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, Lille, December 2011

« Taming intractable conflicts: mediation in the hardest cases »

Une approche stratégique de la médiation dans les conflits les plus résistants à toute forme de résolution.

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Ref.: Chester A. Crocker, Fen Osler Hampson, and Pamela Aall. Taming Intractable Conflicts: Mediation in the Hardest Cases. Washington, DC: United States Institute of Peace Press, 2004.

Languages: English

Document type: 

Les auteurs et le contexte

Ce livre fait partie d’une série d’ouvrages portant sur la théorie et la pratique de la médiation et de la gestion des conflits, éditée par le United States Institute of Peace, et coécrite par trois auteurs: Chester A. Crocker, Fen Osler Hampson et Pamela Aall. Ils s’attachent dans cet ouvrage à la pratique de la médiation dans les conflits les plus prolongés et résistants à toute forme de résolution (« intractable conflicts »).

  • Chester Crocker est professeur d’études stratégiques à l’Université de Georgetown aux Etats-Unis et a présidé le conseil d’administration de l’United States Institute of Peace de 1992 à 2004 et en fait toujours partie actuellement. De 1981 à 1989, il a été « assistant secretary of state » pour les affaires africaines. Il a ainsi été le principal médiateur dans les négociations entre l’Angola, Cuba et et l’Afrique du Sud qui ont mené à l’indépendance de la Namibie.

  • Fen Osler Hampson est professeur d’affaires internationales et directeur de la Norman Patterson School of International Affairs de l’Université de Carlton à Ottawa.

  • Pamela Aall est directrice des études de l’Academy for International Conflict Management and Peacebuilding, le centre de formation de l’USIP pour les praticiens travaillant dans le domaine des conflits.

Les auteurs s’attachent dans une première partie à une étude du contexte dans lequel les médiateurs sont amenés à évoluer lorsqu’ils sont confrontés à un conflit « intraitable ». Puis, dans une seconde partie, ils décrivent une méthode à suivre pour le médiateur, reprenant les principaux aspects qu’il doit prendre en compte pour réussir dans sa mission.

Partie 1. Etude du contexte d’un conflit « intraitable »

Les auteurs mettent en avant l’efficacité de la médiation, pour eux cette méthode est souvent la plus à même de résoudre les conflits les plus intraitables. Ils se penchent donc sur une question qui est, pour eux, trop souvent négligée. Ceux-ci sont définis comme des conflits d’une inhabituelle difficulté mais ne sont pas impossibles à résoudre. Dans ces conflits, les élites ne sont pas intéressées par la négociation parce que la prolongation du conflit ne leur nuit pas suffisamment, au contraire elles peuvent en bénéficier. Ainsi, les extrémistes politiques dictent souvent la marche à suivre et les leaders ont des intérêts personnels à faire valoir comme les avantages qu’ils retirent d’une éventuelle économie de guerre. Les acteurs internationaux n’ont peut-être pas non plus intérêt à ce que le conflit prenne fin. Les parties privilégient donc souvent la violence à une solution politique. De plus, dans ce type de conflits, le rôle des émotions et des traumatismes psychologiques est très fort, ainsi, les parties rejettent souvent un contact direct. Il n’y a pas forcément de combats, le conflit peut être gelé.

Les auteurs expliquent ensuite le manque d’attention accordée à ces conflits. Celui-ci peut venir d’une certaine frustration vis-à-vis de médiations qui auraient échoué auparavant ou bien de l’argument que tel ou tel Etat n’a pas d’intérêt national à s’impliquer dans un cas désespéré ou bien de l’idée que ces conflits se limitent, se contiennent par eux-mêmes. Toutefois les auteurs soulignent à plusieurs reprises que ces conflits peuvent se transformer en terrains fertiles pour des menaces transnationales et plus le temps passe, plus le conflit peut éclater à nouveau du fait des émotions qu’il suscite. Ils défendent donc une approche stratégique de la gestion de ce type de conflits et entendent que la médiation ait toute sa place comme un instrument à part entière de la politique étrangère pouvant servir des intérêts nationaux et internationaux plus larges. En effet, elle ne serait à présent vue par les Etats que comme un instrument à utiliser en parallèle avec d’autres. Les auteurs reconnaissent également que les Etats puissants apportent leurs intérêts propres et leurs motivations au conflit. Il peut donc y avoir une tension entre les intérêts politiques et stratégiques de l’acteur tiers et le but de mettre un terme au conflit si le médiateur recherche d’abord la satisfaction de ses intérêts propres et leur prise en compte dans l’accord final. Dans ce cas, le médiateur peut aggraver la difficulté à résoudre le conflit.

Ils font également une typologie des raisons pour lesquelles un acteur choisit de s’engager dans une médiation. Un acteur peut ainsi s’engager dans une médiation pour des raisons humanitaires, des raisons stratégiques ou bien géopolitiques, pour son intérêt national. Il peut également agir pour l’intérêt public, c’est-à-dire pour un ordre régional ou international plus stable. Dans tous les cas, la médiation ne sera pas d’actualité si les grandes puissances ont d’autres priorités. Des changements de circonstances, de leadership, des crises, peuvent représenter les meilleurs opportunités pour la recherche de la paix et l’efficacité de la médiation. Parfois, il faut attendre que les intérêts de l’acteur tiers évoluent pour que la situation y soit propice.

Les auteurs examinent également ce que l’on observe lorsque les conflits sont oubliés et qu’aucune tierce partie ne s’y engage. Ce manque d’engagement soutenu rend lui-même le conflit de plus en plus résistant à la médiation. Ils identifient ainsi cinq types de conflits oubliés : les conflits négligés (invisibles aux yeux de la communauté internationale, ils sont les plus nombreux), orphelins (qui ont perdu l’attention qu’ils suscitaient auparavant chez des tierces parties pour diverses raisons), captifs (dans lequel des acteurs extérieurs jouent un rôle déterminant), dépendants (d’évènements extérieurs, d’une instabilité hors de contrôle) et les pupilles du système (qui sont laissés à la charge des Nations-Unies qui n’ont peut-être pas les ressources suffisantes pour s’en occuper efficacement). Ces conflits évoluent souvent d’une catégorie à l’autre. Ensuite, les auteurs pensent que les ONG et les organisations internationales seraient les plus à même de s’engager dans ce type de conflits étant donné qu’elles auraient des capacités et des ressources plus à même de convenir. L’implication des Nations-Unies par exemple confère une plus grande légitimité et focalise l’attention internationale. La diplomatie informelle des ONG tient aussi un rôle important. La collaboration entre différentes tierces parties est ainsi cruciale. Il existe toutefois certains risques à la multilatéralisation lorsqu’il y a trop d’acteurs tiers en présence (lenteur des procédures et inefficacité du processus de décision, envoi de signaux contraires, etc…) mais aussi des avantages non négligeables (plus de leviers à disposition et partage des coûts). Tous apportent leur expertise au processus, qu’il s’agisse de relations établies avec les parties ou encore de programmes mis en place. Le médiateur évolue donc dans un environnement incertain et complexe. Le contrôle qu’il peut avoir sur cet environnement dépend en partie de l’institution qu’il représente. Un médiateur issu d’une grande puissance va disposer des leviers appropriés par exemple. Toutefois, le médiateur ne peut influer sur la robustesse du support institutionnel qu’il reçoit, le jeu de la politique internationale, la stabilité de la région du conflit ou encore la nature et les interactions du conflit lui-même.

Un bon médiateur doit combiner des caractéristiques innées ainsi que d’autres qu’il va acquérir telles que la bonne connaissance du conflit et une certaine expérience. Les médias jouent aussi un rôle en décidant ou non de médiatiser le conflit. Le médiateur doit également prendre garde à ne pas être manipulé par les parties. Ainsi, lorsque les groupements politiques sont divisés en factions, les élites peuvent satisfaire les positions extrêmes, refuser de faire des concessions pour ne pas perdre leur base politique. Il faut donc arriver à leur faire abandonner leur détermination à battre l’ennemi et toute la rhétorique afférente. Les diasporas ont aussi un rôle non négligeable en ce qu’elles peuvent entretenir le conflit en soutenant les factions les plus intransigeantes. Il est donc important de comprendre l’environnement du médiateur et les opportunités et contraintes qu’il présente pour juger de l’opportunité d’une intervention. Les tâches du médiateur vont être, de plus, plus complexes dans le cadre d’un conflit résistant parce que l’on fait fasse à un manque de maturité du conflit.

Partie 2. Approche stratégique de la médiation

La médiation étant un art à toutes les étapes du processus, dans la seconde partie de l’ouvrage, les auteurs dévoilent leur approche stratégique de la médiation. Il est d’abord crucial de trouver un bon point d’entrée dans le conflit : un changement géopolitique, dans la dynamique interne du conflit, dans le leadership ou bien justement savoir tirer profit de sa propre entrée en tant que médiateur et de sa nouvelle approche. Le médiateur doit d’abord faire une analyse complète du conflit et en maîtriser toutes les dimensions : les parties (primaires et indirectes), connaître les acteurs, leurs intérêts et systèmes de pensée et les bases influentes, l’équilibre des forces, le timing/la maturité, l’histoire et le statut de négociations ainsi que le contexte externe. De plus, les intérêts des parties pouvant être différents des positions qu’elles affichent, le médiateur doit démêler les deux. Il doit s’interroger sur ce qui n’a pas marché dans les efforts précédents et évaluer sa propre aptitude à conduire une médiation. Ainsi, il doit bénéficier de ressources politiques et opérationnelles suffisantes (le staff, le soutien de l’institution, un mandat solide et durable, être légitime et avoir une relation adéquate avec les parties). Ensuite, il devra capturer l’attention des parties, développer des alliances et s’assurer un soutien international. Afin de capturer l’attention des parties et les amener à la table des négociations, sa première tâche est d’identifier les leviers à sa disposition: le soutien d’autres Etats, l’équilibre des forces dans le conflit lui-même (il peut ainsi jouer sur une impasse douloureuse pour les deux parties (« mutually hurting stalemate », qui est la situation la plus favorable à l’intervention extérieure, afin de les amener à négocier). Toutefois, étant souvent dans une situation d’impasse plutôt stable dans ce type de conflits à long terme, le médiateur doit ainsi agir sur les perceptions que les élites ont de la situation grâce aux leviers à sa disposition (moyens de pression et incitations). Il doit donc rendre plus attrayante la perspective d’un accord par rapport au statu quo du conflit et créer des alliances entre les éléments modérés des deux parties. Les auteurs insistent donc sur le fait que l’échec des médiations vient souvent du fait que les leviers soient inexistants ou bien inadéquats. Le médiateur doit ainsi changer l’ordre du jour de la négociation et restructurer l’approche prise vis-à-vis de ces problèmes. Entreront donc en jeu ses relations bilatérales avec les parties, sa capacité à influencer leurs perceptions des coûts et bénéfices d’une telle entreprise ainsi qu’à placer des choix difficiles devant elles et obtenir des avancées grâce à des accords conditionnels. Enfin, il doit également se préoccuper de la perception du public ainsi que des donneurs et autres parties prêtes à donner des garanties afin de soutenir la mise en œuvre d’un accord final.

Il peut y avoir des bas dans la médiation. Le médiateur doit alors faire preuve de clairvoyance et faire le bon choix selon le contexte et ses propres intérêts : continuer l’effort de médiation (hang on), se faire petit pour laisser passer la tempête (hunker down) ou bien se désister (bail out). Si il reste, il doit pouvoir tirer profit de la situation, il doit ainsi augmenter les coûts de l’utilisation de la violence et de la sortie des négociations. Le médiateur peut toutefois attendre que certaines circonstances changent et lui soient plus favorables. Il peut également impliquer de nouvelles parties.

Les auteurs récapitulent ensuite les principes à mettre en œuvre par le médiateur afin de parvenir à un accord :

  • Exploiter les bonnes formules et insuffler de nouvelles idées ;

  • Anticiper le comportement de négociation des parties et renforcer leur unité ;

  • Isoler les saboteurs (spoilers) et récompenser les acteurs prêts à prendre des risques

  • mobiliser des outils afin de transformer l’environnement post-conflit: l’accord doit donc contenir des provisions permettant de changer la réalité sur le terrain tels que des programmes spécifiques requérant la présence d’organisations sur le terrain ;

  • Maintenir le soutien de sa base domestique ;

  • Garder un œil sur l’horloge, le timing étant très important : l’accord doit être conclu lorsque les conditions sont réunies pour une mise en œuvre avec succès.

Les ingrédients nécessaires à une solution négociée sont les suivants :

  • S’accorder avec les parties sur une définition du conflit, des problèmes à régler et sur l’ordre du jour des négociations ;

  • Obtenir une définition de la séquence selon laquelle les problèmes vont être adressés et si l’on va produire des accords intérimaires ;

  • La séquence des négociations sur les mesures de sécurité et les problèmes politiques est importante car un cessez-le feu est plus susceptible de durer lorsque les parties pensent qu’un cadre mutuellement acceptable pour la négociation peut être adopté ;

  • La prise en compte du rôle significatif des mesures qui créent la confiance et des gestes politiques réciproques ;

  • Il est crucial d’anticiper la mise en œuvre de l’accord et les garanties à fournir aux parties quant à ce processus. En effet, l’engagement après la conclusion de l’accord est crucial ;

  • Enfin, les auteurs soulignent l’importance de se mettre d’accord dès le départ sur un cadre de négociation ou une déclaration de principes. Sans cette déclaration préalable, les cessez-le feu trop hâtifs ont tendance à s’écrouler. Il s’agit ainsi d’un guide pour un futur accord dans lequel ces principes seront traduits en engagements.

Finalement, les auteurs insistent sur la période post-conflit : en effet, un conflit aussi long affecte toutes les institutions sociales, il faut donc bénéficier des ressources suffisantes ainsi que des bases de soutien et des acteurs nécessaires pour garantir la mise en œuvre de l’accord. Il peut s’agir de missions de maintien (opération militaire) ou de construction de la paix (programme sociaux et économiques).

Commentary

L’on peut critiquer la checklist du médiateur qui reste très générale et contient plus des arguments de bon sens. L’on ne trouve également aucune analyse sur les relations civils/militaires et leur coopération dans l’environnement post-conflit. De plus, pour eux, il faut impliquer la population locale dans le processus de paix pour que les leaders aient des comptes à rendre à leur base. Ainsi, les tâches du médiateur apparaissent quelque peu démesurées. Ses attributions sont très larges.

Les auteurs évoquent aussi rapidement l’impact émotionnel du conflit sur la population, un point crucial sur lequel le médiateur doit travailler. Ils n’insistent toutefois pas sur ce point qui est souvent la clé pour résoudre ce type de conflits. Le médiateur doit ainsi permettre d’explorer le côté émotionnel du conflit et pas seulement ses aspects substantiels.

En effet, les images stéréotypées issues des processus cognitifs des acteurs se reproduisent, se renforcent, les acteurs ne sélectionnant que les informations qui confirment leur système de pensée, un cercle vicieux se met donc en place. Pour étudier plus en profondeur les aspects psychologiques des conflits, l’on peut lire l’article de Janice Gross Stein, « Psychological Explanations of International Conflict », Handbook of International Relations, 2002. Elle évoque également les stratégies pouvant être utilisées pour palier à ce problème (par exemple la reconnaissance mutuelle des identités, la création d’un modèle de consociation si l’on pense que ces identités et images sont fixes et que l’on doit s’en accommoder mais ce n’est pas forcément le cas, on peut les surmonter).