San José, Costa Rica, mai 2009
Entretien avec Mme Ana Yancy Espinoza, coordinatrice de secteur Paix et Sécurité humaine, de la Fondation Arias pour la Paix et le Progrès humain.
Propos recueillis en espagnol et traduits en français par Charlotte Bourrat, le 27 mai 2009, au siège de la Fondation Arias, à San José, Costa Rica.
Charlotte BOURRAT:
Pourriez-vous vous présenter s’il vous plait?
Ana Yancy ESPINOZA:
Je m’appelle Ana Yancy Espinoza. Je suis politologue et je travail dans le Secteur Paix et Sécurité humaine (précédemment appelé: « Centre pour la Paix et la réconciliation » de la Fondation Arias depuis trois ans.
Charlotte BOURRAT:
Quel est le travail du secteur de Paix et Sécurité humaine, au sein de la Fondation Arias, ses principales actions et actuels projets? Quelle est la situation du Costa Rica, et de l’ensemble de la région en la matière?
Ana Yancy ESPINOZA:
La Fondation Arias a une méthodologie à quatre composantes. Dans un premier temps: la recherche (investigation) avant de pouvoir commencer quelque travail que ce soit. Il s’agit d’un processus d’accumulation de connaissances, qui servira ensuite à établir un transfert de connaissances à travers la formation de techniciens qui pourront ensuite aider à la sensibilisation des populations locales, notamment par des campagnes de sensibilisation, et à influencer des modifications des législations, la création d’instances de discussion, d’analyse et de partage d’expériences.
Le Costa Rica a toujours travaillé à la mise en place d’approches en partenariat avec d’autres pays, d’autres régions constituant la base de la coordination entre différents acteurs, de différentes catégories. La Fondation travail plus particulièrement avec d’autres ONG intéressées par les mêmes thématiques et qui utilisent au niveau local la méthodologie et les recherches de la Fondation Arias. Pour chacune de ses recherches la Fondation fait appelle à des consultants locaux, qui ont une plus grande légitimité pour parler des questions nationales.
Au Costa Rica, et dans la Fondation, les recherches sont en revanche surtout au niveau régional, et dans le but de capitaliser les connaissances globales sur la région pour que les acteurs locaux puissent ensuite utiliser leurs recherches et outils tout en les adaptant aux spécificités de chacun de leur pays. Ceci permet de présenter des analyses thématiques au niveau de la région et de chacun des pays. Ainsi la Fondation est essentiellement un support intellectuel et méthodologique pour les organisations de la société civile nationales, et les aident à améliorer leurs recherches.
Quant aux phases d’influence de politiques publiques et de sensibilisation, la Fondation n’est là que comme support pour les ONG nationales, comme observateur.
Les thèmes de travail du secteur sont la Paix et la sécurité humaine, soit des thèmes extrêmement larges. Une grande partie du travail de la Fondation en la matière consiste donc à faire avancer la sécurité humaine vers la complémentarité des droits de la personne et le progrès en matière d’armes à feu, de violence armée, et plus généralement sur la prévention de la violence à travers des analyses et le soutien à des modifications législatives.
L’approche consiste à travailler pour la paix depuis différentes perspectives. Car on ne peut parler de paix lorsqu’on vit un conflit (et non seulement les conflits armés).
Pour cela il faut élaborer des propositions qui puissent créer un consensus sur les thématiques de violence et sécurité. Les programmes tendent à être le plus participatifs et surtout à ce que les activités mises en place n’excluent personne, c’est à dire qu’elles soient auto-excluantes, essayant de réunir amis et ennemis.
Il faut ensuite conceptualiser le concept prédéfini, qui établit la paix comme étant l’absence de guerre. L’intérêt de la présence de personnes diverses, est la diversité des propositions qui en résulte et qui permet de réaliser un concept plus général. A partir de là, il est possible d’élaborer des manuels traitant du concept et des objectifs dans cet espace.
Actuellement en matière de prévention de la violence, la Fondation a un programme, « Escuela segura, comunidad segura » (Ecole sûre, communauté sûre), intense quant à ses besoins humains. Ce programme est composé de trois manuels qui correspondent chacun aux trois étapes du projet.
Le premier est dirigé aux municipalités, il s’agit d’un observatoire de la violence qui constitue une cartographie de la violence intrafamiliale, la violence routière, les agressions et la délinquance et les problèmes interpersonnels. Tout ceci constitue une riche source de connaissance qui permet aux municipalités de connaître quels sont les risques afin de pouvoir essayer de les résoudre, tout en partant de faits réels. Il s’agit là d’un processus intensifs, humainement couteux car le personnel doit parvenir à créer un lien avec les municipalités, mais également qui nécessite une coopération entre le niveau national et local car au Costa Rica, par exemple, l’éducation est une prérogative de l’Etat. Cependant ce sont les municipalités qu’il faut sensibiliser. Ainsi les centres éducatifs locaux doivent essayer de créer ce lien, d’identifier leurs propres causes de violence pour ainsi élaborer leurs propres réponses en fonction des attentes de leurs habitants.
La Fondation Arias pour sa part fait le lien entre les municipalités et l’Etat, afin que celles-ci puissent proposer les changements dont elles ont besoin. Il est important de tenir compte du budget insuffisant des institutions qui doivent alors choisir entre beaucoup d’organisations qui travaillent sur les mêmes thématiques, elles doivent donc répartir leur budget en fonction de l’efficacité des gouvernements locaux.
Un autre programme proposé est le lancement d’une investigation sur les instruments de contrôle des armes vers l’international et la région afin d’élaborer un manuel de bonnes pratiques en matière d’importations d’armes selon les pays. Puis se dérouleront trois réunions régionales: Amérique centrale et Caraïbes, Communauté Andine et Cône Sud. L’idée étant de pouvoir analyser l’incidence de ce processus sur des instances nationales, internationales, des ONG plus ou moins grandes et régionales.
A l’heure actuelle, la Fondation développe jusqu’à sept projets, autour de la thématique du Traité du commerce d’armes (ATT) à travers des réunions hémisphériques, sur comment influencer les processus d’apprentissage, les législations nationales. La Fondation Arias en tant que membre de CLAVE (Coalition Latino-américaine pour la prévention de la Violence Armée) travail sur ce projet avec Save the Children (la thématique de 2008 était la jeunesse).
Cependant bien souvent un thème est assimilé à un pays ou vice versa (par exemple les « maras » sont associées à El Salvador, les pandillas au Brésil) et ainsi les budgets de coopération sont quasi exclusivement destinés au pays symbole du maux en question, laissant certains pays comme le Costa Rica désavantagées dans les projets de coopération.
En revanche la Fondation tente de prendre en compte toutes les expériences.
Les programmes comme celui de l’ATT et d’« école sûre » travaillent sur l’ensemble de l’Amérique Latine (une dizaine de pays en moyenne). Ces programmes fonctionnent à partir de programmes pilotes qui gardent une même méthodologie mais qui sont spécifiques à une localité. Ces programmes ont pour but d’être autosuffisants. L’intérêt étant également d’observer les différences de résultat d’un même format de projet et de voir quelles sont les constantes en matière de sécurité humaine.
Chaque centre éducatif est composé de quatre ateliers: deux pour les étudiants, un pour les parents d’élèves et un pour l’ensemble des enseignants.
Certains outils pour la formation sont élaborés par la Fondation, mais l’intérêt demeure tout de même en l’appropriation au niveau local du projet afin que les informations se focalisent sur leur propre réalité. Ainsi la Fondation forme des groupes de durabilité du projet au niveau technique et financier, pour que le projet continu lorsque la Fondation devra se retirer. C’est pourquoi la coordination du projet se fait avec des institutions et non des consultants.
La Fondation aide toutefois les organisations locales à trouver des financements.
La Fondation attends en retour un produit systématisé immédiat qui se remet aux municipalités pour avoir une visibilité de l’action plus entrainante et pouvoir publier un document d’une centaines de pages avec les participants, des photos, et un compte-rendu des activités, qui permet également de créer un lien avec les ateliers suivants.
Charlotte BOURRAT:
Le travail de la Fondation Arias sur les questions de Paix et de Sécurité humaine est centré sur la notion de « dialogue » au sein de la région centre-américaine: pourquoi pensez-vous que le dialogue soit un élément fondamental?
Ana Yancy ESPINOZA:
Pour la Fondation le dialogue est très important entre les différentes structures de la société civile, les institutions et l’Eglise, ce qui permet de voir l’éventail des idées et intérêts en parallèle à d’autres secteurs comme les partis politiques, les chambres de représentants, de commerce. Tout en permettant à la société civile de s’approprier le thème du débat.
Cependant il s’est avéré relativement difficile pour le Costa Rica d’acquérir une certaine légitimité pour traité de questions dont il est moins concernée que ses voisins. En particulier puisque le Costa Rica a choisi l’éducation et la santé aux armes, et qu’ainsi la qualité de vie y est meilleure. Cependant il est intéressant de noter que malgré de bons indicateurs, les citoyens costaricains se sentent moins en sécurité que ceux du Salvador. Ceci est essentiellement du à son parcours historique.
A l’origine le Costa Rica était un pays très pauvre et peu peuplé et donc toute la main d’œuvre disponible était nécessaire favorisant des relations majoritairement horizontales entre travailleurs (et donc avec une importante classe moyenne) plutôt que des relations d’exploitants-exploités.
Ainsi la bonne santé du pays, lui a créé d’importantes rivalités dans la région l’empêchant de travailler directement sur le terrain, et donc relayé à travailler au niveau régional.
Egalement au niveau international, la Fondation Arias contribue à donner la vision latino-américaine de projets, ou d’analyses souvent présentées comme globales mais ne portant que sur l’Afrique ou le Moyen-Orient. Il en va de même pour des programmes ou des outils collectifs auxquels la Fondation apporte la voix locale facilitant ainsi le transfert de responsabilité et d’expérience.
Il est important de mettre en avant également le rôle des médias sur le développement local de sentiments, et surtout en ce qui concerne le sentiment d’insécurité. Par exemple, au Costa Rica tout est présenté comme étant de la criminalité, du crime organisé aux conflits interpersonnels. Il s’agit de la gestion des réalités alors qu’il est important d’individualiser les processus.
Charlotte BOURRAT:
Quelle est selon vous, l’une des principales menaces à la paix dans la région?
Ana Yancy ESPINOZA:
Selon moi, la principale menace à la paix est la décomposition du lien social.
La détérioration des relations interpersonnelles va de paire avec la détérioration de paramètres importants d’une société: la transformation de la famille, les déplacements de membres d’une famille défait les liens familiaux, sans compter les conséquences du sentiment de déracinement, les moments d’échange au sein d’une famille diminues et aucune autre structure ne prend la relève.
Les centres éducatifs se concentrent plus spécifiquement sur la socialisation des personnes en tant que produit: savoir compter, penser, écrire; laissant de côté de nombreux exclues. Ce problème est en partie du à la mauvaise formation des instituteurs, et qui ne prennent pas en compte la spécificité de leurs élèves.
Ces tendances sociales exacerbent les inégalités et la violence sociale.
C’est pourquoi une des stratégies pour reconstruire les liens sociaux soit d’impliquer la famille, les éducateurs et l’Eglise, ainsi que de responsabiliser les médias. Avoir des enseignants plus sensibles aux raisons des difficultés de leurs élèves et plus à jour avec leur réalité.
Charlotte BOURRAT:
Qu’est-ce pour vous la paix?
Ana Yancy ESPINOZA:
La Paix c’est être content, satisfait par ce que l’on fait de sa vie et avec sa vie, dans nos interactions aves les gens. Plus personnellement, je pense que c’est être avec les autres comme on veut qu’ils soient avec nous, voir l’autre comme un ami et non une bête, essayer de se comprendre, de s’ouvrir aux différences, sans s’enfermer dans des analyses psychologiques de soi-même et des autres. Donner à l’autre les chances, les limites et les doutes que l’on souhaite pour nous même, au delà de la simple tolérance, le respect.