Karine Gatelier, Herrick MOUAFO DJONTU, France, août 2017
Nord-Tillabéri : analyse du conflit lié aux ressources naturelles
Le transfrontalier au cœur de l’analyse et de l’action.
Mots clefs : Capitalisation de savoirs faire pour la paix | Elaborer des méthodes et des ressources pour la paix | Travailler la compréhension des conflits | Niger
Langues : français
Cette note d’analyse, commandée par la Haute Autorité à la Consolidation de la Paix (HACP), prolonge l’atelier de formation du personnel de cette institution, sur l’approche de la transformation de conflit conduit par l’institut de formation et de recherche en analyse et transformation de conflit, Modus operandi (Modop, Grenoble, France). A l’issue de cette formation, la problématique du conflit des ressources naturelles, avec en toile de fond la spécificité transfrontalière de la région du Nord Tillabéri, a retenu l’attention de tous les participants. Pour mener à bien cette étude, une équipe réunissant chercheurs de Modop et de la HACP a été mise en place ; une mission d’enquête dans différentes localités de la région du Nord Tillabéri a été réalisée par plusieurs employés de la HACP.
Lors de cette enquête sur le terrain, les données recueillies ont permis de dépasser l’analyse des conflits sous le prisme communautaire ou identitaire, et d’aller au-delà pour ouvrir d’autres perspectives et appréhender le conflit en se focalisant sur une plus large diversité de données sociologiques. Un glissement de lecture d’analyse s’est opéré. D’une analyse fondée sur les discours dominants des acteurs en conflit, l’attention s’est focalisée sur les logiques d’appartenance des individus. Le répertoire de ces logiques d’appartenance montre que les individus sont tournés vers la recherche ou la défense de leurs intérêts. D’où notre choix de lire cet espace transfrontalier du Nord Tillabéri comme une « arène » au sens de Bailey qui y voit « la vie politique, nationale comme locale, en termes de « jeu », où se confrontent et s’affrontent les acteurs sociaux, autour de leaders et de factions », l’arène poursuit-il « est au fond l’espace social où prennent place ces confrontations et affrontements »1. Ces logiques d’appartenance s’inscrivent dans un espace qui déborde les frontières nationales et nous forcent à prendre en compte une échelle transfrontalière. Ceci dit, l’identification d’une élite comme porte-parole, ou encore défenseur auto-proclamé des intérêts de la région, est plus à comprendre comme une démarche instrumentale qui participe à affaiblir un État déjà absent et à dresser les populations contre cet État.
Dans la première partie de cette note d’analyse, la frontière a occupé une place centrale. Il en ressort que la circulation des populations dans cette région fait fi des frontières administratives. Suivant un regard sociologique, les chercheurs de la HACP ont délaissé la tentation d’avoir une vision aérienne afin de rendre compte des dynamiques des populations dans les lieux de socialisation identifiés (marchés, écoles, fêtes culturelles, etc.). Le mouvement des populations donne à voir l’ouverture des territoires pour ne plus s’enfermer dans une lecture figée de celui-ci. L’espace transfrontalier du Nord Tillabéri offre la vision de ce qui est dessiné et défini par les populations, suivant leurs pratiques et usages de vie.
La deuxième partie quant à elle, a postulé l’idée suivant laquelle l’espace transfrontalier du Nord Tillabéri devrait être la nouvelle échelle socio-spatiale de l’action publique. Les pratiques des populations, qu’elles soient économiques (pastoralisme, agriculture, commerce, transport), sociales (généalogie, mariages) ou culturelles (fêtes et célébrations religieuses ou rituelles) structurent des circulations et des échanges qui effacent, pour l’atténuer, l’existence d’une frontière formelle. Pour circuler dans cet espace, des couloirs de passage sont prévus pour que les troupeaux puissent transhumer des enclaves pastorales à la zone pastorale. Ces couloirs existent à deux échelles : nationale et internationale. On peut également parler des marchés pour indiquer les lieux de socialisation majeurs des populations. Ceux de Inates, Ayorou, Hanam-tondi, Tingarane, ou encore Tinahouma, Tidimbawène au Mali, attirent des populations nombreuses qui se déplacent parfois depuis le pays voisin. On observe un véritable brassage de populations à la frontière. Mêmes les activités culturelles comme la course de chameaux et le Guéroual, par exemple, sont des occasions de rassemblements festifs et d’expression des coutumes, de pratiques artistiques ou sportives, de célébrations nationales, qui permettent aux populations de se réunir et d’échanger des informations sur la vie dans la région. L’administration fait passer ses messages auprès de communautés à travers ces célébrations. Pour finir, les usages pratiques d’expression des langues ont lieu sans tenir compte de la frontière. Six langues nationales sont parlées dans cet espace du Nord-Tillabéri ; elles circulent entre leurs interlocuteurs qui parlent plusieurs d’entre elles. Il s’est dégagé de ce qui précède un tableau sur les vecteurs de connexion et les vecteurs de division des personnes et des groupes dans cet espace transfrontalier.
La troisième partie s’est focalisée sur la délivrance des biens publics. L’éducation a été identifiée comme un besoin et sa délivrance n’est plus uniquement l’affaire de l’État. Dans cet espace transfrontalier, il serait intéressant de dépasser la simple coopération transfrontalière symbolisée par un partenariat entre administration centrale de deux ou trois pays. L’objectif de ce dépassement est de travailler sur les logiques d’appropriation par les populations de cette coopération transfrontalière ; ce qui oblige ici à porter le regard sur les individus et non plus sur les communautés. Il en est de même de la lutte contre toutes les formes d’insécurité. Elle est une demande très récurrente des populations et révèle bien qu’il s’agit là d’un besoin fondamental. Les attentes des populations sont grandes et elles fondent leur espoir sur une présence forte de l’État pour assurer leur quiétude et protéger leurs biens matériels. Sauf qu’en privilégiant uniquement les réponses sécuritaires, elles peuvent devenir, à terme, un poison. La décision de décréter l’état d’urgence dans le Nord Tillabéri a participé à freiner les échanges économiques et accentuer une forme de gouvernance du soupçon.
La dernière partie s’est concentrée sur ce que peut faire l’État dans cet espace transfrontalier. L’analyse s’est portée sur les fondements de la violence pour penser l’action. L’hypothèse qui s’est dégagée est l’ouverture de la frontière pour développer l’espace transfrontalier. Nous avons étudié ici les singularités du conflit au Nord-Tillabéri, et c’est bien dans ce sens-là qu’ouvrir la frontière contribuera à réduire la violence sous ses différentes formes. Une autre idée qui a émergé est la cohérence entre les politiques et les données locales et le positionnement de la HACP comme centre de production d’analyse des espaces transfrontaliers du Sahel.
Notes
1Thomas Bierschenk et Jean-Pierre Olivier DE Sardan, « ECRIS : Enquête Collective Rapide d’Identification des conflits et des groupes Stratégiques… », Bulletin de l’APAD [En ligne], 7 | 1994, mis en ligne le 03 décembre 2007, consulté le 28 juin 2017. URL : apad.revues.org/2173 P 3