsion ?
Pour nous, les expulsions sont des actions impitoyables au cours desquelles tous les droits de l’homme sont bafoués. Ceux qui les pratiquent se réjouissent de la douleur des paysans, sans se soucier de savoir si ces derniers ont eu accès à un procès en bonne et due forme. L’UVOC a toujours exigé des responsables qu’ils appliquent la justice, qu’ils fassent les recherches dans les registres et les cadastres avant de prononcer une expulsion. Ce que nous demandons c’est la délimitation physique des terres pour lesquelles il y a conflit et le respect des pactes internationaux, notamment la Convention 169 [de l’Organisation internationale du travail]. Mais, malheureusement, ceux qui nous expulsent choisissent de l’ignorer. Il suffit qu’un propriétaire terrien leur montre un document avec un numéro d’exploitation agricole pour qu’ils autorisent les expulsions forcées sans tenir compte du droit historique des gens qui y vivent. Les familles des communautés expulsées ont des droits centenaires sur leurs terres. Au moment de l’expulsion, la PNC [Police nationale civile] présente la notification et donne à peine une heure aux habitants pour ramasser leurs affaires. Passé ce délais, la PNC commence la destruction, brûle les maisons, les écoles, les églises, les vêtements, frappe les paysans, détruit les récoltes, tue les animaux domestiques. On recense à présent plusieurs centaines de familles à la rue et dans des foyers provisoires.
Qui sont les responsables d’une expulsion et quels sont leurs intérêts ?
C’est définitivement le gouvernement patronal, de Berger [président de la République depuis décembre 2003], les propriétaires terriens et les entrepreneurs qui ont financé la campagne électorale de ce gouvernement. Leurs intérêts sont purement économiques : leur ambition est d’acquérir les terres afin d’y introduire la plantation de cannes à sucre. En récupérant les terres des paysans et en expulsant ceux qui habitent dans ces zones protégées, ils auront une main d’œuvre bon marché. En plus de ceux que j’ai mentionnés, sont également impliqués le Ministère Public [Parquet], les Tribunaux de justice qui sont précisément ceux qui se chargent d’émettre les avis d’expulsions, la Police nationale civile qui est payée par les propriétaires terriens pour accomplir les expulsions. Expulsions qui, pour l’UVOC, sont illégales du fait qu’il n’y a eu aucune recherche dans les registres et le cadastre.
A-t-on pu observer un changement dans la fréquence et la forme des expulsions cette année ?
Oui, on a vu des changements, mais il s’agit là de changements où la souffrance et de la douleur augmentent. Il y a deux ans, malgré un gouvernement militaire répressif, la répression était moins importante et le nombre d’expulsions moins élevé qu’aujourd’hui. A elle seule l’UVOC a déjà subi environ 16 expulsions, 38 sont en attente d’exécution et puis il y a les zones protégées. Soit une centaine de communautés dans l’angoisse. Avec ce gouvernement la répression a augmenté peu importent le jour et l’heure, tant pis s’il y a des morts ou des blessés. Il y a même des expulsions le dimanche, comme ce fut le cas pour San Andrés de San Cristóbal, Alta Verapaz : tandis que les familles étaient à la messe, on a brûlé leurs maisons et leurs biens, qu’elles venaient à peine d’acquérir après la première expulsion endurée. Ces cas sont déjà recensés dans des dossiers du FONTIERRA [Fonds pour la Terre. Le Fontierra a été créé à l’issu des Accords de paix en 1997 afin de faciliter les crédits aux populations paysannes indigènes souhaitant devenir propriétaires de terres productives], où l’on mentionne de potentielles terres en friche. Bien que ces terres soient gérées depuis longtemps par les communautés, les tribunaux émettent des ordres d’expulsion. Les entrepreneurs ont hâte de s’emparer des ressources de la terre, de l’eau et des minerais. Ils assiègent les paysans afin qu’ils travaillent pour des salaires de misère comme au temps de la colonie. Aujourd’hui le gouvernement applique un programme de déstabilisation des organisations paysannes et populaires, qui suscite des affrontements entre les paysans eux-mêmes.
De quelles lois a-t-on besoin pour trouver une solution à ce problème des expulsions ?
Nous savons que le système est en cause. Il faut opérer des changements structurels, apporter des changements à la Constitution de la République. C’est le rêve de tous les Guatémaltèques… Bien que nous sachions qu’il est encore impossible de travailler dans ce sens, nous pouvons avancer sur l’avant-projet de Loi de Développement rural intégral et de Réforme agraire, c’est-à-dire deux thèmes fondamentaux à moyen terme. En remontant à court terme, la Loi sur le Cadastre a été approuvée, une loi proposée par le secteur paysan et dépecée par le Parlement, dont les discussions se sont centrées sur l’autonomie et les abus. Au final il y a bien une entité autonome mais sans la participation paysanne. Bon, finalement la loi existe maintenant, ce dont nous avons besoin à court terme c’est de créer les outils pour rendre cette loi viable. Sans ces outils, cette loi peut encore nous faire attendre des années ! C’est pourquoi aujourd’hui l’avant-projet de loi organique du bureau du procureur agraire est urgent. C’est l’une des choses que l’on peut mettre en route le plus rapidement possible, pour qu’au moins il existe un instrument légal qui donne un suivi au thème agraire.
Commentaire
Cet entretien nous éclaire notamment sur la situation des dirigeants d’organisation paysannes et plus largement sur les défenseurs des droits de l’Homme au Guatemala. Il nous informe aussi sur l’apport d’une mission d’Intervention Civile de Paix sous la forme de l’accompagnement protecteur qui permet à ces personnes de poursuivre leur dénonciation et leur lutte contre les expulsions paysannes.