Joseph Le Marchand, Saint-Petersbourg, mars 2005
La violence urbaine vue des quartiers de Dakar ; recherche populaire et auto-évaluation dans trois quartiers de la capitale sénégalaise.
Ce dossier présente un diagnostic de la violence urbaine à Dakar, réalisé par la méthode de "l’auto-enquête", un travail d’entretiens avec les habitants afin de recueillir leurs perceptions du problème et de les sensibiliser à leur résolution.
Réf. : Charles Léopold Mayer n° 123, Paris, septembre 2000
Langues : français
Type de document :
La violence n’est bien sûr pas forcément urbaine. Toutefois, toutes les grandes villes du monde, quel que soit leur degré de richesse ou de latitude, souffrent des phénomènes d’agressions et du sentiment de non-droit dans certains quartiers. Le ressentiment de la population subissant la violence, la vivant ou la craignant fort doit être entendu.
En effet, il est avéré que la solution répressive ne peut être appropriée : l’afflux de policiers à qui le pouvoir confère un sentiment d’impunité provoque la crispation du problème. La violence employée dans la lutte contre la violence entraîne un effet de montée en puissance. Ainsi, faut-il privilégier les travaux allant dans le sens d’une solution interne, par la sensibilisation puis la mobilisation de tous les acteurs.
La concertation avec les habitants permet la mise à jour des tenants et des aboutissants de la violence urbaine à Dakar. Un regard extérieur ne pourra jamais retranscrire les perceptions qu’ont les habitants de la violence urbaine, tandis que cela est rendu possible par la méthode employée ici de "l’auto-enquête". Elle permet de cerner au mieux le problème et d’apporter des solutions "à la carte" à la violence urbaine sévissant dans certains quartiers de Grand Yoff, Khar Yalla et Arafat de la capitale sénégalaise.
Ces quartiers sont caractérisés par une population rurale récemment arrivée à la ville, une économie informelle généralisée, et un manque endémique de logements. Les habitants évoquent un sentiment de déréliction, l’impression d’être abandonnés ou oubliés par l’État, tant les services scolaires, sociaux ou les possibilités professionnelles sont déficitaires. Les pouvoirs publics sont accusés de ne mettre en œuvre aucun travail d’infrastructure, aucune initiative constructive. Le corollaire de cette détresse désespérée est la répression de comportements autodestructifs : le vol, la drogue ou la prostitution en sont des manifestations visibles.
Les multiples travailleurs de la route (chauffeurs, coursier, commis, dispatcher de transports) font particulièrement part de la précarité de leurs conditions de travail : l’État ne fait rien pour améliorer un tant soit peu les installations et voies publiques, il est seulement visible à travers sa police rongée par la corruption. Un jeune fouillant dans les décharges se demande ainsi "pourquoi la police ne nous laisse pas exploiter les opportunités que nous offrent les ordures ?" (p.15).
Selon les habitants, la violence omniprésente entraîne une violence réactive de la part de la police ou de la Justice populaire, on entre alors dans la dynamique d’un cercle vicieux.
La détresse à Dakar est polymorphe, et pousse ses victimes dans les rues. L’exiguïté et le délabrement des logements entraînent une promiscuité malsaine des habitants. Le manque d’écoles et l’absence des parents laissent des enfants livrés à eux-même, qui ne reconnaissent pas d’autorité. On trouve dans les rues de nombreux enfants mendiants, souvent de jeunes ruraux dont la famille est en difficulté ou disparue. Les enfants mendient sur les instances de leurs parents ou bien des marchands et des imams qui leur font souvent office de tuteurs. La rue est aussi peuplée d’une foule de cireurs, de rabatteurs pour les transports automobiles, de récupérateurs d’ordures…
Ils extériorisent la violence par la lutte, le rap, et la drogue. La marijuana est très répandue, et la "colle" ou autres solvants permet de se "défoncer" avant de commettre des larcins.
Face à cet état de fait, les habitants ont pris des initiatives tendant à une amélioration de la situation. Des structures associatives abritent des services de soutien scolaire de micro-crédit, des activités culturelles et sportives, des comités de vigilance populaire, des aides sociales. Toutefois, il resterait à développer dans un premier temps des politiques d’assainissement, une coopération entre les habitants et l’État en matière de sécurité, procéder à des élections locales de chefs de quartier.
Mais la résolution durable du problème ne peut faire l’épargne de réformes structurelles. Il faut œuvrer au développement d’une économie plus saine, officielle, et profitant à tous. L’institutionnalisation de l’économie informelle, le développement du micro-crédit et l’accompagnement étatique des initiatives de développement local doivent permettre de faciliter l’accès au revenu par le plus grand nombre.
Une approche culturelle et sociale doit envisager les différents référents des ex-ruraux et des urbains, des diverses communautés et religions, afin d’endiguer la segmentation sociale. Le particularisme villageois ou communautaire doit céder la place une métaculture en constitution. La désagrégation des cellules sociales traditionnelles entraîne des regroupements en bandes ou en communautés aboutissant à un cloisonnement des catégories d’acteurs les uns par rapport aux autres, les empêchant de répondre d’une seule voix au problème. Il s’agit de faire la promotion d’une "inter-culturalité positive".
L’autorité judiciaire, policière et civile doit être légitime, et ainsi impulser une éradication globale des relations dominants-dominés.
Commentaire
L’étude ici résumée se conclut par une brillante mise en perspective du problème, une réflexion globalisante et généraliste mettant en évidence les similitudes du problème sur divers continents. Ainsi, ce travail géographiquement restreint, ciblant ses sources sur la parole des acteurs de la zone permet d’avoir une vision particulière et vivante d’un problème général et actuel. C’est là l’intérêt majeur de l’enquête. Les solutions concrètes proposées (comme les clubs de lutte) ne sont bien sûr pas exportables, mais résolvent des difficultés éprouvées quant à elles partout dans le monde : la pauvreté, la mésestime de soi, et la fragmentation sociale. Le lecteur intéressé par le problème, où qu’il se trouve, établira des parallèles avec sa propre expérience de la violence urbaine à la lecture de cette étude monographique. Le livre présente donc à divers égards un grand intérêt : il propose des solutions pratiques face à la situation dramatique d’une grande ville Africaine, et permet de mettre en perspective un problème qui concerne tout le monde, de près ou de loin.
Toutefois, la lecture est parfois gênée par la multiplicité des "coquilles" et fautes d’orthographe, ainsi que par un style parfois un peu attendu. Sur le fond, le livre pèche par une approche trop schématique du problème : la violence serait une fatalité en réaction aux abus des superstructures. Il ressort de cela que les acteurs de la violence urbaine sont posés en victime, agissant par une naturelle rébellion contre "le système qui oppresse", ce qui aboutit à leur déresponsabilisation. Or, l’objectif initial affiché était au contraire clairement de les impliquer.