Joseph Le Marchand, Paris, mars 2005
Ébauche pour la construction d’un art de la paix. Penser la paix comme stratégie. Dossier élaboré par Claire Moucharafieh.
Des fiches contant des expériences socio-politiques partout dans le monde sont classées thématiquement dans le but de servir d’outil aux acteurs de terrain œuvrant pour la construction de la paix.
Mots clefs : | | | | | | | | | | | |
Réf. : Dossier élaboré par Claire Moucharafieh, " documents de travail " n°74, édition fondation pour le progrès de l’homme, 1996
Langues : français
Type de document :
Le but avoué de ce travail est de constituer un réseau d’expériences et de savoir-faire permettant à terme de constituer ce qu’ils nomment un "art de la paix", sans vouloir l’appeler "science de la paix". Il s’agit pourtant de tirer des leçons des expériences positives et négatives en matière de construction de paix. Le travail rassemble des textes uniformes ("fiches") mais aux contenus variés, et les organise en thématiques pour faciliter la recherche et donner une structure, sinon de la cohérence, à l’ensemble. Pour cela, ils présentent d’amont en aval les difficultés rencontrées lors de différentes expériences pour prévenir un conflit naissant, l’apaiser politiquement avant son déclenchement, mais aussi penser l’après-conflit, la période de reconstruction, et enfin établir les bases d’une paix durable. Deux chapitres portant sur la préservation de la paix en entourent deux autres portant sur le traitement pratique à appliquer lors des situations de guerre. Il faut voir, dans cette organisation très parlante au niveau des conceptions anthropologiques du programme, un ordre chronologique, allant de l’avant-conflit à un état durable de paix.
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La prévention des conflits :
Un travail de médiation permet de pacifier des situations conflictuelles. Des fiches présentent des aspects juridiques de la préservation de la paix, des expériences de justice de proximité conciliatrice comme les "juristes aux pieds nus" des Philippines ou les tribunaux populaires indiens.
Les médias ont un rôle d’information indépendante, et les ONG un rôle de veille sur la santé publique. Tous doivent s’interdire toute ingérence néfaste, en particulier au niveau du politique.
Au niveau des États, il faut assurer des conditions équitables d’existence et d’accès à la richesse, afin d’éviter les dérives mafieuses et le narcotrafic.
Enfin, au niveau global, il est nécessaire de faire l’apologie d’une mentalité citoyenne, du désarmement, et insister sur la diplomatie préventive.
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Pour une résolution politique des conflits :
La déliquescence de l’État et du sens civique (par tensions religieuses, ethniques, narcotrafics, nationalismes) est souvent responsable des conflits, et c’est sur ce point qu’il faut lutter. Le rétablissement d’une cohésion populaire est indispensable à une sortie de guerre.
Le droit humanitaire, le droit international doivent s’imposer par des actions de lobbying des médiateurs ou des brigades de la paix. L’humanitaire et le politique doivent redéfinir leurs rôles respectifs dans les actions internationales.
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Gérer l’immédiate après-guerre :
Dans un premier temps, il faut rétablir le principe du droit et de la justice, ce qui passe par la réparation des victimes, l’inculpation des coupables pour lutter contre l’impunité. Ceci permet de rétablir le sentiment de justice équitable.
Il est indispensable de traiter les traumatismes débouchant sur des névroses ou l’usage de stupéfiants. À cet égard, la réadaptation et la réinsertion des combattants et des réfugiés est primordiale.
Des initiatives locales en réseau ont déjà permis une reconstruction rapide et efficace des services publics. Car le rétablissement de l’appareil d’État est une nécessité de première urgence. Il accompagne le peuple dans son devoir de mémoire, et réduit les pratiques d’assistanat développées par l’humanitaire.
En effet, l’aide humanitaire peut se révéler inadaptée, voire néfaste dans la résolution des troubles politiques. Un article d’un observateur de l’OMS détaille les idées préconçues qu’ont les occidentaux (et l’aide ainsi inadaptée des ONG) des conséquences sanitaires et sociales des catastrophes naturelles.
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Construire les bases d’une paix durable :
Au niveau de la société civile, il faut mener des actions de sensibilisation de l’ensemble de la population (en commençant par les enfants) par la mise en place d’une pédagogie de la non-violence, qui peut s’appliquer aux formes de protestation politique. Il peut être bénéfique de s’ingérer dans le système de valeurs et le processus de mémoire collective pour modifier la perception de "l’ennemi" (Israël, Palestine).
Le devoir de mémoire et de reconnaissance populaire des crimes perpétrés contre l’humanité est nécessaire. L’attention portée aux perceptions historiques et à la psychologie populaire est nécessaire dans les processus de réconciliation nationale (réunification Allemande par exemple). Cela passe par la propagation des notions de citoyenneté et de société civile. Les devoirs du journalisme aux vues de ses erreurs passées (Rwanda, ex-Yougoslavie) sont évoqués.
Au niveau politique, il est indispensable d’œuvrer à la réconciliation et à la coopération entre anciens antagonistes (exemple franco-allemand). La démocratie participative et l’économie solidaire peuvent constituer des bases pour l’organisation d’une société de paix durable.
Au niveau international, il faut avant tout s’assurer de la préservation de l’environnement et du développement durable, du désarmement et de la reconversion de l’industrie militaire. L’ethique doit prévaloir dans le monde des affaires. Le problème de la dette des pays du tiers monde pourrait être réglé par la conversion de la créance numéraire en "actifs nationaux".
Commentaire
Le rédacteur est ici confronté au problème de la mise en miroir : il s’agit ici de faire une fiche de fiches. Donc le commentaire sert de critique méthodologique du présent travail.
L’ouvrage présente des expériences aussi bien positives (les expériences de civisme, initiatives populaires), que négatives (Rony Braumann et l’humanitaire pendant la guerre de Yougoslavie). Un va-et-vient intéressant s’opère entre des fiches présentant des expériences concrètes souvent méconnues et celles traitant de réflexions de sciences politiques. L’idée de fiches témoignant d’actions vécues ou établissant un état des lieux, en insistant tant sur le cosmopolitisme des auteurs que des évènements narrés, est très intéressante. Elle permet d’associer des faits qui pourraient paraître distincts, de partager des expériences, pour finalement servir d’outil pour les praticiens. C’est à cet égard une publication politique.
Or, la méthode n’échappe pas au travers prévisible, l’éclectisme. La classification tente de coordonner des textes fort distincts tant par leur contenu que par leur portée, et il semble difficile pour le lectorat de s’y retrouver. Une nomenclature de mots clefs a été établie, et chaque article est chapeauté par une dizaine de concepts développés. Or, les "fiches" présentent intégralement en une page un phénomène, ce qui ne permet pas d’approfondir les mots clefs. Ce type de recherche laisse le lecteur sur les dents. Une impression de "fourre-tout" peut se dégager de ce dossier. Ainsi, l’objectif qu’il s’était fixé n’est atteint qu’en partie. Enfin, les articles sont souvent "signés par des anonymes", et font peu de renvois bibliographiques. Il peut être alors difficile de porter crédit à certaines assertions, sauf à porter toute sa confiance en l’éditeur.
L’ouvrage propose des analyses qui peuvent sembler un peu attendues en 2005 : le lecteur, sensibilisé aux idéaux des groupes œuvrant pour le développement durable, pourrait trouver que les clefs de lecture ont un air de déjà-vu, voire qu’elles sont galvaudées aujourd’hui. Or, cette publication fut éditée en 1996, et on voit déjà pointer les concepts de l’altermondialisme, mouvement qui ne porte pas encore son nom : ainsi, les constats, les propositions et les récits d’expériences sont empreints d’une philosophie alors en éclosion et qui a depuis fait florès. À cet égard, l’ouvrage, et à plus large titre le programme de la Fondation pour le progrès de l’homme, sont précurseurs. Il faut le saluer.