Guatemala, août 2003
Entretien avec Henri BAUER, animateur de l’initiative Irenees sur son voyage en Amérique Latine
Irénées, à la rencontre d’artisans de paix en Amérique Latine, juillet-août 2003
IRENEES
Quel est la perspective de ton voyage en Amérique Latine?
Henri BAUER
C’est à la fin de l’année 2001, suite à l’Assemblée Mondiale de Citoyens célébrée à Lille, en France, en décembre 2001, que pour la première fois nous avons parlé, M Pierre Calame, Président de la Fondation Charles Léopold Mayer pour le Progrès des Hommes, et moi-même, de la possibilité de proposer cette initiative. L’institut Catholique de Paris, via le centre de recherche sur la Paix s’y est aussi intéressé: il est devenu l’un des acteurs premiers de cette initiative. D’autres artisans de paix se sont associés à l’initiative : l’Ecole de la Paix de Grenoble, le réseau Dialogue pour le Progrès des Hommes, le réseau Femmes pour la Paix, etc. Ils ont donné naissance en 2002 à l’association « IRENEES », responsable aujourd’hui d’animer et de conduire cette initiative.
D’autres artisans de paix de l’Amérique latine, d’Afrique, du Moyen Orient, d’Asie. exprimaient leur intérêt pour mieux connaître cette initiative. Dans cet élan, une mission portant sur les modalités actuelles de construction de paix en Amérique Latine s’est déroulée en juillet et août 2003 : « A la rencontre d’artisans de paix en Amérique latine » . Celle-ci est inscrite dans une dynamique plus large qui veut favoriser la création d’espaces où des artisans de paix qui, aux quatre coins de la Planète, mettent en œuvre des initiatives innovantes pour construire paix, puissent se rencontrer et tisser des liens entre eux.
IRENEES
Quels étaient les objectifs de ce voyage?
Henri BAUER
Dès le début j’ai voulu me submerger dans la complexité de ce sous-continent traversé qui, du sud du Rio Bravo à la terre de feu, est associé grâce à de continuités et de convergences, mais aussi dissocié par d’importantes diversités, de contrastes étonnants, d’oppositions conflictuelles… pour ne pas me laisser entraîner dans une démarche purement rationnelle. Car l’objectif du voyage n’était pas théorique: je voulais faire de ce dernier un espace où les acteurs de paix latino-américains puissent s’exprimer et, peut-être, découvrir des enjeux communs, qu’ils puissent croiser leurs regards et se découvrir des démarches innovantes et convergentes. Ce voyage avait comme vocation celle devenir un moyen pour proposer des liens. Il me fallait donc placer le voyage non pas en termes de « objectifs » mais de « rencontres » non pas en termes de « quoi ? » mais en termes de « qui ? » . Il s’agissait d’aller
– rencontrer des artisans de paix qui travaillent au coeur des conflictualités locales
– inventant des initiatives alternatives et efficaces
– dans des régions peu connues
– et qui sont peu ou pas médiatisés
Le voyage s’est déroulé sur deux régions. La région andine (de Caracas, au Nord du Venezuela, à la région de Cusco, à cheval entre le Pérou et la Bolivie) et la région centre-américaine (de Chiapas, au Sud du Mexique, au Costa Rica, au Sud de l’Amérique Centrale). Ce furent deux mois passés à parcourir des plaines et des montagnes, des villes et des villages, en découvrant des chemins et des sentiers de la paix, du temps passé à rencontrer et à écouter des artisans de paix : des jeunes, des femmes, des militants, des militaires, des ex-guérilleros, des intellectuels, des religieux, des responsables politiques, des Indiens…
IRENEES
Tu dis « Rencontrer et écouter des artisans de paix » . Quels sont les « mots » que tu as le plus entendu et qui t’ont semblé importants lors de tes dialogues?
Henri BAUER
J’ai rencontré des situations qui, bien que locales et très spécifiques, partageaient des enjeux communs à la région latino-américaine. Dans le même sens, j’ai trouvé des utilisations du vocabulaire en fonction des situations particulières et, en même temps, un certain vocabulaire commun. Je peux te parler de quelques-unes de ces notions très utilisées par ces acteurs de paix rencontrés
– « Recursos Naturales » . La notion « ressources naturelles » était très forte. Son utilisation montre, à mon avis, la prise de conscience du fait que les modèles de développement appliqués actuellement en Amérique Latine sont en décalage avec la protection de la biosphère, lorsque ces derniers ne sont pas des facteurs de destruction de la biosphère. La construction de paix est très liée à la protection du vivant.
– « Género » . La notion « Genre » est aussi très utilisée. Elle fait référence à la lutte pour la reconnaissance de l’égalité des droits homme/femme. Il me semble que cela reflète bien le fait que la participation des femmes dans l’action sociale, économique et politique est en train de prendre de plus en plus d’importance en Amérique Latine. Puisque dans les conflits armés latino-américains du 20ème siècle les femmes ont été parmi les premières victimes de la guerre, celles-ci veulent être parmi les premiers acteurs de la paix.
– « Empoderamiento » . Cette notion, difficilement traduisible au français, vient de l’anglais « empowerment » . Elle fait référence à la prise de pouvoir social et politique de la part de la société civile, notamment des populations qui étaient auparavant privées de leur droit de citoyenneté. Les Indiens, les Femmes, les Jeunes, les Pauvres… entrent actuellement dans une dynamique d’ « empoderamiento » qui leur permet de participer effectivement à la construction de leurs sociétés. La réussite de cette dynamique consiste, à mon avis, dans le fait que ces populations passent d’une situation de « contre pouvoir » à une position de « pouvoir » avec tous les avantages, et les risques, d’une telle démarche. Si cela peut être comparé à l’essor de la société civile dans d’autres régions du monde, la particularité de la « société civile » latino-américaine consiste dans le fait que celle-ci est composée en grande partie par des populations démunies.
– « No Violencia » . La dernière notion que je voudrais mettre en lumière et celle de « Non-violence » . Dans l’Amérique Latine des années 1970 – 1980 l’utilisation de la violence était légitimée par des discours idéologiques tels que la doctrine de la sécurité nationale, les théories révolutionnaires, etc. Actuellement la violence est condamnée massivement. Dans les bibliothèques visitées j’ai trouvé des ouvrages de Ghandi, de Luther King… lorsque j’abordais la question de la violence, des nombreuses personnes me faisaient part de leurs options pour la résistance civile non – violente… spécialement chez les communautés Indiennes du Pérou, de l’Equateur, du Guatemala et même de la forêt Lacandone au Mexique, population considérée pour autant comme sympathisant des zapatistes. Cela pourrait refléter, à mon avis, la déception produite par les tentatives révolutionnaires précédentes qui n’ont trouvé en face que la répression aveugle produisant haine et mort. Mais surtout une véritable évolution de la situation sociale des citoyens et de leur pensée, dans la direction d’une éthique de responsabilité politique.
IRENEES
Quelle impression as-tu aujourd’hui de la construction de paix en Amérique Latine?
Henri BAUER
Celle des contrastes. Un immense contraste entre les nombreuses et profondes conflictualités, d’une part et, d’autre part, le nombre et la qualité d’initiatives de paix qui naissent précisément au coeur de ces conflictualités.
IRENEES
Paradoxe ou réaction logique?
Henri BAUER
Il m’a semblé intéressant de constater que les initiatives de paix ne se trouvaient ici qu’au coeur même des conflictualités. Ces initiatives ne cherchent pas directement l’absence de guerre mais la gestion des conflits. Un survol sur quelques-unes de ces initiatives de paix à trois moments différents peut aider à mieux expliquer cela: comment discerner la menace et sauver la paix, comment construire la paix pendant la guerre, comment construire la paix après la guerre.
– Comment sauver la paix au Venezuela, où la polarisation politique produit des conditions qui favorisent l’affrontement : si les conflictualités actuelles ne sont pas gérées de façon responsable, elles pourraient donner lieu à une possible guerre civile. Parmi les nombreuses personnes que j’ai rencontré, la plupart étaient dans l’un ou l’autre camp: étaient rares celles qui, ne se laissant pas entraîner dans le conflit, avaient un regard moins idéologique ou moins passionné en se plaçant comme des possibles acteurs d’une véritable paix. Dans ce sens, j’ai rencontré des habitants des « barrios » , des intellectuels, notamment Mme Teolinda Bolivar, enseignant chercheur à l’Université Centrale de Vénézuela, ainsi que d’autres acteurs engagés dans des initiatives pour discerner la menace et sauver la paix.
– Comment construire la paix au coeur de la guerre en Colombie, profondément blessée d’un conflit armé qui dure depuis des décennies. Même si j’ai rencontré beaucoup de personnes et des organisations qui travaillent pour la paix, j’ai constaté leurs difficultés à sortir du climat d’affrontement et de violence qui traverse la société colombienne. J’ai beaucoup partagé avec des personnes du « Centro de Investigacion y de Educacion Popular » (CINEP). Il s’agit d’une institution de la compagnie de Jésus, de l’Eglise Catholique, engagée depuis des années dans la quête de la paix au coeur de la guerre. J’étais très étonné de découvrir comment les personnes du CINEP réalisent un travail extrêmement sérieux et responsable tout en partageant de façon solidaire les angoisses et les peurs de la société colombienne… Le CINEP est un bon exemple d’un acteur portant plusieurs initiatives allant dans le sens de construire la paix au coeur de la guerre.
– Comment construire la paix après la guerre au Guatemala. Après 36 ans de guerre civile, le Guatemala a signé en 1996 des Accords de Paix ayant comme objectif la réforme des rapports sociaux. Malgré le succès du cessez-le feu et les belles intentions des Accords, ces derniers n’ont pas été mis en oeuvre. J’ai rencontré beaucoup d’acteurs, spécialement parmi les victimes de la guerre, portant des initiatives sérieuses dans des domaines très différents: démocratisation, justice sociale, respect des droits de l’homme, élaboration de la mémoire, etc. Ces initiatives vont toutes dans le sens de reconstruire la paix après la guerre.
IRENEES
Tu veux dire que la construction de la paix ne serait pas un « thème » en soi mais un défi transversal?
Henri BAUER
C’est mon expérience. Etant donné que le défi de la paix ne concerne pas uniquement l’absence de guerre mais la gestion des différences et des conflits qui existent au sein de toute relation, la paix est un défi qui traverse tous les domaines.
Je me permets de te donner encore 3 exemples permettant d’illustrer cette approche. Ils sont liés à des domaines différents: premièrement, aux questions politiques, plus concrètement, de démocratie et de gouvernance. Deuxièmement, aux relations entre les modèles actuels de développement et la gestion des ressources naturelles. Troisièmement, aux questions symboliques, allant de l’élaboration d’une culture de paix jusqu’au domaine éthique.
Le premier exemple concerne, donc, les conflictualités liées aux questions politiques, plus concrètement aux questions de démocratie et de gouvernance
– L’Equateur, où la population indienne, victime d’un système social discriminatoire séculier la poussant à supporter des conditions de vie très précaires, s’organise et met en place des initiatives sociales, culturelles, économiques, politiques, dans le sens de la justice sociale, de la solidarité, de la démocratie… J’ai pu rencontrer des personnes très diverses: des responsables du programme U Habitat des Nations Unies, de la Fondation Heifer, des ONG locales, des gens proches des militaires, etc. qui soutiennent fortement la participation de la société civile dans la construction de sociétés plus justes et plus pacifiques par le biais de la démocratisation du pouvoir et de la mise en place de systèmes de gouvernance qui, allant du local au global, favorisent la participation de la société civile en termes d’efficacité. Le Vénézuela, où le système politique traditionnel fondé sur la notion de représentativité est mis en cause par une tentative révolutionnaire fondée sur la notion de classes sociales, produisant le déchirement de la société en deux groupes qui s’affrontent. Au fond de cette bataille politique se cache la quête de modalités nouvelles de gouvernance permettant l’émergence et la mise en ouvre d’un projet de Nation avec plus de justice sociale et de démocratie.
Le second exemple concerne les conflictualités entre les modèles actuels de développement et la gestion des ressources naturelles sur des territoires habités par des populations Indiennes.
– La région de Cusco, entre le Pérou et la Bolivie, et la région de Chiapas, dans la zone Maya mexicaine, très riches en ressources naturelles, en histoire, en culture, sont deux régions très convoitées où entrent en conflit des intérêts opposés. La rébellion armée au Chiapas en 1994 et les conflits en Bolivie en 2003 montrent bien les risques de production d’un conflit armé local. A Cusco j’ai travaillé avec des personnes du Centre Bartolomé de las Casas qui font un travail d’éducation à la paix, de gestion de conflits, de médiation, tentant de contribuer à mieux gérer les conflits entre les valeurs de la culture Inca, les besoins socio-économiques des populations paysannes, les attentes du commerce du tourisme international, les intérêts des grandes entreprises pour l’exploitation des ressources naturelles, les luttes de pouvoir locales…
Le troisième exemple concerne les conflictualités liées aux questions symboliques, concernant notamment la culture de paix et les valeurs éthiques
– Le Costa Rica, avec sa tradition et sa culture de paix, et le Guatemala, avec sa réflexion sur la paix, constituent deux bons exemples de comment un travail pour la paix dans les domaine de l’éducation et de l’éthique peut favoriser la mise en oeuvre d’une éthique de la responsabilité et de la paix dans tous les autres domaines. J’ai beaucoup travaillé au Costa Rica et au Guatemala avec plusieurs acteurs de paix, tels que la Fondation Arias pour la Paix et le Développement, l’Université de la Paix des Nations Unies, l’initiative de la Charte de la Terre, l’association Citoyens pour la paix au Guatemala, etc. qui travaillent dans le domaine de l’éducation, de la culture et de l’éthique pour une paix juste et durable, non seulement en Amérique Centrale mais aussi dans le monde.
Ces exemples peuvent montrer, à mon avis, la transversalité et la complexité de la construction de paix. Il est évident que cette classification assez grossière en trois types de conflits n’a pour but que de donner des pistes sur les enjeux majeurs et transversaux des conflictualités actuelles de l’Amérique Latine et sur les initiatives de paix qui sont mises en oeuvre. Une telle classification ne prétend nullement nier la complexité des phénomènes sociaux qui, eux, sont beaucoup plus riches que les concepts que nous utilisons et que les classifications que nous mettons en place et qui répondent davantage à nos catégories intellectuelles.
Dans ce sens, deux choses me semblent évidentes. Premièrement le fait que, par exemple, les questions concernant la quête de démocratie, de justice sociale, de respect de l’environnement, de principes éthiques communs, ne peuvent pas être localisées de façon exclusive sur une région où attribuées à un seul conflit, celles-ci sont aujourd’hui présentes au sein de toutes les conflictualités en Amérique Latine, à des degrès différents et sur des modalités diverses. Deuxièmement, le fait que, par exemple, le conflit venezuelien n’est pas qu’un conflit lié aux questions de démocratie et de gouvernance: des questions sociales, economiques, culturelles, etc. entrent aussi en jeu. Que, par exemple, le conflit au Chiapas n’est pas qu’un conflit lié au choc entre les modèles actuels de développement et la gestion des ressources naturelles, d’autres éléments entrent en jeu : culturels, économiques, politiques, etc.
En Amérique Latine j’ai constaté que toutes ces questions sont liées entre elles produisant des situations complexes où l’imbrication de différents enjeux exige que la construction de paix soit abordée de façon multidisciplinaire, transversale, en y associant tous les acteurs concernés.
IRENEES
Une fois ton voyage terminé, quels sont les résultats obtenus?
Henri BAUER
Le véritable « voyage » consiste en l’initiative IRENEES. Il s’agit d’une aventure commune animée par un mélange de raison et de poésie: comme la paix, dont sa construction, plus qu’une science, plus qu’une technique, plus qu’une stratégie, est un Art. Dans ce sens le « voyage » en Amérique Latine ne fait que commencer.
En allant des montagnes de Cusco aux « barrios » de Caracas, des « quartiers chauds » de Bogotá à la jungle Maya, en partageant avec des « artisans de paix » , en faisant leurs histoires se rencontrer… j’avais l’impression qu’ils se découvraient comme des morceaux complémentaires mais épars. Comme des acteurs d’initiatives soeurs. Comme des porteurs de savoir-faire à la fois différents et complémentaires.
Dans cette perspective, deux choses me semblent très importantes, qui ne sont pas des résultats, mais peut-être des occasions de « départ » d’un beau voyage:
– D’abord la conscience qu’ont ces acteurs de paix de la nécessité de partager leurs expériences, d’échanger leurs savoir-faire, des confronter leurs initiatives, de se rencontrer. Cette dynamique de mutualisation semblait une nécessité évidente pour tous. Étant donné que la plupart des acteurs sociaux en Amérique latine maîtrisent parfaitement les nouvelles technologies, notamment le web et le courrier électronique, il considèrent qu’Internet pourrait être un outil accessible, facile et efficace leur permettant de développer une telle dynamique. Lorsque je parlais de la possibilité de participer au site Web des ressources pour la paix < irenees.net> j’ai eu des réponse positives de la part des tous les acteurs de paix dont ce dossier fait référence. Avec la plupart d’entre eux nous avons même considéré les modalités de participation en envisageant les façons précises de partager leur savoir-faire via irenees.net. La plupart d’entre eux me disaient quels étaient leurs thèmes les plus forts, les dossiers qu’ils aimeraient élaborer…
– Ensuite, j’ai pu constater l’importance donnée par ces artisans de paix à la nécessité de ne pas agir en solitaire mais de savoir rencontrer d’autres artisans de paix, de savoir définir des valeurs partagées venant inspirer leurs actions, de se donner des objectifs communs. Lorsque je parlais d’envisager la création d’une « Alliance d’Artisans de paix » , l’intérêt des uns et des autres était évident. L’envie de passer du réseau à l’alliance est, à mon avis, un élément nouveau par rapport aux tendances qui se sont imposées à la fin du 20ème siècle en Amérique latine. En effet: le réseau consistait en se mettre ensemble avec d’autres acteurs à fin de mener une action précise ayant comme objectif l’enrichissement de chacun des participants au réseau. L’alliance, en revanche, comporte au moins trois éléments fondamentaux : premièrement, les membres de l’alliance se mettent d’accord sur des valeurs partagées, sur une éthique commune, venant inspirer leur initiative. Deuxièmement, ils se donnent des objectifs communs leur permettant de mettre en oeuvre une dynamique de longue haleine visant l’efficacité par rapport à des défis majeurs auxquels l’alliance veut répondre. Troisièmement, les membres de l’Alliance n’agissent pas selon une démarche de réseau: ils mettent en commun leur capital humain, leur capital social, leur capital symbolique, afin de devenir non pas des associés ponctuels mais de véritables partenaires, des alliés. Tout les artisans des paix référencés dans ce dossier m’ont fait part de leur intérêt à participer activement dans une possible « Alliance d’Artisans de paix » . Au Pérou, des responsables du Centre Bartolomé de las Casas me disaient qu’ils participaient déjà à l’ « Alliance des Editeurs Indépendants » : qu’ils appréciaient l’intérêt et l’efficacité d’une telle démarche. Au Costa Rica Mme Rebeca Monestel de la Fondation Arias pour la Paix et le Développement me disait qu’ils croient aussi à une telle démarche, à tel point qu’ils ont soutenu l’émergence d’une « Alliance Stratégique pour le Développement de l’Humanité » . Des nombreux acteurs de paix en Colombie, en Equateur, au Venezuela, au Guatemala me disaient qu’une telle Alliance n’est pas seulement convenable, qu’elle est urgente…
Voilà pourquoi je te disais que ce voyage en Amérique latine n’est que le début d’un véritable voyage, celui-ci symbolique. Je crois que nous pourrons entamer cette double dynamique de mutualisation du savoir-faire sur la paix via le Web et que, ensuite, nous pourrons faire les premiers pas d’une « Alliance d’Artisans de Paix »
IRENEES
Je me permets de te poser une question un peu plus personnelle : tu sembles articuler deux éléments importants dans la conduite de cette initiative : la rigueur rationnelle et la passion…
Henri BAUER
En effet. Il me semble très étonnant qu’il existe une science au service de la guerre, la stratégie, alors que le grand défi de la paix est beaucoup plus important et beaucoup plus exigeant, pour autant l’humanité consacre plus de ressources humaines, intellectuelles et logistiques pour gagner la guerre que pour gagner la paix. La paix, je crois, mérite qu’on donne le meilleur de nous-mêmes, y compris dans le domaine intellectuel et scientifique. Personnellement, puisque ta question est assez personnelle, je mets au service d’irenées ma formation en philosophie, en éthique et en sciences sociales - j’ai un Doctorat en sciences sociales de la faculté des sciences sociales et économiques de l’Institut Catholique de Paris. C’est dans cette logique que j’utilise le savoir scientifique et la rigueur des méthodes rationnelles comme des outils au service des sociétés.
Et, comme tu dis, je mets aussi beaucoup de passion. Pour des raisons professionnelles j’ai réalisé plusieurs voyages dans des pays où la pauvreté ou la violence obligeaient des nombreuses populations à vivre dans une précarité dramatique. J’ai vu les ravages provoqués par les guerres ainsi que les tragédies provoquées par l’absence de Paix. Très jeune, dans le cadre du travail de l’Eglise Catholique, je me suis engagé dans la construction de paix en faisant une option fondamentale de résistance civile non-violente. Un dernier élément personnel, peut être pas moins important que les autres, consiste dans le fait que, en travaillant pour la paix dans les années 1980 au coeur des guerres civiles en Amérique Centrale, j’ai connu les effets de la guerre: la violence, la torture… dans ma chair. Ce qui m’a conduit à quitter mon pays d’origine, le Guatemala. Cette expérience m’a peut être rendu beaucoup plus sensible aux cris des victimes innocentes de la guerre. Cela m’a aidé, peut être aussi, à assumer mon engagement pour la paix comme une option éthique habitant le plus profond de mon âme.