Delphine Leroux-Astier, Paris, février 2006
Deux années d’accompagnement international des communautés du Bas Atrato en Colombie : l’expérience de Stellio Rolland
Les conditions d’un accompagnement efficace pour la protection des populations déplacées ou en risque de déplacement.
Stellio Rolland a travaillé deux ans, d’octobre 2003 à septembre 2005 dans le Bas Atrato, en Colombie, en tant qu’accompagnateur international. Envoyé par le Comité de solidarité avec les Communautés du Bas Atrato, il a travaillé au sein de l’équipe du CINEP – Centre de Recherche et d’Education Populaire – qui partage son temps entre Bogota et le terrain au rythme de quinze jours par mois.
Delphine Leroux-Astier, coordinatrice du Comité de solidarité avec les communautés du Bas Atrato :
Dans un contexte de conflit armé de basse intensité qui caractérise la situation actuelle de cette région, la présence internationale joue-t-elle un rôle de protection de la population civile ?
Stellio Rolland :
La présence internationale joue un rôle dans la mesure où les populations locales ont besoin d’un regard extérieur, d’une tierce partie entre eux et les groupes armés. L’accompagnateur est un symbole, il représente la communauté internationale. Il brise la relation duale entre population civile et acteurs armés. Il véhicule un témoignage. Mais pour être efficace, l’accompagnement international doit être relié à un réseau politique, notamment pour pouvoir faire des lettres pertinentes, relayées par des députés ayant un pouvoir de pression.
Delphine Leroux-Astier : On a recours à l’expression de « bouclier humain » pour illustrer le rôle de l’accompagnement international. Est-elle pertinente ?
Stellio Rolland :
je n’adhère pas à ce terme. L’accompagnateur international ne peut changer la dynamique du conflit. Les assassinats sélectifs auront lieu malgré la présence de l’accompagnateur : les acteurs armés ne s’en prendront pas à la personne étrangère, mais s’ils veulent s’en prendre à un leader, ils le feront. Ce qui s’est passé à la Communauté de Paix de San José d’Apartado l’an dernier malgré la présence permanente des Brigades Internationales de Paix, qui est très démoralisant, le prouve.
Delphine Leroux-Astier:
Sur le terrain, ton rôle, en tant qu’accompagnateur international était-il réellement différent de celui d’un accompagnateur colombien ?
Stellio Rolland :
Oui, j’étais un objet de curiosité, une présence « exotique ». Les gens perçoivent la représentation internationale de cette façon. La présence d’une personne extérieure est très importante : l’accompagnateur est une oreille attentive, qui retransmet un espoir et fait circuler l’information. Mon rôle consistait à transmettre l’information ; l’information est vitale dans ce contexte. Sans information, il n’y a pas de plaidoyer possible.
Delphine Leroux-Astier : Quelles sont les difficultés que tu as rencontrées ? Quelles sont les situations de tension et de peur que tu as dû affronter ?
Stellio Rolland :
J’ai vécu plusieurs types de situations où la tension est très forte. Par exemple lorsque l’on croisait les paramilitaires avec leur attirail de guerre dans des endroits très isolés. Ou encore lorsque dans une communauté, la rumeur circule que le village va être attaqué par la guérilla ; les gens fuient alors la caserne militaire, qui risque d’être prise comme cible ; le mouvement collectif de fuite s’accompagne d’une tension grandissante et contagieuse. Et puis, dans ce contexte de conflit, nous sommes constamment dans une situation chaotique où l’on ne sait pas qui est qui ; on ne sait pas à qui l’on a à faire, à des mafieux, à des informateurs ?
La formation Intervention Civile de Paix m’a été utile quant au travail sur le ressenti, sur l’écoute, sur la relation à l’autre. Mais les situations de tension sont tellement inattendues …
Delphine Leroux-Astier : une intervention civile massive dans le Bas Atrato pourrait-elle engendrer un changement ?
Stellio Rolland :
Oui, mais à plusieurs conditions. Premièrement, que les volontaires soient très bien préparés, qu’ils aient une formation intense en sciences politiques, une analyse pertinente du conflit, (et non une approche simpliste et manichéenne de la situation colombienne). Deuxièmement qu’ils soient reliés à un réseau politique (par exemple des députés), par exemple aux Etats-Unis ; je pense que les Etats-Unis sont les plus à même de pouvoir exercer une pression efficace sur le gouvernement colombien, notamment sur les questions des paramilitaires, des déplacés etc. Les lettres de députés américains sont les seules à pouvoir faire réellement le poids. Enfin, l’activité d’accompagnement doit absolument se professionnaliser et pour ce faire, les volontaires doivent être mieux rémunérés et mieux formés. Tant que le statut de volontaire ne sera pas reconnu, cette activité ne se professionnalisera pas et aura peu d’efficacité sur le terrain en termes de protection des populations déplacées ou en risque de déplacement.