Linda Tahlaiti, Bordeaux, avril 2006
Entretien avec le Lama Dagpo Rimpoché
L’institut bouddhiste Kadam Tcheu Ling anciennement rue Forestier, aujourd’hui rue La Mothe, a reçu le célèbre Lama Dagpo Rimpoché pour inaugurer le temple et faire part de son enseignement.
« Pas à pas, de la souffrance au bonheur possible »
« Schématiquement, nous dit Marie, pratiquante depuis 8 ans, le bouddhisme est un travail sur notre esprit. Nous devons tenter de comprendre comment naissent les facteurs perturbateurs qui causent la souffrance, de quelle manière les neutraliser, quelles sont les conditions qui créent le bonheur, et comment parvenir à créer ces dernières. Ne disposant d’aucun pouvoir pour agir intégralement sur les éléments extérieurs, c’est en nous-mêmes (éléments intérieurs) que la transformation doit s’opérer. Ainsi, se sentir bien avec soi-même est un préalable pour apporter le bien à autrui par le biais de l’étude de plus en plus fine de valeurs universelles inscrites dans les préceptes de Bouddha Shakyamuni. On dit que le Bouddha a laissé 84 000 instructions sur la souffrance des êtres et sur les moyens d’en triompher. »
Nous avons donc eu envie de rencontrer Dagpo Rimpoché afin qu’il partage son point de vue bouddhiste sur :
°La perception de la société actuelle ;
°La place de l’être humain au sein de cette société ;
°La situation des bouddhistes en France.
Beaucoup estiment que nous vivons une période de non-sens (perte de valeurs, de repères ...), que pensez-vous de l’état actuel du monde ?
-
Dagpo Rimpoché :
D’un point de vue bouddhiste, la tendance serait de considérer qu’à partir du moment où on laisse les personnes livrées à elles-mêmes il est inévitable qu’elles agissent de manière souvent dénuée de sens. En effet, parvenir à agir de façon vraiment sensée, profonde et raisonnable demande tout un apprentissage : cela suppose qu’elles aient reçu une éducation leur ayant inculqué certaines valeurs.
Or, il se trouve qu’à notre époque et dans nos sociétés, ce genre d’apprentissage n’existe plus tellement : l’accent n’est plus mis sur la transmission de ces valeurs universelles, les gens sont désorientés et ne savent plus ce qu’il faut faire.
Partout dans le monde, et en particulier au sein des pays occidentaux, des écoles ont été créées, certaines, il est vrai, dispensent un très haut niveau d’étude, mais on y a supprimé les programmes d’éthique, de bon sens ... ceux-ci demeurent parfois dans les enseignements religieux mais ailleurs ils ont été enlevés. Ce n’est pas une question d’étiquette politique, partout des personnes de bonne volonté diront « Il faut rétablir les cours d’instruction civique » : les discours sont là mais personne ne le fait.
La course internationale conduit les êtres humains dans une spirale vers une sorte de frénésie. Personne ne semble avoir de véritable contrôle sur ces interactions non maîtrisées. Selon vous, dans quelle mesure la responsabilité de chacun face à ce type d’interactions peut-elle être envisageable?
-
Dagpo Rimpoché :
D’une part, il ne faut pas s’imaginer que l’on puisse, à titre personnel, tout transformer et faire des miracles, mais cela ne veut pas dire que l’on ait les mains entièrement liées ni que l’on soit totalement impuissants. À mon sens, si l’on assume, à titre personnel, ses propres responsabilités, simplement en tant qu’être humain, et que l’on essaie de réagir déjà par rapport à soi même, l’on doit pouvoir obtenir des résultats, et je dirais même que c’est sans doute uniquement de ce point de vue-là que l’on est susceptible d’obtenir des résultats. En revanche, si l’on s’estime vaincu dès le début, la course folle ne peut que perdurer.
Quoi qu’il en soit, d’un point de vue strictement bouddhiste, et en admettant que tous les êtres du monde s’allient pour nous aider, si l’on ne se prend pas soi même en main, si l’on n’y met pas du sien, cela ne servira à rien. Il faut également avoir l’humilité d’admettre que les résultats ne peuvent être que progressifs ... ainsi se renforcer petit à petit nous permettra de faire de mieux en mieux.
A ce stade, la comparaison avec les animaux s’impose : chacun a un esprit et des capacités mais celles-ci sont différentes. Un être humain dispose de capacités extraordinaires comparées à celles que pourrait avoir un animal. L’être humain est apte à s’interroger sur ce dont il a besoin, sur ses aspirations, à savoir être heureux et ne pas vouloir souffrir. Il prend alors conscience qu’il en est de même pour les autres. C’est à partir de nos propres capacités qu’il convient d’apporter une aide à ceux qui n’ont peut-être pas encore opéré le même chemin de pensée. Telle est sans nul doute la seule façon d’espérer une véritable amélioration.
De l’histoire et des guerres de religion, le bouddhisme se distingue par son caractère pacifique, d’acceptation et de compassion. En France beaucoup sont attirés vers le bouddhisme. Au delà de cela, le vocabulaire est difficile parce que nous n’avons pas le même champ lexical comme pour le mot « compassion » qui pourrait être associé à « pitié ». L’apprentissage du bouddhisme peut-il se faire par d’autres vecteurs que les mots ?
-
Dagpo Rimpoché :
Il est vrai qu’il existe en France un réel intérêt pour le bouddhisme : les émissions du dimanche matin sur le bouddhisme enregistrent, avec celles de la messe, l’audience la plus importante.
Concernant les guerres de religion, il ne faut pas non plus trop idéaliser un pays comme le Tibet : il y a certes, parfois eu des luttes, des guerres, mais nullement pour des raisons doctrinales, plutôt pour des raisons politiques et de pouvoir.
Au Tibet, une grande partie de la population ne savait ni lire ni écrire, et certains étaient même dépourvus des notions de bases nécessaires à la compréhension orale. Toutefois parmi eux il y a eu d’excellents pratiquants. Cela ne passait pas par le côté scolastique ou lexical mais par l’exemple, ils baignaient dans une culture et sont arrivés à d’excellents niveaux spirituels.
Si l’on veut vraiment pouvoir bénéficier de l’enseignement du Bouddha dans toute sa profondeur, l’utilisation du vecteur des mots pour approfondir la pensée reste indispensable... l’on peut aller très très loin ... au travers des textes, acquérir une véritable idée du contenu de l’enseignement du Bouddha ... mais le vecteur des mots n’est pas le seul moyen d’y parvenir.
Quelle est l’essence même de la pratique sinon l’application ? L’application dans son principe de base est d’éviter de nuire, c’est-à-dire de tuer, de maltraiter ... Par l’exemple cela est possible car y compris la personne qui ne lit pas, qui n’écrit pas, peut reproduire ce qu’elle voit et ce qui se dégage d’une attitude emplie d’amour et de compassion. De la même manière, cette personne saura éviter d’adopter une attitude agressive, hostile et violente dont elle aura perçu les méfaits.
Auriez-vous un conseil à donner à ceux qui vont lire cet article et qui sont attirés par le bouddhisme ?
-
Dagpo Rimpoché :
L’enseignement du Bouddha est vaste et riche mais il a donné des indications précises sur les activités qu’il convenait d’éviter et au contraire sur celles qu’il serait bon d’accomplir.
Ce sont sur ces indications qu’une personne attirée par cette religion doit d’abord se pencher afin d’évaluer si elles sont susceptibles de lui correspondre à titre personnel et si la mise en application de certaines d’entre elles pourrait aller dans le sens de son bien être, étant entendu que :
°d’une part, cela ne l’engage absolument pas à devenir bouddhiste ;
°d’autre part, cela n’implique nullement de vouloir tout accomplir. L’idéal est dans un premier temps de disposer d’une vue d’ensemble et de faire ensuite un « tri ».
Nous devons nous servir de ce qui semble être bien pour nous sur un plan pratique, au contraire si nous estimons que certains aspects ne nous concernent pas, sont « hors de portée », l’on peut tout à fait les laisser de côté.
Dans le bouddhisme on ne raisonne pas en termes de Bien et de Mal, mais en termes de ce qui pourrait nous être bénéfique ou nuisible. Il faut éviter de faire ce qui pourrait nous nuire. « Nous nuire » encore faut-il s’entendre et faire la différence entre le court terme et le long terme. Le long terme est toujours plus important que le court terme. Quelque chose qui sur le moment nous paraît désagréable mais qui à long terme nous apporte beaucoup, mérite notre attention. Inversement quelque chose qui à court terme paraît formidable, utile et agréable mais qui à long terme serait susceptible de nous nuire, devrait être évité.
Quelles différences le bouddhisme établit-il par rapport à l’homme et la femme ? Hommes et femmes sont-ils égaux devant le bouddhisme ?
-
Dagpo Rimpoché :
Le Bouddhisme va même plus loin en termes d’égalité, notamment en ce qui concerne la possibilité ultime d’atteindre un niveau spirituel où l’on serait débarrassé de tous défauts et dotés de toutes les qualités : le niveau de Bouddha.
La religion bouddhiste considère que tous les êtres sont égaux, pas uniquement les êtres humains mais l’ensemble des êtres animés donc y compris les animaux.
Les différences qui existent entre humains et animaux sont en fait ponctuelles : nous sommes égaux quant à la possibilité d’obtenir un jour, un certain niveau de spiritualité, mais de toute évidence un être humain a davantage de capacités à évoluer dans cette vie qu’un animal. Pour y parvenir, l’animal devra passer à l’état humain dans une autre existence, car ce n’est pas parce qu’il est animal qu’il le restera toujours.
Dans le bouddhisme en général le plus important est effectivement d’être un humain, car en tant que tel et doté d’un esprit, celui-ci dispose de tous les instruments nécessaires pour atteindre les objectifs les plus élevés qui soient. Il n’y a donc pas de différences a priori entre hommes et femmes. Toutefois, celles-ci peuvent exister « objectivement », dès lors qu’il s’agit de différences physiologiques, culturelles selon les pays etc. Certaines choses risquent alors d’être plus faciles pour une femme que pour un homme et vice versa.
Propos recueillis par Linda Tahlaïti