Fiche de témoignage

, France, 2014

La situation au Burkina Faso

Entretien avec Germain-Hervé Mbia Yebega

Mots clefs : Travailler la compréhension des conflits | Contestation populaire | La responsabilité des autorités politiques à l'égard de la paix | Burkina Faso

Comment expliquez-vous ce soulèvement populaire qui vient de balayer le régime du président Compaoré ? Ce scénario était-il prévisible ?

Germain-Hervé Mbia Yebega. Il faudrait préalablement se départir des contingences du court terme, de l’instantanéité et de l’émotivité première suscitées par les événements des derniers jours au Burkina Faso.

Ensuite, faire valoir l’historicité des dynamiques sociopolitiques de ce pays. De nombreuses prémices étaient perceptibles depuis quelque temps, grossissant la vague de contestation qui jamais n’a fait défaut ici.

Les projections de Blaise Compaoré n’ont pas suffisamment tenu compte de la part d’impondérable qui sied à pareille opération de retournement politique. L’arrière fond de ce spectacle n’augurait rien de facile. Le passage en force tel qu’il a été orchestré a rencontré de manière plus affirmée que présomptive, la résistance des instances d’une société civile dont l’affirmation des prétentions est récurrente. Il aura manqué à Blaise la capacité anticipative d’entrepreneurs politiques avisés, l’attention portée à ce qu’il m’est familier d’appeler les battements de cœur du pays réel.

Figure tutélaire du jeu politique au Burkina Faso depuis une trentaine d’années, il n’aura pas été à la hauteur de ses ambitions du moment. Dans son dernier discours du 30 octobre, il invitait les différents acteurs de la scène politique locale à jouer chacun sa partition. Ce fut tout le contraire d’un chant du cygne, tant le contenu semblait anachronique, totalement hors du temps. Chacun a le Waterloo qu’il mérite !

Selon-vous, pourquoi les Burkinabé ont-il attendu si longtemps, jusqu’à 27 ans pour faire partir Blaise Compaoré du pouvoir, malgré l’existence de la démocratie dans le pays ? Qu’est-ce qui a changé ? Est-ce dû à l’émergence d’une société civile plus forte ?

Les Burkinabè n’ont pas attendu 27 ans… Oh, non ! Comme je viens de le dire, les lames de fond étaient à l’œuvre depuis fort longtemps. La crise de légitimité a été au cœur de la gouvernance de Blaise.

Chaque entrepreneur politique a sa part d’ombre et de lumière. On lui aura tout reproché, sans suffisamment effectuer une lecture à froid des contraintes situationnelles de son environnement, au Burkina Faso et dans la sous-région.

Sans le dédouaner de ses propres responsabilités, je constate tout simplement qu’il lui aura aussi manqué la capacité communicationnelle de dire et d’expliquer les choses. Dans la dernière interview accordée à un magazine africaniste fort connu, il affirme qu’il faudra bien partir un jour, sans en expliquer les modalités. Mais il faut surtout savoir partir : cela n’aura pas été à son honneur…

Quelles leçons doit-on tirer de cette révolution populaire au Burkina Faso?

Dans le chaud d’une actualité qui se déroule, je ne tirerai pas de conclusions hâtives. Mais je voudrais lire le déroulement du processus dans toute son histoire, et ne point me contenter des points d’information d’agences de presse. Vous parlez de révolution populaire, c’est presque juste…

Car qui sont aujourd’hui les meneurs de cette opposition burkinabè ? Pour un grand nombre, d’anciens hommes liges de l’ex président du Faso. Ils commettent le nécessaire parricide à leur propre déploiement dans l’espace politique.

La désignation (à l’unanimité?) d’un jeune officier supérieur de la garde présidentielle à la tête de l’État - de manière très provisoire nous l’espérons - fait également apparaître l’imprévisibilité générale dans laquelle se déroule ce spectacle : personne ne semblait envisager une telle accélération des choses. La conquête du pouvoir et son exercice ne s’improvisent guère pourtant : c’est la principale leçon qui se dégage des tragédies auxquelles nous assistons inlassablement dans le continent.

Y-a-t-il un risque de voir ce vent de révolte s’étendre à d’autres pays africains ?

Les Africains n’ont jamais été attentistes, et n’ont guère attendu de voir les jeunes ouagalais incendier les sites institutionnels pour prendre conscience des enjeux de leur propre existence et de celle de leur société. L’histoire du continent est jalonnée de luttes héroïques auxquelles il faut se référer, pour ne pas admettre les absurdités du discours de Nicolas Sarkozy à Dakar en 2007.

Le continent vit, connaît de nombreux bouleversements dont les manifestations ne sont pas les mêmes en fonction des pays, des sous-régions. Pour autant, le phénomène interactif de la circularité des idées peut être d’une certaine motivation. Mais le Rwanda n’est le Burkina Faso, encore moins la RDC, le Congo-Brazza, le Burundi ou le Bénin.

Y-a-t-il d’autres pays africains où des chefs d’État arrivent bientôt au terme de leur éligibilité et qui seraient tentés de modifier la constitution pour s’accrocher au pouvoir ?

De manière présomptive, il y a des risques dans chacun des pays dans lesquels des Chefs d’État arrivent en fin de deuxième mandat. Les quelques pays que je viens de citer, font partie de ceux dont les Chefs d’État arrivent bientôt au terme de leur deuxième mandat, et ne seront donc pas constitutionnellement tenus de briguer un autre mandat. Mais je n’ai guère de prophétie à faire : j’ai à constater des faits, dans leur évolution.

Dans un article paru dans vos tribunes en juillet dernier, j’abordais la question de la limitation des mandats présidentiels en Afrique. Elle présuppose celle plus générale de l’appréhension du droit, mais aussi, celle jamais suffisamment explicitée de cette sorte de paternalisme Afro-africain au terme duquel les peuples resteraient d’éternels cadets sociaux. C’est le « après moi le chaos » tant usité par des gouvernants de pacotille, véritables antihéros, qui se sentent plus personnellement visés dans leur positionnement qu’ils n’abordent la problématique fondamentale de l’alternance en politique.

Nous souhaitons que chaque Chef d’État travaille en privilégiant l’intérêt général, se prémunissant ainsi d’éventuelles conséquences qui lui seraient préjudiciables au terme de son mandat. Nous souhaitons que les engagements pris solennellement soient tenus. Nous souhaitons que se créé et se consolide sans cesse, ce rapport de confiance nécessaire à la construction d’un projet commun. Nous souhaitons que cesse ce « doute profond de l’Homme noir sur lui-même » ordinairement généré par ces impostures.

Peut-on dire que cette révolution au Burkina est un moment historique pour l’Afrique?

Tout événement qui fait avancer le continent lui est un événement historique. Je ne suis pas analyste du court terme. Les transformations dont nous avons besoin nécessitent d’immenses efforts, qui sont à l’œuvre, de bien différentes manières. Cela n’enlève rien au mérite des Burkinabè, dont j’ai souligné le long investissement pour parvenir à cette état des faits qui souffre pourtant de fort nombreuses incertitudes. Il leur faut continuer de travailler, pour éviter la somme de travers qui vont à l’encontre du progrès.

Pour terminer, les Africains sont-ils en train de mettre fin à cette démocratie de façade qui a permis à plusieurs Chefs d’État de s’éterniser au pouvoir ?

Je disais plus haut que la conquête et l’exercice du pouvoir ne s’improvisent pas. Il y est une particulière exigence d’ascèse à tous égards. La politique est aussi le lieu de l’inventivité. Les enjeux à l’échelle de chacun des pays africains et de tout le continent sont considérables. Répondre aux préoccupations des populations, fixer et donner du sens, mobiliser les ressources nécessaires à son accomplissement. Que nous appelions cela démocratie ou tout autre chose, voilà les fondamentaux auxquels nous sommes tenus. Et nous n’avons pas attendu qu’un discours soit prononcé à La Baule pour nous y résoudre.

C’est vrai aussi que l’on ne peut manquer de souligner la navrante attitude de certains de ces Chefs d’État : Robert Mugabe en est l’un des plus emblématiques ; son dernier discours aux membres de son parti politique (la Zanu-Pf) participe des perles de truculence et de surréalisme que l’on pourrait citer. Cette catégorie de gens appartient désormais au passé. Définitivement. Heureusement.

Notes

  • Germain-Hervé MBIA YEBEGA est Politologue, Chercheur à l’Opsa & Chercheur associé à la FPAE.